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Analyse 2011-3 

Les relations entre les parents et les enseignants ne se passent pas toujours dans un climat de parfaite harmonie. Chacun veut éduquer à sa manière et cela peut être source de conflit. Pourtant, les uns et les autres se préoccupent de l’épanouissement de l’enfant. Il faudrait encore qu’ils s’en préoccupent ensemble : c’est cela la coéducation.

 

L’école a changé. Elle ne fonctionne plus aujourd’hui comme il y a 50 ans. Elle s’efforçait hier de faire de l’instruction, de transmettre des savoirs. Elle est beaucoup plus amenée aujourd’hui à enseigner, à éduquer. Etre enseignant, aujourd’hui, c’est un peu dire à l’enfant : « Tu es digne de découvrir le monde ».

 

Quand les parents s’énervent pendant les devoirs scolaires de leurs enfants, c’est un symptôme d’hyperparentalité. L’enfant doit arriver à faire ses devoirs pour prouver que ses parents sont de bons parents. Pourtant, en s’énervant, le parent crée de l’anxiété chez l’enfant, ce qui lui fait perdre l’essentiel de ses moyens. Il devrait plutôt s’efforcer de cultiver l’estime de soi.  Elie Wiesel raconte ainsi qu’au retour de l’école, sa maman lui demandait non pas « As-tu donné de bonnes réponses aujourd’hui ? », mais « As-tu posé de bonnes questions aujourd’hui ? ». L’enfant qui réussit à l’école est celui qui préserve son plaisir d’apprendre. L’apprentissage ne doit pas être une source de danger mais une source de plaisir.

 

De la famille Ingalls à la famille Simpson Les familles ont changé et on pourrait symboliser cette évolution à travers deux séries télévisées : « La petite maison dans la prairie » et « Les Sympson ». Dans la famille Ingalls, les enfants doivent être obéissants. Les règles de vie et les objectifs sont clairs. C’est en obéissant qu’ils deviendront des enfants « bien élevés » et qu’ils avanceront dans la vie. Chez les Simpson, au contraire, ce n’est plus l’obéissance qui est le critère mais l’épanouissement personnel de chacun. Les protagonistes se posent beaucoup de questions… et trouvent quelquefois des solutions partielles.

 

A l’image de la famille Simpson, la plupart des parents d’aujourd’hui cherchent à rendre leurs enfants heureux. Puisque la famille est considérée comme le siège du bonheur, l’enfant ne devrait pas connaître la déception. Les parents ont donc beaucoup de mal à accepter que l’enfant soit frustré à l’école. Il est pourtant important de pouvoir connaître la déception et les chagrins d’amour.

 

Deux systèmes éducatifs différents

 

Dans ce contexte, la confrontation de deux systèmes éducatifs différents, à l’école et à la maison, comprenant chacun leurs règles de fonctionnement, pose souvent problème. D’autant qu’avec les nombreuses séparations et recompositions familiales, les enfants sont déjà confrontés parfois à deux systèmes familiaux différents.

 

Un petit exemple pour illustrer les contradictions auxquelles les enfants sont confrontés. Brian a été sanctionné à l’école. Il a dit « putain » en classe et a reçu un zéro. Quand il rentre à la maison avec son bulletin, sa maman l’interpelle : « Putain, Brian, qu’est-ce que tu as encore fait pour attraper un zéro ? ». Comment peut-il comprendre ? Comment  peut-il ne pas interpréter la sanction comme une condamnation de toute sa famille ?

 

L’espace scolaire et l’espace familial sont régis l’un et l’autre par des normes et des règles. Dans l’exemple ci-dessus, la norme serait : « Il faut être poli ». On peut supposer que l’exigence fonctionne à l’école comme à la maison. Pour ce qui est des règles, elles diffèrent selon les espaces. La famille de Brian peut considérer que « putain » n’est pas un mot grossier car il est banal dans leur vocabulaire. De la même manière que cela sera toléré dans la cour de récréation alors que c’est interdit en classe. L’enseignant peut donc interdire « putain » dans l’espace de la classe, mais s’il porte un jugement et considère que ceux qui utilisent ce langage sont grossiers, il juge les parents de Brian et risque de provoquer des conflits.

 

Des normes et des règles

 

L’espace doit être régulé mais les normes sont implicites et ne supposent pas de sanctions, alors que les règles sont précises et que leur violation entraîne des sanctions. Si le parent dit à son enfant qui part à une soirée « Ne rentre pas trop tard », on peut considérer qu’il s’agit d’une norme. S’il lui dit « Tu dois être rentré à 2 heures », il s’agit clairement d’une règle, qui doit être respectée sous peine de sanction. Mais une règle ne fonctionne qu’à l’intérieur d’un espace particulier, alors que la  norme a une portée plus générale.

 

L’enfant performant est celui qui est capable de passer d’un espace à l’autre en s’adaptant aux différentes règles qui y ont cours. Les problèmes surgissent souvent quand on se limite à diffuser des normes, sans préciser de règles. Il peut y avoir des règles différentes à l’école et à la maison, ou entre la manière de vivre chez papa et chez maman, pour autant qu’elles soient claires et qu’un des acteurs n’essaie pas de changer les règles qui ont cours chez l’autre.

