Analyse 2017-09
Le transfert des allocations familiales du fédéral vers les entités fédérées a été l’occasion d’une réévaluation des priorités politiques en la matière. Couples et Familles s’est interrogé sur le mode de répartition des moyens disponibles. Faut-il privilégier l’égalité ou le soutien aux plus démunis ?
Aujourd’hui, dans la société belge, un ménage dont l’attributaire est en situation professionnelle précaire, avec un seul enfant à charge, touche autant d’allocations familiales pour cet enfant qu’une famille en situation financière aisée pour son premier enfant, et moins que cette dernière pour son deuxième ou troisième enfant. Ceci est questionnant. Qu’est-ce qui justifie un supplément financier pour les deuxièmes et troisièmes enfants ? Par ailleurs, comment se fait-il que le système prenne en compte certains statuts précaires tels que les chômeurs, pensionnés ou invalides et leur fournisse un supplément aux allocations familiales tandis qu’il n’en est rien pour les travailleurs en situation de pauvreté ? De plus, comment faire en sorte que les chances initiales de chaque enfant ne soient pas liées au statut socioprofessionnel de leur parent ? Ces questions sont au cœur du débat depuis que la compétence des allocations familiales a été transférée aux entités fédérées.
Afin de mieux appréhender les enjeux de ce débat, il est utile de revenir sur l’histoire de la création des allocations familiales. Comme toute branche de la sécurité sociale, les allocations familiales ont vécu de nombreuses évolutions, celles-ci ont été et sont, encore aujourd’hui, le fruit de réflexions politiques et sociétales.
Les allocations familiales, un droit qui s’élargit progressivement
À l’origine, les allocations familiales ne constituaient pas un droit fondamental pour tous. Il s’agissait d’un bénéfice que l’employeur octroyait à ses employés, ce bénéfice étant considéré comme un « supplément au salaire » [1]. Différentes formes d’assurances sociales ont été créées en 1930, et on vit apparaitre un système obligatoire d’allocations familiales [2] au sein de la sécurité sociale pour les travailleurs salariés. En 1937, ce droit est devenu accessible aux indépendants. Et c’est seulement en 1971 qu’un système résiduaire a été mis en place, garantissant l’accès pour tous aux allocations familiales. [3]
Ce système a été créé en vue de remplir plusieurs objectifs. Le premier objectif consistait à favoriser la natalité, le deuxième à soutenir les familles nombreuses, le troisième était d’atténuer la pression sociale relative à l’augmentation des salaires. [4]
Quant au mode de redistribution des revenus des allocations familiales, il était basé sur deux principes de solidarité. La solidarité horizontale consistait à redistribuer les revenus des familles sans enfants vers les familles avec enfants, tandis que la solidarité verticale répartissait les revenus en fonction des besoins des différentes catégories sociales. [5]
Un système devenu obsolète
Aujourd’hui, cette organisation pose question à différents niveaux et ne semble plus répondre totalement aux besoins des familles.
Ce sont les objectifs précités qui ont fondé le mode actuel de redistribution des revenus des allocations familiales. L’important était de pouvoir soutenir la natalité et les familles nombreuses ; c’est pourquoi, à ce jour, le montant des allocations familiales varie exponentiellement en fonction du rang de l’enfant dans la fratrie [6]. Le premier enfant touche 92,09 €, le second 170,39 €, et chaque enfant à partir du troisième reçoit 254,40 €. Or, des études et analyses ont soutenu que le lien était faible entre la natalité et le montant d’allocations familiales garanti par le rang de l’enfant [7] : les allocations ne constituent donc pas un incitant important pour agir sur la démographie. En outre, le soutien de la natalité, qui était un objectif politique de l’après-guerre, ne fait plus partie des objectifs politiques d’aujourd’hui. De plus, cette répartition avait pour conséquence d’être beaucoup moins soutenante en termes de lutte contre la pauvreté dans les familles ne comprenant qu’un enfant. Ce qui pose question en termes d’égalité : un enfant ne vaut-il pas un autre enfant ? [8]
D’autres critères déterminent le montant des allocations familiales : l’âge de l’enfant, son état de santé, la situation sociale de l’attributaire, la structure familiale, et la situation professionnelle ainsi que les revenus de l’allocataire [9]. Ces nombreuses combinaisons (plus de 700) rendent le système peu lisible.
