Analyse 2015-01

  Dans un passé pas si lointain, les violences conjugales étaient cachées. Aujourd’hui mieux reconnues par la société, elles font l’objet d’une sévérité plus grande et les victimes disposent de services où s’adresser pour s’en sortir. 

 

 

« De toutes les institutions de la société, la famille est la plus violente, à l’exception de la police et de l’armée en temps de guerre. » (Murray A. Straus et Richard J. Gelles).


Fin janvier, TF1 diffusait « L’emprise ». Enorme succès pour ce téléfilm inspiré du roman autobiographie « Acquittée » d’Alexandra Lange. Mais qui est-ce ? Et pourquoi un tel engouement autour de cette affaire ? Alexandra Lange, 32 ans, mère de quatre enfants, acquittée du meurtre de son mari-bourreau le 23 mars 2012 par le tribunal de Douai, après que l'avocat général, Luc Frémiot, eut lui-même pris sa défense. Une décision rarissime dans les annales de la justice française [1].


Une histoire d’amour, une histoire de violences conjugales, une histoire qui finit mal… Et par dessus tout, une autobiographie qui fait prendre conscience que la violence au sein des couples est une réalité aux conséquences destructrices et dramatiques ; voire fatales.


Les violences conjugales constituent un champ d’étude assez récent. En effet, depuis quelques années, des campagnes de sensibilisation et de prévention ont vu le jour ; brisant ainsi le tabou qui a longtemps entouré cette thématique.


L’Organisation Mondiale de la Santé définit la violence conjugale comme tout comportement au sein d’une relation intime qui cause un préjudice ou des souffrances physiques, psychologiques ou sexuelles aux personnes qui sont parties à cette relation. Ainsi, les hommes, tout comme les femmes, peuvent être victimes de ces violences.


Cette définition met l’accent sur les différentes formes que peut prendre la violence : physique, psychologique, sexuelle ; et à cela, nous pouvons également ajouter les violences économiques voire même administratives [2] (dans le cas où la victime risque de perdre son droit au séjour si elle rompt avec son conjoint).


Violence conjugale et conflit conjugal


Il convient de distinguer les violences conjugales du conflit conjugal. Un conflit implique un débat, une négociation, alors que la violence conjugale met en jeu des stratégies de domination qui se soldent par l’emprise de l’un des conjoints sur l’autre. Selon Amnesty International, la violence se caractérise par sa persistance, son impact destructeur, son effet de peur, son intention cachée de contrôle et de pouvoir sur l’autre [3].


Une différence majeure se marque également au niveau de l’impact sur la victime. Le conflit n’engendre pas de peur paralysante ni de crainte de représailles. Une liberté de réaction est observée entre les deux conjoints. Ce n’est pas le cas dans le cadre des violences conjugales ; où la plus petite réaction de la part de la victime pourrait mettre sa vie, ou celle de ses enfants, en danger. La victime est dès lors condamnée à l’impuissance [4].


Cycle de la violence conjugale


La violence conjugale s’explique de manière cyclique. Dans un premier temps, des tensions surviennent au sein du couple. Des conflits et des désaccords engendrent une frustration chez l’auteur qui manifestera un repli sur soi.


Ensuite, survient une explosion de violence qui va permettre à l’auteur de récupérer le contrôle sur son partenaire et d’asseoir son pouvoir.


S’en suit une phase de justification dans laquelle l’auteur se déresponsabilise de ses actes ; il les impute à des facteurs externes (comme l’alcool) et persuade la victime qu’elle est responsable des faits.


Enfin, l’étape de la lune de miel précède l’arrivée de nouvelles tensions. Durant cette période de réconciliation, l’auteur demande pardon, assure son amour à la victime. Celle-ci reprend espoir et culpabilise par rapport à sa réaction ; si elle a porté plainte, elle va se rétracter.


Pourquoi les femmes victimes de violences ne quittent-elles pas leur partenaire ?


D’abord, l’investissement particulièrement important de ces femmes dans la relation qu’elles ont construite les empêche de tout abandonner du jour au lendemain. Elles sont convaincues que si elles continuent à s’investir, elles parviendront à atteindre le type de relation qu’elles souhaitent. La victime est persuadée que l’auteur peut changer et que les violences cesseront.


La résignation constitue une autre explication. La victime s’attend à ce que les violences persistent quelles que soient ses réactions ou ses efforts. On parle de la théorie de « l’impuissance acquise ». La victime découragée développe des stratégies d’ajustements non pas pour échapper à la situation de violence mais pour y survivre.


Nous pouvons également évoquer la théorie de l’analyse des coûts et des bénéfices. Selon cette approche, la victime dresse une liste des avantages et des inconvénients qu’implique le fait de rester dans sa situation de couple. Parmi les aspects négatifs, on notera évidemment les actes de violences ; mais aussi, l’absence d’alternatives en cas de séparation. Si la victime ne sait pas où aller ni comment subvenir à ses besoins sans son conjoint, la décision de quitter la relation ne pourra être prise [5].


