Analyse 2007/02

Dexia diffuse depuis quelques temps une nouvelle publicité radiophonique pour un produit bancaire qui pose question. Après avoir constaté que plusieurs membres de « Couples et Familles » avaient eu la même réaction, nous avons voulu échanger à ce sujet, analyser les réactions des uns et des autres et proposer une réaction commune.


Une pub radiophonique récente du groupe Dexia


On imagine une séance d’échographie chez le gynécologue. Des voix suaves et bon enfant. Celui que l’on suppose être le gynécologue parle.


Ah, là, c’est son bras. C’est un garçon !


Réaction embarrassée du papa qui, comme s’il demandait de falsifier la date d’un document remis en retard pour pouvoir bénéficier d’un avantage ou de relever la cote de son fils pour qu’il puisse réussir son année, demande au médecin.


Docteur, ce n’est pas possible d’avoir une fille ? Nous avons déjà 5 garçons !


On entend quelques clics sur le clavier et le médecin déclare.


Voilà, c’est une fille !


Oh, merci, docteur !


Suit un message publicitaire concernant une épargne pension auprès de la banque Dexia, sous le slogan « Grâce à Dexia, vous pouvez maîtriser votre avenir ! ».


Entre le sourire et le malaise


La première réaction est amusée. Quand on est au volant de sa voiture, dans la circulation ou les embouteillages, l’irruption de cet univers de maternité et d’attente d’un enfant rappelle à la plupart des auditeurs des souvenirs agréables. On se sent déjà tout attendri, car il s’agit d’une réalité très humaine, marquée de valeurs positives... bien loin de ce que l’on considère généralement comme la logique des groupes financiers (à ce moment du message, personne ne sait encore quel est le produit qui sera promotionné). En outre, on est bien sûr étonné -c’est le but, pour que l’on prête davantage attention- par la tournure de l’examen échographique. On écoutait jusque là d’une oreille distraite et l’on est maintenant attentif : la « machine » a permis en quelques manÅ“uvres rapides de changer le sexe de l’enfant à naître. Enfin, lorsque l’on « reprend ses esprits », on garde en soi l’impression d’un malaise face à ce message publicitaire. D’où vient ce malaise ? Qu’est-ce qui, dans le contenu du message, provoque une réaction ? Touche-t-on à quelque chose de « sacré » ? Quelles valeurs fondamentales sont mises en cause dans le scénario ?


Pourquoi cette publicité est-elle choquante ?


En tant qu’association familiale préoccupée d’une vision éthique de la place de l’enfant dans la famille et dans la société, cette publicité nous semble choquante parce qu’elle véhicule des conceptions qui vont à l’encontre de valeurs essentielles à nos yeux, valeurs indispensables selon nous pour humaniser la vie en société. Nous voudrions le préciser sous trois aspects particuliers.

 

  • L’enfant : un bien de consommation comme un autre ?

La manière dont la publicité est présentée laisse entendre qu’un enfant est un bien de consommation comme un autre. Il est objectivement mis sur un pied d’égalité avec un produit bancaire concernant l’épargne pour la pension. Comme l’on peut « acheter » une sécurité pour l’avenir, on pourrait « acheter » un enfant. Nos contemporains sont en effet très demandeurs de maîtrise sur leur vie. On veut pouvoir tout dominer, et toutes les assurances proposent d’acheter l’illusion que c’est possible. Mais mettre un enfant au monde est un projet qui implique justement de s’ouvrir à la non maîtrise, à l’accueil de l’imprévu. Cette « objectivation » de l’enfant nous semble pousser à l’extrême une manière contemporaine de concevoir l’enfant comme un des éléments contribuant à l’épanouissement de ses parents. Cette évolution sociale et culturelle, qui s’est marquée avec la maîtrise de la fécondité (contraception chimique) il y a quelques dizaines d’années et s’est accentuée avec les progrès des sciences bio-médicales, a permis d’envisager la venue d’un enfant quand on le veut et tel qu’on le souhaite, alors qu’auparavant les enfants « venaient » (qu’ils soient considérés comme un « cadeau du ciel » ou une « malédiction ») et étaient accueillis par ses parents. La « parenté responsable » que cela permet nous semble un incontestable progrès, mais l’accentuation de l’objectivation de l’enfant, son instrumentalisation, telle qu’elle est véhiculée par la publicité, nous semble contraire à l’intérêt futur des enfants parce qu’elle légitime d’une certaine façon cette manière de concevoir l’enfant comme un bien de consommation.