De plus, malgré sa complexité, le système ne favorise pas l’équité qu’il vise. [10] Pierre Lemaire, au service des études de la Ligue des familles, exprime combien cette modulation était « vecteur d’inégalité et de discrimination » [11]. En effet, certains parents bénéficient de suppléments grâce à leur statut, alors que les travailleurs pauvres avec les mêmes ressources financières sont laissés pour compte.
L’intervention de la Ligue des familles
Avec la sixième réforme de l’état en 2011, la compétence liée aux allocations familiales a été transférée aux entités fédérées (la COCOM, la communauté flamande, la communauté germanophone et la région wallonne). Ce transfert de compétence était l’occasion pour les entités fédérées de réévaluer l’ensemble du système des allocations familiales et d’innover en la matière.
C’est dans ce contexte de changement que la Ligue des familles a proposé de réformer le système des allocations familiales. Sa proposition :
- « Une allocation universelle de base d’environ 160 € par enfant ». Cela permettrait de considérer les droits individuels de chaque enfant et cela, quel que soit l’origine socio-économique de ses parents, son rang dans la fratrie ou encore ses difficultés de santé ;
- « Un supplément de 50 € pour les enfants de familles monoparentales à revenus modestes, qui présentent un risque de pauvreté accru » ;
- « Un supplément de 50 € par enfant de familles nombreuses à revenu modestes » ;
- « Des allocations majorées pour les enfants handicapés ou orphelins » ;
- « Pas de réduction des allocations durant la période de transition. Le nouveau système s’appliquerait donc seulement aux enfants nés après son entrée en vigueur» [12].
Avec sa proposition de réforme des allocations familiales, La Ligue des familles met en exergue deux principaux objectifs à soutenir : le soutien à la parentalité et la lutte contre la pauvreté infantile.
Un moyen d’action efficace face à la pauvreté infantile
Selon une enquête de la ligue des familles en 2010 [13], il semblerait que les allocations familiales soient considérées comme essentielles au budget de 16% des parents. Cela est d’autant plus vrai pour les familles monoparentales (29%) et les parents sans emploi (51%). En 2012, une étude démontre la baisse de 5% des inégalités sociales grâce à l’intervention des allocations familiales [14]. Par ailleurs, la diminution du taux de pauvreté infantile en 2013 était estimée à 10,8% grâce aux allocations familiales [15]. Ces chiffres démontrent de façon non négligeable à quel point les allocations familiales peuvent être, selon Georges Kerchove [16], membre de l’équipe ATD Quart monde Belgique, « un levier de poids » dans la lutte contre la pauvreté. Ce levier n’est pas sans intérêt puisqu’ « un enfant sur quatre court le risque de grandir dans la pauvreté » en Wallonie.
Qui plus est, d’après une analyse de l’UFAPEC (union francophone des associations de parents de l’enseignement catholique) [17], les enfants sont plus touchés par les questions de pauvreté que le reste de la population. Selon l’UNICEF, ces enfants touchés par la précarité infantile sont « privés des ressources matérielles, spirituelles et affectives nécessaires à leur survie, à leur développement et à leur épanouissement, ce qui les empêche de jouir de leurs droits, de se réaliser et de participer à la société pleinement et au même degré que les autres ».
Une réforme bien accueillie en Wallonie
Le gouvernement wallon a approuvé la proposition de réforme du système des allocations familiales que leur a proposé le ministre wallon de la santé et de l’action sociale, Maxime Prévot. Dorénavant, tout enfant né à partir du 1er janvier 2019, bénéficiera d’un montant d’allocations familiales universel de base. Ce montant s’élèvera à 155 € jusqu’à l’âge de 18 ans de l’enfant, et à 165 € de 18 à 24 ans. Cette décision relève du principe selon lequel un enfant wallon égale un autre enfant wallon.
