Analyse 2007-04

L’adolescence doit permettre à l’enfant d’accéder à son identité d’adulte, passage qui n’est pas toujours facile dans nos sociétés modernes. Quel rôle les parents peuvent-ils jouer dans ce processus ?


L’adolescence est un passage


L’adolescence est une période de la vie qui, dans nos sociétés, s’établit plus ou moins entre 14 et 18 ans. C’est une étape dans l’existence, liée à un âge particulier. Si l’on dit « dans nos sociétés », c’est que l’adolescence peut prendre des formes très différentes suivant les sociétés dans lesquelles on se trouve et suivant les modèles culturels qui y sont liés. Dans les sociétés traditionnelles par exemple, on passait d’emblée de l’enfance à l’état adulte et on était aidé en cela par des rites de passage et d’initiation. Ces rites avaient pour fonction, d’une part de transmettre le système de références [1] qui faisait fonctionner la communauté, mais aussi de faire naître un sujet nouveau, c’est-à-dire de faire advenir les enfants à un nouvel état, à une nouvelle position dans la communauté. Ces rites de passage mettaient en jeu la fécondité et les mythes sur l’origine. Ils faisaient repasser les jeunes qui y étaient soumis par toutes les étapes de la vie, depuis la naissance. Des épreuves confrontaient le sujet à cette espèce de chaos originel, pour figurer le moment où l’on vient au monde. Tout un cheminement initiatique devait permettre au sujet de sortir de ce chaos, avec l’aide de la communauté.


L’adolescence : l’accès à sa propre identité


Comme l’étaient les rites d’initiation, l’adolescence est un moment de création, un processus qui permet au sujet de revendiquer la possibilité de se différencier, de sortir de l’indétermination, de trouver son style propre, son identité. Mais pour accéder à cette identité, le sujet doit faire l’expérience d’une perte, la perte de la béatitude de la non-différenciation, de la non-individuation. Nous ne sommes jamais à l’abri du fantasme de vouloir retourner au sein originel, dans cette espèce de béatitude où l’on n’a plus à soutenir le travail de la différence. Dans la Bible, on voit que Dieu, au commencement, différencie le jour de la nuit, les plantes des animaux, etc. Toute culture doit porter le signe de cette différenciation, de cette diversité. C’est la diversité qui est à la source de la création depuis toujours et on retrouve cela dans tous les mythes.


L’adolescence : une confrontation aux pulsions de vie et de mort


Dans notre société, les rituels de passage n’existent plus. Les sujets sont amenés à explorer les différentes faces d’eux-mêmes, les différentes charges émotionnelles, pulsionnelles et même sauvages, que déclenche la puberté. Toute cette énergie peut déborder l’adolescent. Ces pulsions sont liées à la vie mais aussi à la mort. Notre condition est mortelle. C’est une terrible limite et la confrontation à la mort se retrouve d’ailleurs dans de nombreux passages à l’acte d’adolescents. Ce n’est pas pour rien que l’on compte parmi eux un grand nombre de suicides. Ces pulsions, l’adolescent doit les intégrer, les articuler à l’ordre symbolique d’une culture donnée, avec l’aide de la communauté adulte.


L’adolescent, un iconoclaste


L’adolescent peut faire Å“uvre iconoclaste, c’est-à-dire briser les images existantes. On sait que l’adolescent a l’art de mettre le doigt sur ce qui sonne faux chez les adultes. Il conteste le système et il montre que celui-ci n’a pas une véritable fonction structurante pour lui. C’est le travail de l’adolescence de démonter les choses, de déconstruire. Mais il ne faut pas confondre déconstruire et détruire. Si je déconstruis, il faut que je puisse remettre les choses en état. Pas pour faire pareil, mais pour avoir par exemple un rapport nouveau à ce et à ceux dont j’ai voulu me couper, me séparer. C’est cela le travail de l’adolescent : réinventer des formes nouvelles, trouver son style, s’énoncer en son nom propre.


L’éducation doit aider à trouver son langage propre, au départ du langage commun...