  • L’enfant doit répondre aux critères définis par les parents.

Si l’enfant est objectivé et doit devenir comme une « gratification » pour ses parents, celui qui leur apportera du bonheur, il devient normal de considérer que l’enfant doit répondre à certains critères de conformité vis-à-vis du désir des parents. Tous les parents souhaitent bien entendu que leur enfant soit en bonne santé et qu’il rencontre le bonheur. Mais le sexe de l’enfant ne fait pas partie des critères de santé. La publicité de Dexia laisse entendre qu’il est normal de vouloir choisir le sexe de son enfant. En prenant le cas de figure « sixième enfant après cinq garçons » -situation statistiquement très improbable aujourd’hui-, la publicité justifie insidieusement ce souhait, puisque, dans ce cas-là, extrême, « on peut comprendre que l’on souhaite déterminer le sexe du futur enfant ». Si la modification du sexe du fÅ“tus n’est certes pas techniquement possible, il faut rappeler que d’autres techniques peuvent aujourd’hui être utilisées pour choisir le sexe d’un enfant : sélection embryonnaire en cas de PMA ou avortement si le fÅ“tus ne correspond pas à l’attente. La banalisation et la légitimation du choix du sexe d’un enfant par le biais d’un message publicitaire largement diffusé nous paraît choquante.

  • La médecine et les techniques biomédicales doivent rencontrer les désirs des patients/clients.

Cette publicité nous semble également néfaste parce qu’elle véhicule l’idée d’une médecine très « commercialisée », fonctionnant selon les logiques et les critères de l’économie : lorsque des techniques existent, les patients ont la possibilité de réagir en clients et de demander qu’elles soient utilisées pour répondre à leurs attentes ; c’est la loi du marché, et tant mieux s’ils ont les moyens de se payer ce qu’ils souhaitent ! Cette conception très individualiste de la médecine nous semble cependant en contradiction avec notre système démocratique, où les aspirations individuelles sont toujours mises en confrontation avec les nécessités et les urgences du plus grand nombre. Toute intervention technique en médecine coûte très cher à la collectivité et l’éthique oblige à déterminer des priorités. Cette publicité, qui véhicule l’idée d’une marchandisation de la médecine, nous paraît également regrettable de ce point de vue.


La réaction de « Couples et Familles »


Pour toutes ces raisons, nous trouvons que ce spot publicitaire diffusé à la demande de Dexia est de très mauvais goût. Nous ne nous étonnons pas qu’un groupe bancaire essaie d’insuffler un supplément d’humanité dans ses messages commerciaux en faisant référence à des réalités aussi essentielles que la naissance, mais nous craignons que cela aboutisse surtout diffuser et à légitimer une vision de l’enfant comme un objet à acquérir. Nous espérons qu’ils seront plus attentifs à l’avenir au respect de l’humain.
Par ailleurs, comme on sait que cela ne se passe pas (encore ?) comme cela, qu’il est aujourd’hui impossible de changer le sexe d’un fÅ“tus, nous espérons que ce message produira l’effet inverse et que tous les clients potentiels de Dexia réagiront en se disant qu’il est illusoire d’imaginer qu’un placement financier nous offrira une maîtrise de notre vie future puisque quelques « clic » ne peuvent pas changer le sexe d’un fÅ“tus. Si tel est le cas, peut-être Dexia infléchira-t-il ses messages commerciaux dans un sens plus « humain ». Dans l’attente, nous incitons tous les clients de cette banque, s’ils partagent notre malaise, à en faire part à leur agence.

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