Analyse 2012-19
L’idéalisation est un mécanisme de défense utilisé par certains pour se voiler la face devant certains événements tristes ou des souffrances trop difficiles à encaisser. Embellir le réel peut s’avérer tantôt bénéfique, tantôt dangereux. Car une idéalisation trop forte peut mener tout droit à la dépression.
Qu’est-ce que l’idéalisation ?
Un peu comme l’alcool ou les drogues, l’idéalisation est un mécanisme de défense très répandu qui a pour conséquence la déformation de la réalité. But inconscient du processus : éviter de souffrir. En idéalisant son emploi, son enfant, son ami ou son conjoint, l’idéaliste fuit le réel et évite de subir une peine trop lourde. L’idéalisation procure – à celui qui l’utilise – un sentiment de paix et de bien-être. Elle aveugle l’idéaliste et le maintient dans une existence et dans des jugements irréalistes. Ce processus inconscient agit, en fait, comme un anesthésiant. Il calme les angoisses d’une réalité trop compliquée. Certaines personnes ne parviennent pas à gérer leurs émotions et ne supportent pas de ressentir des réactions affectives telles que la peur ou la colère. Selon les situations, l’idéalisation permet donc de tranquilliser ou de contenir de l’agressivité. Un homme qui ne tolère pas ses sentiments d’agressivité sublimera sa femme pour ne jamais avoir à se disputer avec elle. Une femme qui craint l’engagement idéalisera l’amour pour ne jamais le trouver . D’une manière générale, l’être humain idéalise surtout son travail, son partenaire et ses enfants.
Qui est concerné ?
Les personnes les plus sujettes à souffrir d’idéalisation sont celles qui ont manqué d’affection dans leur petite enfance. L’idéaliste attend de l’objet idéalisé qu’il le contente à cent pour cent et qu’il comble ses besoins, comme ses parents auraient dû le faire pour lui. Bien sûr, cette attente est impossible à combler. L’idéaliste ne sera jamais satisfait car la demande s’adresse, en fait, aux figures nourricières qui lui ont fait défaut.
Idéaliser son couple
Dans notre société occidentale, l’amour suscite bien des tensions et est, de ce fait, de plus en plus idéalisé. Développement personnel, recherche du bonheur, vie sexuelle et amoureuse épanouie… La pression est constante. Les attentes sont souvent exagérées et déraisonnables. Le partenaire recherché doit remplir un nombre important de critères. S’il ne les remplit pas, la relation semble inenvisageable. En plaçant autant d’espoir dans le couple, nombreux sont ceux qui placent la barre trop haut, qui attendent une relation impossible à atteindre et qui désespèrent donc de trouver chaussure à leur pied.
Les Belges restent d’ailleurs célibataires de plus en plus tard. Le pays compte 1,5 millions de personnes seules, ce qui équivaut approximativement à 1 Belge sur 7. En 30 ans, le nombre des célibataires a plus que doublé. Ils n’étaient que 600 000 dans les années septante. Ghislaine Julémont, sociologue de la famille, donne plusieurs explications potentielles à cette augmentation. "D’abord, même si le mariage reprend un peu de vigueur, les gens hésitent plus à s’engager et restent donc célibataires plus longtemps. Et parmi les divorcés, nombreux sont ceux qui désirent garder une certaine indépendance même quand ils ont une relation. Les deux membres du couple gardent chacun leur logement, tout en vivant ensemble. Ils restent donc officiellement célibataires. Cette situation est de plus en plus fréquente, même chez les personnes âgées."
Les relations de couple étant de plus en plus difficiles à établir, lorsqu’une rencontre a lieu et qu’elle finit par se concrétiser, certaines personnes ont tendance à s’y accrocher. La personne qui se trouve devant elles leur parait sensationnelle. Il ne s’agit plus d’un être humain, avec ses propres aspirations – souvent différentes des leurs – mais de la personne idéale : celle qu’elles ont toujours attendue. La personne est parée de toutes les qualités. L’idéalisé a l’impression que sa relation de couple est parfaite.
D’après les chiffres, les femmes vivant seules seraient plus nombreuses que leurs homologues masculins. Elles seraient 800 000 pour 700 000 hommes . Il faut dire que le mythe du prince charmant, véhiculé au travers des contes, n’aide pas les femmes à vivre des relations amoureuses épanouies. La quête du prince charmant est, en effet, vouée à l’échec. L’amour porté à un être exemplaire est de l’amour-adoration. La personne est en admiration devant cet être qu’elle estime parfait… et donc supérieur. Or, on ne bâtit jamais une relation sur une idéalisation, sans quoi les frustrations sont garanties.
Une idéalisation nécessaire au début de la relation
Au début de la relation de couple, l’idéalisation est toutefois normale, et même nécessaire. La personne la plus banale est transformée en personne parfaite. Au début de la relation, ce qui ne va pas, on ne le voit pas, car chacun des partenaires renvoie à l’autre une image sublimée de lui-même. C’est après la passion du début que le couple va accepter – ou non – de sortir de l’illusion amoureuse et de se plier au fait que l’autre est imparfait. La relation doit s’inscrire dans le réel. Certains n’y arrivent pas. Débute alors une quête sans fin. Chaque candidat potentiel n’est jamais assez bien. L’idéaliste a le sentiment qu’il trouvera toujours mieux ailleurs. Personne ne satisfait jamais ses espérances et il préfère alors vivre de petites aventures tout en conservant une histoire d’amour idyllique dans la tête.
