Analyse 2017-28

Fin août, un article publié sur lemonde.fr s’intéressait à la façon dont « la naissance est devenue un acte médicalisé ». [1] Ce texte venait ainsi compléter le dossier « accoucher autrement » réalisé en 2016 suite à un tournant dans l’histoire de la naissance en France : la possibilité pour les mamans d’accoucher dans des maisons de naissance. Pour l’instant, il ne s’agit néanmoins là que d’une expérimentation prévue pour une période de cinq ans [2] alors qu’en Belgique, ce type de structures est mis à disposition des futures mamans depuis plusieurs années déjà. Que penser de ces diverses manières d’accoucher qui semblent se situer aux antipodes l’une de l’autre ? Couples et Familles s’interroge… 

Si l’on retrace brièvement l’histoire de l’accouchement, l’on peut constater qu’à l’époque, les accouchements se déroulaient à la maison, dans la douleur et n’étaient pas sans danger [3] au vu des conditions de vie d’alors. Au XVIIIe siècle, la science et ses techniques s’imposent, y compris dans les soins à donner à l’enfant. Une médicalisation accrue de la maternité s’observe, explique l’asbl Centre d’expertise et de ressources pour l’enfance dans l’une de ses brochures. Au début du XXe siècle, la mortalité infantile élevée faisant craindre une dénatalité, les mamans et les médecins s’allient pour tenter d’en venir à bout : règles d’hygiène strictes à respecter, vitamines destinées aux bébés, etc. L’enfant appartient à la nation qui s’occupe aussi bien de sa santé que de son éducation. L’Etat lutte contre la mortalité et met au point des campagnes de soutien à la natalité. Suite à la première guerre mondiale, la chirurgie et la médecine ne cessent de se développer plaçant l’hôpital au cœur d’une politique de santé publique. Désormais accessible à tous et connoté positivement, il devient l’endroit « le plus sûr » pour accoucher. [4]

Les parturientes sont davantage surveillées ; et ce, dès le début de la grossesse. Il leur incombe de se soumettre aux consultations de grossesse [5] et à une sorte de « déshumanisation » de leur corps ; la pudeur n’ayant pas sa place dans le processus par exemple. Seule importe la « sécurisation de l’accouchement ». Celle-ci va de pair avec l’acceptation de passer par des moments douloureux, tant sur le plan physique que mental [6] ; peu importe les états d’âme des futures mamans. Le but de l’accoucheur est à mille lieues de préoccupations relevant du confort ou des interrogations philosophiques de la mère quant à l’étape cruciale de son existence que constitue l’accouchement ; il veille à la sécurité de cette dernière ainsi qu’à celle de l’enfant. [7] Point. Dans ce schéma de naissance médicalisée – bien loin d’une expérience familiale et privée –  la maman est entièrement soumise au corps médical qui fait de la naissance de son enfant une affaire relevant du champ du « public. » [8]

« Tu enfanteras dans la douleur »

Outre le taux de mortalité, la question de la douleur occupe aussi une place centrale dans la genèse de la naissance. Il faut « enfanter dans la douleur » estimait la religion catholique férocement opposée au recours à des techniques permettant d’atténuer les souffrances intrinsèques à l’accouchement. Pourtant dès le XIXe siècle, des méthodes furent mises au point. En vogue dans les pays anglosaxons, ces procédés (relevant du champ de l’anesthésie : chloroforme, éther, etc.) ne parvinrent toutefois pas à s’imposer en France où ceux-ci furent assimilés à un risque obstétrical plus élevé. En 1952, ce sont des méthodes psychologiques venant d’URSS qui sont mises en application dans une maternité parisienne sous le regard de l’obstétricien Fernand Lamaze. Objectifs de ces techniques « non chimiques » : déconditionner les réflexes de douleur et expliquer aux futures mères le fonctionnement de leur corps ; ce qui se passe dans leurs entrailles. Tantôt assez efficaces, tantôt pas du tout ; dans les années septante il a été mis en évidence que toutes les femmes ne pouvaient être délestées du poids de la douleur par ce type de techniques. [9]

