Analyse 2014-01

 

Il est un classique de début d’année qui ne passe pas inaperçu : le Salon de l’auto. Une année sur deux, il reçoit de nombreux visiteurs, amateurs de bolides et de belles carrosseries. Mais, il n’y pas que des voitures à admirer au Salon de l’auto !

Un incident qui alerte

Au Salon de l’auto, c’est de notoriété publique, on n’admire pas que les belles automobiles. Les hôtesses font aussi le show. Elles portent des tenues sexy, souvent courtes et proches du corps. Elles tiennent des poses aguicheuses autour des véhicules.

Lors de la précédente édition en 2012, l’événement automobile avait quelque peu défrayé la chronique en raison de l’attitude peu correcte de certains de ses visiteurs. Deux hommes n’avaient pu contenir leur libido devant les jeunes femmes du stand Suzuki et ils s’étaient adonnés à un petit plaisir solitaire à l’intérieur d’un véhicule d’exposition. Pris en flagrant délit de masturbation, les malotrus avaient été reconduits à la sortie sans autre forme de procès.

Cet incident a poussé Joëlle Milquet, en charge de l’Egalité des chances, à sortir de sa réserve et à inviter les organisateurs du salon à s’interroger sur l’image que l’on donne de la femme dans un événement comme celui-là. Dans un entretien accordé à La Libre Belgique, elle commentait sa visite au salon comme ceci : « Sans jouer les vierges effarouchées, il y a des choses inacceptables. Je suis allée au Salon de l’auto. Quand je vois de belles mécaniques, blinquantes et, à côté, des femmes comme des bimbos, ça me choque : je vois deux objets. Pour le prochain salon, je voudrais qu’il y ait des recommandations [1] ». Et la ministre de proposer dans un courrier à Pierre Hermant, directeur du salon, que les constructeurs automobiles signent une charte dans laquelle ils s’engagent à ne plus utiliser ces femmes-objets. En effet, lorsqu’on sait que le Salon de l’auto est un lieu où on se rend en famille, il convient de s’interroger sur la transmission de stéréotypes aux enfants et aux jeunes adultes [2].

A la Febiac, on a pris bonne note de la lettre de Joëlle Milquet. On a relayé l’information aux constructeurs. Mais on refuse catégoriquement de faire la police en cette matière.

Le 92e Salon de l’auto a-t-il tiré quelques leçons ?

Cette année, au terme du 92e Salon de l’auto, peut-on conclure que des leçons ont été tirées des dérives passées et que l’utilisation des hôtesses a été transformée ? Pas vraiment. Même pas du tout ! Chez Couples et Familles, nous pensons plutôt que certains ont pris des initiatives qui font penser à des pieds-de-nez aux remarques de Joëlle Milquet. Chez Suzuki, à côté des hôtesses aux décolletés profonds, on a planté un homme. Désormais, certes, il y a des femmes-objets, mais il y a aussi un homme-objet. L’égalité est donc rétablie !

Chez Kia, c’est le spot publicitaire télévisé qui choque. On y voit d’abord un homme en costume qui présente quelques modèles de voitures en tenant le discours suivant : « Kia se concentre exclusivement sur les voitures : qualité, garantie de 7 ans, design d’exception ». Puis, l’homme entre dans un garage, y allume la lumière et à l’image, apparaissent des hôtesses tout sourire, emballées ensemble dans de la cellophane et rangées dans une étagère. La voix off de l’homme continue en disant : « Alors, pas besoin des artifices habituels. Si vous pouvez faire quelque chose de tout ceci et bien vous pouvez les avoir… Tout est gratuit ! ». Emballer des femmes, les ranger dans une étagère et les offrir gratuitement, il n’y a pas mieux pour réduire celles-ci à de simples objets.