De surcroît, dans le but de soutenir la parentalité et de lutter contre la précarité, différents suppléments pourront être cumulés au montant initial de base en fonctions de différents critères :
1. Des suppléments en fonction des revenus du ménage et non plus, uniquement en fonction du statut. Ces suppléments varieront de 25 € à 120 € par enfant par mois.
2. Des suppléments en fonction de la situation de l’enfant, si cet enfant souffre d’affection(s) ou est orphelin.
3. Des primes de naissance ou d’adoption, et de rentrées scolaires.
Au-delà des allocations
Couples et familles soutient cette mesure prise par le gouvernement wallon et accorde également beaucoup d’importance au maintien d’un principe général de solidarité entre tous. L’octroi des allocations familiales aux familles bénéficiant de revenus plus élevés s’avère nécessaire en ce sens. Par ailleurs, exclure ces familles de ce système de solidarité sociale risquerait de le faire basculer en un système d’assistance, qui comporte le danger de la stigmatisation des bénéficiaires. En outre, le système proposé permet de combiner cette solidarité générale avec l’attention aux besoins spécifiques de certaines familles.
Au-delà de la question financière des allocations familiales, ce débat met en lumière deux préoccupations importantes. D’une part, la place de l’enfant dans la société, ses droits individuels et la responsabilité des citoyens à les soutenir dans leur développement personnel ; et d’autre part, une volonté de réduire les inégalités sociales afin que chaque enfant puisse jouir des mêmes droits.
Bien que le gouvernement wallon défende ces valeurs et réforme le système en permettant une allocation universelle de base et des suppléments aux familles nécessiteuses, comment être certain que ces montants profitent réellement aux enfants quand on sait que cet argent permet à peine à certaines familles de boucler leurs fins de mois ? Ceci nous démontre l’importance de penser à d’autres modes d’intervention.
Georges de Kerchove, membre de l’équipe d’ATD quart monde, et Simon Ghiotto-Fotolia [18], chercheur à l’Itinera institut, sont d’avis que c’est dans l’enfance qu’il faut commencer à réduire les inégalités. Simon Ghiotto-Fotolia ajoute même que les allocations familiales ne constituent que le haut de l’iceberg des problématiques familiales, qu’il faut réfléchir à une politique globale et intégrée de la famille. Dans cette optique, les enfants d’aujourd’hui sont un investissement puisque ces enfants deviendront citoyens de demain… [19]
[1] Allocations familiales partie 1 : hier et aujourd’hui. In : www.lacode.be
[2] http://www.ftu.be/documents/ep/EP-importancesecu.pdf
[3] Allocations familiales partie 1 : hier et aujourd’hui. In : www.lacode.be
[4] Ensemble/ N°81/ Décembre 2013/ www.ensemble.be
[5] Dubois Alain, « Les prestations familiales et le droit de l’enfant », Courrier hebdomadaire du CRISP, 7/1991 (n°1312-1313), p.1-53.
[6] Ensemble/ N°81/ Décembre 2013/ www.ensemble.be
[7] Dubois Alain, « Les prestations familiales et le droit de l’enfant », Courrier hebdomadaire du CRISP, 7/1991 (n°1312-1313), p.1-53.
[8] Ensemble/ N°81/ Décembre 2013/ www.ensemble.be
[9] Les prestations familiales : vivre en Belgique.be
[10] Communiqué de presse de Maxime Prévot – Vice-président wallon
[11] Ensemble/ N°81/ Décembre 2013/ www.ensemble.be
[12] « Allocations familiales. Partie II : Et demain ? ». In : www.lacode.be
[13] « Allocations familiales partie 1 : hier et aujourd’hui ». In : www.lacode.be
[14] « Allocations familiales partie 1 : hier et aujourd’hui ». In : www.lacode.be
[15] Ensemble/ N°81/ Décembre 2013/ www.ensemble.be
[16] « Allocations familiales : donner à tous la même chance ». In : www.lalibre.be
[17] http://www.ufapec.be/nos-analyses/0615-enfance-pauvrete.html
[18] « Allocations familiales : un enfant n’est pas un montant mais un investissement pour l’avenir ». In www.lavenir.net
[19] Analyse rédigée par Aurélie Degoedt.
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