Analyse 2011-2

Un peu partout dans le monde, des femmes déguisées en « salopes » se mobilisent, descendent dans les rues et clament haut et fort leur droit de s’habiller comme bon leur semble. Le mouvement a commencé à Toronto en avril 2008, en réaction à des propos tenus par un policier qui reprochait aux femmes victimes de viols de s’habiller de manière trop aguicheuse. Depuis lors, le mouvement prend de l’ampleur.


Dimanche 25 septembre 2011, 350 personnes ont défilé dans les rues de Bruxelles. Un objectif précis réunissait les participants : la lutte contre le sexisme. Particularité des festivités : les manifestants - des femmes pour la plupart - devaient respecter une consigne : se déguiser en « salopes ». Instruction honorée à la lettre : mini-jupes, soutiens-gorges, collants résilles, décolletés plongeants et talons hauts ont envahi la gare du Nord.


Le concept : des marches festives et exubérantes


Ces marches festives et exubérantes qui ont lieu à Bruxelles, mais aussi dans d’autres villes du monde sont appelées « marches des Salopes » ou, en anglais, « Slut Walk ». Le principe est simple : dans les rues, les femmes défilent en tenues légères, brandissant pancartes et calicots, et clamant haut et fort qu’elles ont le droit de s’habiller comme bon leur semble. Sur leurs panneaux apparaissent des messages tels que :


« Mon corps, ma liberté, mon choix ! »
« Look, don’t touch. This is a dress, not a yes. »
« Ne me dis pas comment m’habiller. Dis aux hommes de ne pas violer. »
« Mes vêtements ne sont pas transparents tout comme ma dignité !!! »


Le contexte : la SlutWalk est née suite à des propos sexistes tenus par un policier au Canada


Tout a commencé à Toronto (Canada), en avril 2008, à l’université de York, dans une école de droit. Alors qu’il y faisait un exposé sur la sécurité, Michael Sanguinetti, officier de police, a déclaré aux étudiants présents : « Les femmes ne doivent pas s’habiller comme des salopes si elles  veulent éviter de subir des violences. » Cette déclaration a immédiatement provoqué un tollé un peu partout dans le monde. Aux quatre coins de la planète, de nombreuses femmes se sont indignées et mobilisées. D’après elles, les femmes ont le droit de s’habiller comme elles l’entendent et le port de vêtements sexys ne justifie en aucun cas une agression sexuelle. La marche des salopes était née.


Le mouvement a rapidement pris de l’ampleur. Des groupes de « salopes » se sont formés un peu partout dans le monde, organisant des marches de protestation et de sensibilisation et défilant dans les rues pour soutenir la cause féminine. Des SlutWalk ont déjà eu lieu en Inde, aux Etats-Unis, en Australie, en Grande-Bretagne, etc. Au total, 70 villes ont accueilli des femmes défilant en tenues légères : Boston, Séoul, Vancouver, Sydney, Londres, Mexico, Paris… et aussi Bruxelles.


L’habillage féminin, sujet de nombreux débats


Si la démarche rencontre autant de succès, ce n’est évidemment pas un hasard. L’habillement féminin ne cesse d’être mis sur le devant de la scène par les médias. Les tenues féminines posent aujourd’hui bon nombre de questions et engendrent de nombreux débats. Burqa ou jupes courtes, trop de vêtements ou pas assez… Nos sociétés ne savent plus vraiment sur quel pied danser et sont contraintes de faire le grand écart entre le voile et l’absence de toute retenue. En Iran, par exemple, une marche des salopes serait tout simplement impensable. Les femmes seraient directement condamnées à la lapidation.


Le message : s’habiller sexy n’est pas un appel au viol


Partout, le message est identique : s’habiller sexy n’est pas un appel au viol. « On a des seins et des fesses, on n’a pas de raison de les cacher », clament les « salopes ». Peu importe la robe ou la mini-jupe, le viol n’est jamais excusable. Une femme est une femme. Elle a des formes et celles-ci ne sont pas un appel au viol. D’après les manifestant(e)s, les hommes doivent tout simplement apprendre à réfréner leurs pulsions.


En fait, les manifestations visent directement les comportements machistes. Les chiffres repris sur les tracts distribués lors de la SlutWalk parisienne sont parlants. D’après SlutWalk France, chaque jour, en France, 137 femmes sont violées. Une femme sur dix est victime de violences sexuelles. Et tous les deux jours et demi, une femme meurt sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint.


Le mouvement se structure


Vu l’ampleur qu’a pris l’événement, le mouvement s’est peu à peu structuré. Des responsables régionaux ont été désignés. Ils sont chargés de coordonner les manifestations à un niveau national. En Belgique, un collectif « Slut Walk Belgium » a été mis en place. Julie Richel, co-organisatrice de la SlutWalk Belgium, explique son point de vue sur le sujet : « De telles justifications à la violence sexuelle, au nom d’une soi-disant norme morale, sont inacceptables. La violence, qu’elle soit sexuelle ou d’une autre nature, est injustifiable. Les gens ont le droit de marcher en rue comme ils le souhaitent, se donner la main ou s’embrasser sans que ce soit considéré comme scandaleux ».