Les difficultés se posent le plus souvent dans les espaces où les règles ne sont pas clairement définies et où plusieurs acteurs estiment avoir leur mot à dire. Un exemple : la cour de récréation. Elle fait partie de l’espace scolaire mais les enfants y séjournent déjà avant le début des classes et la surveillance par les enseignants ou éducateurs n’est pas toujours très soutenue. Pourtant, beaucoup de parents voudraient que leur enfant n’y courre aucun risque. Il faut donc réguler cet espace.

 

Expérience dans une école

 

Une expérience a été menée dans certaines écoles. Les plaintes venaient du fait que certains enfants passaient leurs récréations à courir d’un bout à l’autre de la cour, alors que d’autres y organisaient des matches de football et que certains voulaient simplement bavarder. Ceux qui voulaient courir étaient gênés par les ballons, les joueurs de foot n’arrivaient pas à faire leur match et ceux qui bavardaient étaient sans cesse bousculés.

 

Pour réguler l’espace, l’école a défini plusieurs zones dans la cour : une zone pour jouer au ballon, une sone pour courir et une zone où des bancs ont été installés. Cela a déjà éliminé beaucoup de difficultés. Mais cela n’a pas permis d’éviter les injures et le harcèlement. Certains enfants, pour montrer qu’ils existent, ont besoin de « casser » quelqu’un d’autre, de l’humilier. Un enfant traite une fille de « grosse ». Une fois en passant, puis plusieurs fois, puis à répétition. Et puis plusieurs le font… Cela devient du harcèlement. Il est très difficile d’agir sur l’enfant harceleur, de le convaincre que son comportement est inadéquat, parce que ces enfants ont généralement peu d’empathie vis-à-vis des autres. Par contre, un enfant harceleur a besoin d’un public qui lui emboite le pas. Et son public, lui, peut éprouver de l’empathie. L’initiative de médiation qui existait dans l’école a donc agi sur l’entourage de l’enfant harceleur pour faire cesser le harcèlement. Une fois qu’il n’a plus été suivi par les autres, l’enfant harceleur a abandonné son comportement. Bien sûr, la médiation ne peut pas fonctionner de la manière avec des enfants de tous âges. Dans cette école, elle est organisée par l’enseignant de la première à la quatrième primaire. En cinquième année, c’est un élève qui s’en charge mais en présence de l’enseignant, et en sixième, l’élève organise la médiation sans le secours de l’enseignant.

 

Un autre problème s’est posé dans cette école. Des enfants avaient imité un match de catch en se lançant sur un enfant qui était au sol. Et un des enfants avait filmé la scène avec son gsm. Dans ce cas, seul l’enfant qui avait filmé la scène a été sanctionné, parce qu’une règle de l’école interdisait de filmer des actes de violence. Par contre, comme aucune règle n’interdisait de « jouer au catch », l’option a été d’ouvrir un espace de dialogue avec les enfants pour discuter de ce type de comportement.

 

Les pièges de la coéducation

 

La gestion de ces espaces intermédiaires, où l’espace de famille et celui de l’école se rencontrent, sont souvent source de conflit. Il s’agit de la cour de récréation, mais aussi des devoirs à la maison, de l’utilisation du gsm, des arrivées tardives à l’école, etc. La coéducation, le souci commun de l’intérêt de l’enfant devrait permettre de résoudre ces conflit, mais cela demande d’éviter trois risques principaux.

 

Coéduquer, ce n’est pas coenseigner. Si le parent critique les méthodes d’enseignement, cela irrite les enseignants et amène l’école à dresser des barrières pour éviter de se laisser envahir par certains parents.

Coéduquer, ce n’est pas non plus cogérer. Quand le parent porte des jugements sur la manière de gérer l’espace scolaire (Vous ne devriez pas autoriser cela dans la cour de récréation, Vous devriez faire construire un préau, etc.), cela est aussi perçu comme une intrusion.

Coéduquer avec la famille, ce n’est pas non plus éduquer la famille. Si l’enseignant se permet de juger la famille (Votre enfant est mal élevé, La tenue de votre enfant est négligée, etc.), il se pose en police de la famille et devient intrusif dans l’espace familial.

 

Quand on parvient à éviter ces trois écueils, la collaboration devient possible et elle est bénéfique pour tous, en particulier ceux qui sont confrontés à des différences importantes entre l’univers familial et l’univers scolaire .

 

(1)Texte rédigé par José Gérard (Couples et Familles) sur base de la conférence débat animée par Bruno Humbeeck, professeur à l’Université de Mons-Hainaut, dans le cadre desMidis de la Famille organisés par l’échevinat de la Famille de la Ville de Bruxelles avec collaboration avec Couples et Familles.

DIOP
Je suis instituteur dans une école et je voudrais renforcer mes compétences dans ce domaine.
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