Par ailleurs, dans une campagne publicitaire radio faisant la promotion générale du Salon 2014, on annonçait la couleur. Divers spots étaient diffusés sous forme de témoignages : « Moi, j’aime me rendre au Salon de l’auto pour découvrir de nouveaux modèles et prototypes » ; « Ce que j’aime au Salon de l’auto, c’est que tous les constructeurs sont rassemblés, on peut voir toutes les gammes de voitures en un seul endroit » ; « Ce qui est bien au Salon de l’auto, c’est qu’il y a de jolies filles » ; etc.

Des bimbos au Salon de l’auto : est-ce bien utile ?

Le Salon de l’auto de Bruxelles n’est pas une exception, tous les événements de ce type recourent à des mannequins et jeunes femmes triées sur le volet pour jouer les faire-valoir des modèles d’exposition et les hôtesses d’accueil. On peut cependant se demander pourquoi il faut exhiber des jeunes femmes pour vendre des voitures ? Considère-t-on les visiteurs des salons automobiles (majoritairement des hommes, il faut bien le dire), comme de rustres personnages, ne sachant résister à leur instinct primaire, qu’il faille recourir à ces artifices pour espérer leur vendre des voitures ? En tout cas, les jeunes femmes sont averties : ne pas s’isoler avec un visiteur, laisser les portes des véhicules ouvertes lorsqu’elles s’y installent aux côtés d’un visiteur, éconduire les dragueurs indélicats avec diplomatie, gentillesse et fermeté.

Pour Stéphanie Pahud [3], docteure en lettres et enseignante à l’Université de Lausanne, les notions de plaisir et de désir se trouvent au cœur de la logique d’achat d’une voiture. Par conséquent, associer plaisir et désir automobiles aux plaisirs et désirs charnels est une évidence du point de vue de la logique commerciale. Pour les constructeurs, il est impensable d’organiser un salon automobile sans la présence de femmes. En matière de voitures, les stéréotypes de genre sont tenaces tant sur le plan masculin que féminin. Le caractère anthropomorphe de leur produit ne leur a pas échappé. La voiture est un objet voyant et vu, il doit refléter la personnalité de son conducteur. Aux hommes de belles voitures, puissantes, efficaces, performantes. Déjà tout petit, ils en rêvaient. D’abord ils ont joué aux petites autos, puis au circuit de course, ils ont eu une voiture téléguidée. Une fois leur permis en poche, ils peuvent accéder à la vraie voiture. Dans la réflexion avant l’achat, l’avis de l’homme de la famille est primordial. C’est lui, la cible commerciale à toucher. Majoritairement, les hommes sont hétérosexuels et en matière de sexe, les mêmes notions de puissance, efficacité et performance sont mises en avant pour eux. Etre au volant d’un bolide rutilant aux côtés d’une femme à la plastique irréprochable, c’est un plaisir et souvent un rêve. En offrant ce rêve durant quelques heures à l’occasion du Salon de l’auto, c’est une opportunité pour les constructeurs de marquer des points auprès des hommes qui ont une part importante dans la décision d’achat d’un véhicule.

Le Salon de l’auto, c’est en quelque sorte, une parade de séduction côté constructeurs comme côté visiteurs. Les belles carrosseries et les jolies femmes n’attendent qu’à trouver un partenaire et s’en faire séduire tandis que dans les allées, des hordes de mâles jouent au paon de pacotille dans un jeu de séduction dont, nous l’espérons, personne n’est dupe.


Et qu’en pensent les femmes-objets ?

Etre hôtesse n’est pas évident. Perchées sur leurs talons hauts, elles doivent tenir la distance non stop durant de longues heures chaque jour et durant toute la période du salon. Etre toujours souriantes et avenantes. Répéter sans cesse les mêmes informations à propos des véhicules tout en donnant toujours l’impression que la conversation avec le client potentiel est passionnante et inédite.