Les organisateurs de la SlutWalk Belgium sont relativement contents de cette première expérience. « On est suffisamment nombreux. Ça aurait été chouette qu’on soit plus, mais c’est un début et ça se passe bien. »


Les arguments des « salopes »


Pour les « salopes », le combat est donc important et s’attaque directement à la misogynie. Mais attention, même si elles défilent en tenues légères, les manifestantes tiennent à préciser que le but de leur démarche n’est pas de conseiller aux femmes de s’habiller de façon provocante. En organisant ce type d’événements, elles souhaitent avant tout évoquer, mettre en avant et surtout dénoncer le sentiment de culpabilité qui envahit les victimes de viol. Car lorsqu’une femme est victime d’un viol, elle est bien souvent blâmée et considérée comme fautive. Elle a sans doute dû être « trop sexy », « trop saoule » ou « trop imprudente ». D’après les salopes, il existe une véritable « culture du viol ». Celui-ci est bien trop souvent sujet à plaisanteries. Il est relativisé et du coup, les mentalités ne peuvent pas évoluer.


Les arguments des opposants


La marche des salopes ne reçoit cependant pas le soutien de l’ensemble de la communauté féministe. Nombreux sont celles et ceux qui se posent des questions sur le moyen utilisé par les « salopes » pour défendre la cause qui les occupe. En défilant en tenues légères, les femmes ne font que reprendre et défendre les codes esthétiques utilisés par les canons de la publicité et de l’industrie du divertissement. Se déguiser en « salope » pour revendiquer sa liberté… n’est-ce pas rester conditionné par une industrie sexualisée, machiste et masculine, sans rien y changer ?


Bien sûr, pour beaucoup, les « salopes » ont raison de dénoncer le viol. Mais la manière de le faire ne sert peut-être pas réellement leur cause. Où se trouve le sens de la pudeur ? N’a-t-on pas envie de garder un peu d’intimité ? Être une salope permet-il vraiment de s’épanouir ?


D’autres encore estiment que manifester à moitié nu risque de provoquer l’effet opposé à celui qui est recherché. Certains hommes se demandent comment ne pas se sentir aguiché par une femme qui porte ce genre de tenue. « Revendiquer le droit de s’habiller sexy sans risque de violence sexuelle, c’est comme manifester pour avoir le droit de sauter sans parachute sans risque de mourir ou de se blesser gravement. On ne change pas la nature humaine comme ça », explique un internaute sur le forum du Soir en ligne.
Un trop plein de démonstrations peut également choquer les enfants, les personnes âgées, les personnes plus réservées. Défiler dans de telles tenues a un caractère choquant, provoquant. Incitant, même. En s’habillant de la sorte, les « salopes » maximisent les chances de dérapage avec des hommes un peu moins équilibrés. Pour beaucoup, il y a des limites à la décence et c’est un minimum de respect pour les autres que de ne pas rendre apparentes des choses que notre culture, notre éducation et la société en général nous ont appris à cacher depuis que nous sommes enfants.


Conclusion


Ces manifestations ont le grand avantage d’attirer l’attention des médias et donc de susciter la réflexion : des femmes quant à leur manière de se vêtir et de se sentir libres dans leurs choix ; des hommes quant à leurs attitudes vis-à-vis des femmes en général et vis-à-vis de celles qui choisissent un style plus sexy en particulier ; des éducateurs et des personnes investies d’une responsabilité publique quant à leur manière de réagir vis-à-vis des viols et des attitudes agressives et sexistes à l’encontre des femmes. On peut cependant se demander si la méthode utilisée ne renforce pas les clichés hypersexualisés des médias. Faut-il choisir de manifester sans outrance au risque de ne recevoir qu’un écho confidentiel ou oser l’outrance pour provoquer le débat ? Chacun y répondra pour lui-même, mais on peut relever le fait que ce type d’action ne suffit en tout cas pas à promouvoir des attitudes différentes et ne prend sens que si d’autres actions sont entreprises, par exemple dans le champ de l’éducation permanente.


Par ailleurs, les parents et les éducateurs peuvent prendre occasion de ces actions pour susciter une réflexion sur la pudeur avec les plus jeunes. L’histoire montre que la pudeur est une notion très relative, qui varie en fonction des époques, des régions, de la culture et des circonstances dans lesquelles on se trouve.  Pas de règles absolues en ce domaine. Il est tout de même utile d’être conscient que si l’on choisit de transgresser les codes en vigueur en un lieu particulier, on risque de provoquer des réactions pas nécessairement souhaitées. Les parents peuvent avoir à cÅ“ur de rendre leurs filles plus critiques par rapport à une pression culturelle à l’hypersexualisation, qui les incite à adopter des stéréotypes de genre très clivés. Ils auront tout autant à cÅ“ur de rappeler à leurs garçons que rien ne leur donne le moindre droit d’adopter une attitude irrespectueuse ou agressive vis-à-vis d’une fille, quelle que soit la manière dont elle est vêtue. C’est un peu le message que veulent faire passer les « salopes »

 


Références:

Analyse rédigée par Isabelle Bontridder

 

 

 

 

 

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