La péridurale : une nouvelle façon de donner la vie

Véritable révolution, la péridurale consiste en une injection qui garde les futures mamans conscientes bien qu’elle diminue véritablement les douleurs qu’entraîne inévitablement un accouchement. [10] La popularité de la péridurale est sans équivoque : en 1981 (date d’apparition de l’anesthésie péridurale en France) le taux de péridurale est de 3,9% pour venir atteindre 48,6% en 1995 et ensuite, 76% en 2012. [11] Les chiffres belges indiquent la même tendance. Selon les données du Centre d’Épidémiologie Périnatale figurant dans un rapport de 2016 (et traitant de l’année 2014), le taux d’accouchements ayant bénéficié d’une péridurale s’élève à 80,6% en Wallonie (76,2% si l’on ne tient compte que des accouchements par voies basses). Il est aussi précisé qu’en Flandre, la proportion de péridurale est moindre qu’en Wallonie ; n’atteignant pas tout à fait les 70% (soit 69,6%). [12]

La péridurale, bien qu’elle soulage la douleur, entraine avec elle une pléiade d’actes médicaux : « soluté, hormones synthétiques, cathéter dans la vessie, perte de sensation à la poussée, etc. » [13] Nombreux sont les débats où sont présentés les « pour » et les « contre » de cette technique, qui a priori ne peut être que positive vu qu’elle permet d’indéniablement soulager la future maman. Cependant, ses détracteurs affirment que la technique prend ainsi le pas sur le relationnel, les sages-femmes sont éloignées des parents et la nécessité de la préparation à la naissance est remise en cause. Certains évoquent même la survenue possible d’un phénomène de « distanciation » dans le chef de la parturiente. Face à cela, René Frydman, pionnier de la péridurale en France, rétorque qu’une femme allégée du fardeau de la douleur ne pourra peut-être que mieux (ou en tout cas, pas plus mal) « s’approprier ce passage. » Il met également en avant l’aspect personnel de chaque histoire et précise que c’est l’exercice de la liberté qui constitue réellement le progrès. Les opposants à la péridurale n’en démordent pas et estiment que la péridurale équivaut à un moyen médical de « soumission » ; empêchant la femme d’être actrice de son accouchement. Ils regretteraient presque que la douleur soit l’objet d’une lutte médicale sous prétexte que souffrir fait partie du processus. Or, le travail de certaines mères peut tout simplement se voir entravé par la douleur ce qui légitimise totalement le recours à la péridurale ; technique contribuant autant à la sécurité de la maman que de son bébé. [14]

Dans ce houleux débat tournant autour de la péridurale, la position de Couples et Familles est claire : il paraît illogique de condamner une méthode permettant d’enfanter sans ressentir l’intense douleur qu’accompagne le processus de l’accouchement. Qui plus est, les personnes ne possédant pas d’utérus devraient, il nous semble, éviter toute prise de position tranchée et laisser la parole aux principales intéressées à qui il revient le droit de décider si elles désirent y recourir ou non ; la décision devant toutefois, selon nous, n’être prise qu’après avoir pris possession de toutes informations sur l’état de la question.