L’importance des preuves


Afin de lutter contre la violence dans les couples, la circulaire du Collège des Procureurs généraux du 1er mars 2006 a instauré une politique de « tolérance zéro ». L’un des objectifs de cette politique est de conscientiser l’auteur sur son comportement pénalement répréhensible. Dans les cas où la saisine du tribunal ne semble pas nécessaire, les services de police, ou le magistrat lui-même, effectuent un rappel à loi auprès de l’intéressé et lui somment de cesser les violences sous peine de poursuites, voire de mandat d’arrêt.


Depuis janvier 2013, une loi interdit temporairement à l’auteur de violences domestiques de résider auprès de la victime. Il est dès lors contraint à quitter le domicile (pour une durée de 10 jours maximum) et se voit interdire tout contact avec les personnes y résidant [6].


De plus, dans le cadre d’une procédure de divorce, l’attribution préférentielle du logement familial revient à la victime. Toutefois, pour obtenir ce statut de victime, le juge a besoin de preuves [7].


Peu importe le type de violence, une simple déclaration ne suffit pas à prouver quoi que ce soit. Quand les forces de l’ordre interviennent, un constat de flagrant délit est établi par les policiers. Ce document se doit d’être le plus exhaustif possible étant donné qu’il constitue une preuve qui sera ajoutée au dossier.


Lorsque des violences physiques ou sexuelles donnent lieu à des lésions, il est conseillé, d’une part, de les photographier ; et d’autre part, de consulter un médecin dans les plus brefs délais afin qu’il rédige un « certificat médical circonstancié ». Il est important qu’il mentionne si la victime est apte au travail ou pas. Si elle ne l’est pas, le code pénal prévoit des sanctions plus sévères [8].


À chaque nouvelle scène de violence, il est recommandé à la victime de se procurer un nouveau certificat médical, cela permettra de prouver la répétition et la fréquence des violences.


Dans le cas de violences psychologiques, il est toujours possible de porter plainte même en l’absence de preuves. Mais cela aboutira à la parole de l’un contre celle de l’autre. La victime peut donc recourir à des sms, mail, etc. pour appuyer ses dires. Les preuves sont centrales dans le cadre d’une procédure en justice. En effet, le juge doit motiver sa décision par des faits. Il est donc indispensable de garder des traces des violences [9].


Où trouver de l’aide ?


Il existe une ligne d’écoute spécialisée en matière de violences conjugales. Les victimes peuvent appeler gratuitement le 0800 30 030. Des professionnels sont à leur disposition afin de leur fournir écoute, réponses, informations, et aides pour sortir de la situation de violence. Ceux-ci sont joignables du lundi au samedi de 9h à 20h.


Ce numéro n’est pas exclusivement réservé aux victimes ; les proches (parents, amis, collègues) d’une personne subissant ou proférant des violences et se demandant comment réagir peuvent également appeler cette ligne.


Les auteurs qui ont conscience de leur problème et qui souhaitent faire cesser la situation sont également invités à contacter ces écoutants.


Attention, il ne s’agit pas d’un numéro d’urgence ; pour toute situation urgente, formez le 112.


Il existe également un site internet destiné à venir en aide aux personnes impliquées dans des faits de violences conjugales : www.ecouteviolencesconjugales.be.


Pour aller plus loin


La Fédération Wallonie-Bruxelles, la Wallonie et la CoCof se sont associées contre la violence psychologique entre partenaires en mettant sur pied une campagne de prévention qui ne laisse pas indifférent. Celle-ci s’intitule : « La violence psychologique, c’est de la violence tout court ».


Nous vous invitons à prendre connaissance de cette campagne via les sites internet suivants :


D’abord, sur le site : www.fredetmarie.be, un premier film d'une quinzaine de minutes vous est proposé. Vous y découvrez le couple Fred et Marie ; couple au sein duquel règne de la violence psychologique de la part de Fred à l’égard de Marie.


Puis, sur le site : www.marieetfred.be, vous pouvez découvrir la suite de l’histoire de Fred et Marie. Les violences psychologiques s’accompagnent désormais de violences physiques ; ce qui contraint Marie à s’éloigner pendant quelques jours de Fred. Mais l’emprise de celui-ci est toujours bien omniprésente. Est-il possible que les violences cessent ? Comme le dit le message véhiculé par la campagne : « La violence conjugale, pour en sortir, il faut réagir » [10].

 

 

 

 

 

 

 

 


 

[1] Alexandra Lange et Laurent Briot, Acquittée. Je l’ai tué pour ne pas, Michel Lafon , 2012.
[2] Marie Lieffrig, « Violences conjugales : quand il faut des preuves », in Axelle, n°174, décembre 2014, p.38.
[3] Brian May, Qu’est-ce que la violence conjugale ?, 18/02/2013, sur le site d’Amnesty International Belgique Francophone : www.amnesty.be.
[4] Fabienne Glowacz, Psychologie criminologique, cours de l’année préparatoire au grade de Master en Criminologie, Université de Liège, 2013-2014.
[5] Natasha Gugal, « Partir ou reste ? Facteurs liés à la prise de décision de quitter ou non une relation violente », in International Journal Of Victimology, Hiver 2011, tome 9, n°3, p. 390.
[6] Fabienne Glowacz, idem.
[7] Marie Lieffrig, idem.
[8] Ibidem.
[9] Ibidem.
[10] Analyse rédigée par Audrey Dessy, stagiaire (Master en criminologie, ULg) chez Couples et Familles.

 

 

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