Ce type de comportement est souvent signe d’une angoisse profonde. Les gens qui cherchent l’amour parfait sont ceux qui le redoutent le plus. S’ils le rencontrent, ils prennent la fuite, paralysés par la peur de s’y perdre ou par l’impression d’en être indignes.
Idéaliser son passé
L’idéalisation s’applique à des personnes et à des relations, elle peut aussi concerner des objets ou des souvenirs. Certaines personnes idéalisent leur passé. Elles n’arrivent pas à être pleinement dans le présent, se projeter dans l’avenir. Et cette incapacité les empêche de développer leur potentiel et d’avancer dans la vie. En idéalisant leur passé, elles revendiquent un bilan de vie positif et de pouvoir se dire « mon existence a eu un sens ». Sans ce mécanisme de défense, certaines personnes en fin de vie ne pourraient supporter le constat qui consiste à dire « J’ai raté ma vie ».
Bien souvent, rester prisonnier de son passé est la preuve que certaines choses n’ont pas été réglées, qu’un fort traumatisme n’a pas été "digéré" à temps. Il nous tire vers l’arrière et nous empêche d’avancer. Si le travail de deuil est toujours difficile à faire, c’est aussi parce qu’il renvoie à la notion de "finitude", de révolu et, par extension, à l’idée de notre propre mort. Mais aussi parce que, dans le cas de la disparition d’un proche, par exemple, on pense que "faire le deuil" reviendrait à "oublier", ce que l’on se refuse à faire. Inconsciemment, on s’efforce donc de faire survivre cet autre en restant tourné vers lui, dans le passé .
L’idéalisation : du pour et du contre
L’idéalisation est un mécanisme de défense tantôt précieux, tantôt dangereux. Une idéalisation mal dosée peut mener tout doit à la dépression. Mais l’idéalisation ne doit pas toujours être considérée comme une anomalie. Elle peut aussi adoucir le réel et embellir la vie sans pour autant constituer un danger.
La psychologie distingue deux types d’idéalisation : l’idéalisation saine et l’idéalisation pathologique . L’idéalisation saine est motivée par le désir. C’est l’idéalisation passagère des débuts d’une relation. Après quelques mois, la réalité de l’autre finit par s’imposer aux yeux des partenaires : il n’est pas parfait. Arrive alors le moment où chacun des conjoints prend la décision de construire une relation vraie, de regarder l’autre tel qu’il est véritablement et de l’aimer avec ses qualités, mais aussi avec ses défauts. La relation – qui jusque là était idéale – se modifie en un arrangement plus réaliste et plus mature.
L’idéalisation saine est bénéfique. Elle enjolive le réel et sauve de la banalité. Le partenaire, le travail, les centres d’intérêt sont valorisés. L’idéalisation saine donne de la saveur à la vie. Lorsque la désillusion gagne, l’idéaliste souffre et a un deuil à faire, mais il cicatrise.
Mais parfois, l’idéalisation peut causer de graves torts. Lorsque la réalité le rattrape, l’individu tombe de haut et se fait mal. L’idéalisation a été trop forte. Des insatisfactions, des conflits et des doutes apparaissent. La réalité devient décevante. L’idéalisation n’est plus possible, et l’idéaliste passe du tout au rien. Les sentiments sont fragilisés et l’attirance diminue. La désillusion vient détruire une relation qui, en fait, était imaginaire. Et l’idéaliste se demande tout à coup : « Comment ai-je pu être aussi aveugle ? » Au plus l’idéalisation a été grande, au plus la désillusion et la douleur sont grandes. Le couple finit alors souvent par rompre ou tombe dans des rapports de haine et de dépendance.
L’idéalisation pathologique est motivée par le besoin vital. L’objet idéalisé sert de prothèse narcissique pour masquer les manques. L’idéalisation est alors un aveuglement, un refus de voir la réalité. L’idéaliste ne parvient plus à vivre sans l’objet qu’il idéalise. Sans cet objet, son existence n’a plus de sens. L’objet idéalisé doit apporter un remède à toutes les souffrances. Si tout à coup l’objet idéalisé ne remplit plus ce rôle, l’identité de la personne est brisée.
Des solutions pour éviter l’idéalisation
Dans un premier temps, il faut pouvoir reconnaître l’idéalisation. Ensuite, remplacer son idéal par un autre. Lorsqu’on a pris conscience de l’idéalisation, il faut pouvoir reconnaitre que la barre a été placée trop haut, revoir ses attentes et redéfinir son idéal.
Bien sûr, un idéal ne doit pas nécessairement être un objectif à atteindre tout de suite. On peut, tout au long de sa vie, tenter de se rapprocher au plus près de son idéal. En définitive, l’idéal finit plus par représenter un chemin à suivre qu’une fin en soi .
[1] http://www.psychologies.com/Culture/Philosophie-et-spiritualite/Savoirs/Articles-et-Dossiers/Suivre-son-ideal-une-force-ou-un-piege/Les-risques-du-trop-beau
[2] Voir à ce propos le Dossier NFF 74 : « Les nouveaux célibataires », 2005.
[3] http://www.famidoo.be/fr/Un-Belge-sur-7-celibataire
[4] http://www.famidoo.be/fr/Un-Belge-sur-7-celibataire
[5] http://www.psychologies.com/Therapies/Developpement-personnel/Epanouissement/Articles-et-Dossiers/Je-vis-dans-le-passe
[6] http://www.psychologies.com/Culture/Philosophie-et-spiritualite/Savoirs/Articles-et-Dossiers/Suivre-son-ideal-une-force-ou-un-piege/Les-risques-du-trop-beau
[7] Analyse réalisée par Isabelle Bontridder
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