Accoucher en dehors des sentiers battus

C’est un fait, c’est à l’hôpital que se déroule la grande majorité des accouchements. Alors que 36 372 accouchements à l’hôpital ont été comptabilisés en 2014 en Wallonie, seulement 239 s’y sont déroulés ailleurs (soit 0,6%) indique un rapport du Centre d’Épidémiologie Périnatale. [15] En outre, celui-ci stipule que c’est en semaine (du lundi au vendredi) que surviennent le plus d’accouchements. Cela s’explique par le nombre d’inductions et de césariennes électives car le nombre d’accouchements « issus » d’un travail spontané reste quasiment inchangé de jour en jour (weekend inclus). En Wallonie, c’est un peu plus de 31% des accouchements qui ont été induits. [16] Avec cette proportion, la Wallonie présente le plus haut taux d’induction d’accouchements d’Europe. [17] Quant à la césarienne, la proportion s’élève à 22,1%. [18] Nous ne pouvons ne pas évoquer la question de l’épisiotomie qui elle, est survenue dans 30,8% des accouchements en 2014 en Wallonie. [19] Toutefois, le taux varie grandement d’une maternité à l’autre (celui-ci oscille entre 10,8% et 50,1%). Cela s’expliquerait par le fait que l’équipe médicale ne discute que très peu de cette pratique… [20] Pourtant, il importe de souligner qu’« il est formellement recommandé de ne pas réaliser d’épisiotomie en routine » [21] selon les recommandations du Centre fédéral d’expertise des soins de santé.

Ainsi, la banalisation des épisiotomies entre indéniablement dans le champ des violences que l’on pourrait qualifier d’obstétricales, au même titre que « le point du mari » qui fait de plus en plus parler de lui tellement la pratique parait inimaginable (recoudre de façon « plus serrée » pour le bon plaisir de monsieur) ou encore, l’expression abdominale (exercer une pression sur le ventre de la mère pour tenter d’en faire sortir plus rapidement l’enfant) qui est considérée comme – en plus de dangereuse – inutile. [22]

Dans cette perspective, rien de surprenant à ce que certaines mamans désirent accoucher autrement, loin de l’univers médical qui lui confère davantage le statut de patiente que de femme – en bonne santé –  tout simplement enceinte.

C’est ainsi que certaines choisissent d’accoucher chez elles ou encore, dans une maison de naissance. Néanmoins, pour que ces options soient envisageables, plusieurs conditions sont à remplir : la maman doit être en bonne santé et présenter une grossesse qui se déroule normalement. Si la maman attend des jumeaux, ou encore, si son bébé se présente par le siège par exemple, l’accouchement devra alors plutôt avoir lieu à l’hôpital. [23]

Mais quels avantages présentent ces alternatives ? Pour ce qui est de l’accouchement à domicile, il permet à la maman d’accoucher dans un environnement qui lui est familier, auprès de sa famille, avec l’aide d’une sage-femme. En 2012, un peu moins de 1% des accouchements se sont déroulés de cette manière en Belgique [24] alors qu’au Pays-Bas il n’est pas chose exceptionnelle d’accoucher de cette façon. En effet, ce type d’accouchement concerne là-bas pas moins d’une femme sur six. Pour les néerlandais, il s’agit donc d’une pratique des plus commodes et non pas d’une alternative à l’hôpital… [25]

Quant en aux maisons de naissances, elles constituent une sorte de choix intermédiaire entre le fait d’accoucher chez soi ou dans un hôpital. Il s’agit, comme son nom l’indique, d’une maison qui ne fait pas partie d’un hôpital mais qui s’en situe tout de même à proximité. Cet endroit est tenu par des sages-femmes et il y règne une atmosphère intime et familiale. [26] Durant toute la grossesse, les sages-femmes s’occupent du suivi médical de la maman ainsi que de la préparation à la naissance même si deux visites chez le gynécologue sont au programme. Pendant l’accouchement, deux sages-femmes sont présentes pour accompagner la maman. Une fois le bébé venu au monde, les soins se déroulent à la maison de naissance, puis au domicile familial. [27] La sage-femme ne recourra à des gestes médicaux uniquement dans les situations où ceux-ci s’avèrent nécessaires en s’assurant de revenir le plus rapidement vers « le fonctionnement physiologique du corps. » [28]

Pour conclure

Couples et Familles tient à dénoncer non pas la médicalisation de la naissance (qui selon nous, n’est nullement incompatible avec l’aspect « naturel » du processus) ; mais bien la « surmédicalisation » de celle-ci qui s’accompagne d’une déshumanisation de la femme, synonyme de manque de respect flagrant pour l’acte que constitue la mise au monde du nourrisson ainsi que de « retour en arrière » évident, même si paradoxal.