La perception qu’on a de ces jeunes femmes est souvent peu glorieuse. On les imagine sans cervelle, juste agréables à admirer. A l’occasion d’un reportage pour la télévision suisse, des journalistes se sont intéressés à l’arrière du décor pour savoir qui sont ces filles qui jouent les hôtesses au salon de l’auto de Genève, pourquoi elles se plient à ce petit jeu et comment elles sont choisies [4]. On y apprend que ces demoiselles sont loin d’être incultes. Comme pour se dédouaner d’utiliser des hôtesses, les constructeurs recrutent parmi les femmes universitaires ou en cours d’études. L’un des requis indispensables est d’être multilingue. En Suisse, le français, l’allemand et l’italien sont essentiels ; en Belgique, il faut au minimum parler le néerlandais et le français. Il faut être capable en une formation de courte durée préalable au salon d’intégrer une importante quantité d’informations concernant la marque et ses modèles. Bref, l’idée simpliste selon laquelle on est forcément idiote si on est belle ne suffit pas dans le cas qui nous occupe. On a tendance à victimiser toutes ces jeunes femmes.

Lorsqu’on les interroge sur les raisons de leur engagement pour devenir hôtesse, ces jeunes femmes se présentent d’abord comme coupables. Premièrement, elles s’excusent d’être jolies, ensuite elles se sentent coupables de participer ainsi à une logique d’oppression des femmes. Elles ne sont pas crédules, elles savent qu’elles ont été retenues surtout pour leurs qualités esthétiques, leur élégance, la longueur de leurs jambes, le galbe de leur fessier. Mais elles seront au bout du compte extrêmement bien rémunérées pour une durée de travail assez courte. Cela permettra de payer une partie des études, des livres ou un voyage, c’est selon. Mais il est faux de penser que ces femmes sont forcément soumises et oppressées ; qu’elles ne défendent pas certaines valeurs ou considérations d’égalité.

En conclusion

Il est assez illusoire de vouloir contrecarrer le lobby automobile et d’interdire les hôtesses pour des événements tels le Salon de l’auto. Mais il faut rester attentif aux dérives et aux exagérations. Les familles doivent être informées que le Salon de l’auto n’est peut-être pas le lieu idéal pour une sortie familiale contrairement à ce que peut en dire le site du salon. Visiter ce type d’événement doit se faire avec un œil averti sinon, on risque bien de tomber dans un piège marketing et dans une conception très stéréotypée des sexes. A moins que les parents prennent cette occasion pour attirer l’attention de leurs enfants sur les stéréotypes sexistes utilisés par le marketing et les invitent, de cette manière, à acquérir un regard critique. L’achat d’une voiture n’est pas rien. Cela pèse relativement lourd dans le budget d’une famille. Le choix du véhicule doit se faire de manière éclairée, réfléchie et en concertation dans le couple.

Le fait que les stéréotypes sexués soient toujours d’actualité, et de manière très exacerbée dans l’exercice publicitaire, rend le travail d’associations comme Couples et Familles d’autant plus précieux. C’est notre rôle d’éducation permanente d’enjoindre les hommes et les femmes à rester attentif à l’égalité. C’est notre rôle de les encourager à faire preuve de conscience critique devant des événements comme le Salon de l’auto afin de déconstruire les stéréotypes sexistes qui y sont véhiculés [5].

 

 


 

[1] « Joëlle Milquet repart au combat », in www.lalibre.be, 18/01/2012.
[2] « Salon de l’auto, les hôtesses seront surveillées de près », in www.dhnet.be, 26/09/2012.
[3] Stéphanie Pahud étudie les discours médiatiques, publicitaires et politiques. Elle a écrit notamment : Petit traité de désobéissance féministe, Arttesia, 2011 et Variations publicitaires sur le genre. Une analyse linguistique des représentations du féminin et du masculin, Arttesia, 2009.
[4] Reportage de Stéphane Brasey et Sabine Kennel, « Les filles du salon », diffusé sur la Radio Télévision Suisse dans l’émission Temps présent, magazine de reportages, 22/03/2012. Disponible sur le site de la RTS www.rts.ch.
[5] Analyse rédigée par Laurianne Rigo.

 

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