L’école initie d’abord l’enfant à se soumettre au discours, au savoir institutionnel, aux règles. L’enseignement secondaire doit permettre au jeune de quitter le discours qui lui a été tenu quand il était enfant, marqué du sceau de l’éducation et des valeurs parentales. Progressivement, il doit se demander si ce qui lui a été transmis lui convient, est opérant, prend sens pour lui, pour éventuellement le transgresser. Mais on ne peut pas inventer une langue, sinon on parle seul. Si je veux communiquer, je suis tenu d’utiliser ce que la langue à laquelle j’ai été initié me propose. Il n’y a pas moyen d’avoir accès à son identité sans passer par l’autre, c’est-à-dire par la communauté, par le social, par la langue.
Or, que se passe-t-il aujourd’hui ? Souvent, les transgressions des jeunes ne sont pas marquées du sceau de ce qui fait limite pour une culture. C’est du pur chaos, de la pure décharge pulsionnelle, cela ne fait pas sens pour eux. Quand les adolescents se comportent de cette manière, c’est que la transmission n’a pas opérée pour eux. L’initiation et l’accompagnement sont donc essentiels. Il faut être introduit à ce qui nous dépasse et qui nous guide à notre insu. Quand je viens au monde, de la même manière que ma langue maternelle existe déjà, il y a des valeurs qui fonctionnent. Les réalités humaines fondamentales (l’amour, la mort, la filiation, la parentalité) sont des choses auxquelles le sujet doit être préparé afin de composer avec ce qui le dépasse. Le rite d’initiation était une manière d’introduire le sujet aux règles, mais aussi aux valeurs qui font fonctionner une communauté.


Le rôle des parents


Il est important pour un adolescent d’avoir la possibilité d’accomplir son cheminement accompagné par l’adulte. Les parents ont cette fonction-là : aider le jeune à s’insérer dans un monde qui lui préexiste, à s’inscrire dans une communauté, à être fidèle à ce qui le précède tout en devenant autonome. Aujourd’hui, à défaut de rites d’initiation, la charge de devenir quelqu’un est souvent laissée à l’adolescent lui-même. Quels sont aujourd’hui les lieux qui peuvent accueillir l’expression de l’angoisse, de la peur, de la culpabilité du jeune ? Où peut-il se confronter aux questions énigmatiques de l’existence comme la mort, le sexe, le désir, la confusion des sentiments ? Il se retrouve souvent seul devant toutes les questions de l’existence que la puberté va provoquer chez lui et auxquelles il va devoir faire face. Par ailleurs, si les jeunes sont parfois seuls pour assumer ce qui leur arrive, les parents sont le plus souvent logés à la même enseigne. L’individualisme ambiant ne leur garantit pas des repères sur lesquels ils peuvent s’appuyer. Privée de rites de passages, une société se prive des instances qui peuvent soutenir un jeune dans sa difficulté d’assumer avec d’autres et dans une communauté la précarité de l’existence, la précarité des liens, mais laisse aussi les parents démunis face à leur mission.


Attention à ne pas banaliser l’adolescence !


Il est clair qu’aujourd’hui, l’adolescence est un processus que tout le monde connaît. Les parents savent à quoi s’attendre et relativisent plus facilement les remous provoqués par l’adolescence. Mais à force de banaliser la crise, on n’entend plus l’appel que certains adolescents essaient de crier. Etre déstabilisé par la crise, c’est un problème. Mais l’autre extrême, c’est de se dire que cela va lui passer et de ne pas prêter attention à l’appel que certains cherchent à faire entendre. Si l’ado fait des conneries à répétition et qu’on hausse les épaules en disant : « C’est la crise », le jeune risque d’y aller plus fort encore pour se faire entendre, jusqu’à prendre par exemple des risques extrêmement importants pour son intégrité physique ou pour son insertion sociale [2].

 

 


[1] voir à ce propos le Dossier 63 des Nouvelles Feuilles Familiales, « Quels repères leur donner ? », 2003, 8,70 €
[2] Ce texte a été rédigé par José Gérard (Couples et Familles), sur base de la conférence-débat animée par Anne Crommelinck, psychologue et psychothérapeute, qui a travaillé au Centre Clos Chapelle aux Champs de l’UCL, lors des Midis de la Famille organisés par l’échevinat de la famille de la commune d’Ixelles, en partenariat avec Couples et Familles et diverses associations.

 

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