Nous estimons que chaque maman qui le désire doit pouvoir bénéficier des avancées médicales susceptibles de lui permettre de donner naissance à son enfant dans les conditions qu’elle souhaite, sans que cela s’accompagne de quelconques jugements émanant d’autrui. Chaque femme qui accouche doit être traitée comme un être humain à part entière et non comme un objet sur lequel est posé toute une série d’actes médicaux inutiles, non expliqués, ou encore, ne tenant pas compte du respect de son intimité. [29]

 


Pour aller plus loin :
La médicalisation de la naissance. Analyse 2008-08 de Couples et Familles.
- L'accouchement à domicile : acte citoyen ou prise de risques inconsidérée ? Analyse 2014-04 de Couples et Familles.
Un bébé ! Et après ? dossier NFF n°119. Malonne : éditions Feuilles Familiales, mars 2017, 96 p.

 

 

 

 

 

 


 

[1] Comment la naissance est devenue un acte médicalisé. In : http://www.lemonde.fr/. Consulté le 11 septembre 2017.
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] FANIEL, Annick. L’expérience de la maternité - L’émergence du Cocon, premier gîte de naissance en Belgique. CERE asbl, décembre 2014, p.8. 
[5] Ibid.
[6] Ibid.
[7] Ibid.
[8] Ibid.
[9] Comment la naissance est devenue un acte médicalisé. In : http://www.lemonde.fr/. Consulté le 11 septembre 2017.
[10] Ibid.
[11] Ibid.
[12] Leroy Ch, Van Leeuw V, Zhang WH, Englert Y. Données périnatales en Wallonie – Année 2014. Centre d’Épidémiologie Périnatale, 2016, p.31.
[13] La médicalisation de la naissance. Analyse 2008-08 de Couples et Familles.
[14] BRAUN, Fredou, et LALMAN, Lara. Naissance respectée ? Naissance d’un mouvement. CEFA asbl, étude 2014, pp. 33-35.
[15] Leroy Ch, Van Leeuw V, Zhang WH, Englert Y. Données périnatales en Wallonie – Année 2014. Centre d’Épidémiologie Périnatale, 2016, p.18.
[16] Ibid. p.31.
[17] Ibid.
[18] Ibid. p.32.
[19] Ibid. p.36.
[20] Ibid. p.39.
[21] MAMBOURG, Françoise, et al. Recommandation de bonne pratique pour l’accouchement à bas risque - KCE reports 139B. Centre fédéral d’expertise des soins de santé/ Federaal Kenniscentrum voor de Gezondheidszorg, 2010, p.63.
[22] L'expression abdominale existe encore et c'est dramatique. In : http://www.slate.fr/. Consulté le 12 septembre 2017.
[23] Sage-femme.be. In : http://sage-femme.be/. Consulté le 13 septembre 2017.
[24] FANIEL, Annick. L’expérience de la maternité - L’émergence du Cocon, premier gîte de naissance en Belgique. CERE asbl, décembre 2014, p.16.
[25] Les Pays-Bas, le pays où les femmes accouchent encore chez elles. In : http://www.lemonde.fr/. Consulté le 13 septembre 2017.
[26] FANIEL, Annick. L’expérience de la maternité - L’émergence du Cocon, premier gîte de naissance en Belgique. CERE asbl, décembre 2014, p.16.
[27] Sage-femme.be. – En maison de naissance. In : http://sage-femme.be/. Consulté le 13 septembre 2017.
[28] BRAUN, Fredou, et LALMAN, Lara. Naissance respectée ? Naissance d’un mouvement. CEFA asbl, étude 2014, p. 100.
[29] Analyse rédigée par Audrey Dessy.

 

 

 

 

 

 

 

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