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Analyse 2017-40

Les techniques issues de la psychologie positive sont variées et connaissent un grand succès. Des formations en tout genre sont proposées aux individus, mais le monde de l’entreprise s’y intéresse également de très près, pour améliorer le bien-être au travail de ses employés. Faut-il s’en réjouir ou porter un regard plus critique sur cette tendance ?

Vous cherchez la clé du succès et du bien-être ? Il vous suffit de vous lever à 5h30 tous les matins. C’est en tout cas la recette proposée par Hal Elrod, l’auteur du livre « Miracle morning », publié en français en 2016 et devenu rapidement un succès de librairie.
Pour Hal Elrod, c’est simple : se lever tôt apporte un « supplément de vie » (le sous-titre du livre est « Offrez-vous un supplément de vie »).
Victime d’un grave accident de la route à vingt ans, Hal Elrod a frôlé la mort. Après six jours de coma, les médecins lui annoncent qu’il y a peu de chance qu’il marche à nouveau. Mais il se promet de faire le maximum pour connaître le bonheur. Il reprend rapidement le travail à sa sortie de l’hôpital, contre l’avis des médecins. Il connait rapidement le succès mais est ruiné à l’occasion de la crise des subprimes et sombre dans la dépression pendant de longs mois. C’est alors qu’un ami lui conseille de courir tous les matins en écoutant des podcasts de développement personnel. Il prend l’habitude de se lever plus tôt pour accomplir sa routine matinale. C’est cela qui lui sauve la vie et l’incite à formaliser sa méthode.

La méthode Savers

Mais il ne faut pas utiliser le temps supplémentaire du petit matin de n’importe quelle manière. Il propose la méthode « Savers » : S, comme silence, A comme affirmation, V comme visualisation, E comme exercice, R comme reading et S comme scribing. En d’autres mots, une plage de silence (facilitée par le fait que c’est sans doute la seule période de la journée où le téléphone reste muet) qui permet un retour sur soi et une coupure avec l’hyperactivité ; l’affirmation, ou prophétie auto-réalisatrice, est une technique assez simple, qui consiste à miser sur le fait que se dire et redire que ce que l’on entreprend sera couronné de succès augmente les chances de réussite, de même d’ailleurs que les techniques de visualisation, souvent utilisées dans les thérapies pour associer des émotions positives aux objectifs que l’on se fixe ; l’effet  bénéfique de l’exercice physique sur le bien-être et la rentabilité n’est plus à démontrer ; quant à la lecture et à l’écriture, elles permettent de compléter la méthode d’un volet intellectuel, en puisant son inspiration dans des textes écrits par d’autres et en fixant sur le papier les réflexions et projets qui en découlent.

Si le livre a connu un énorme succès, il faut aussi relever le fait que, parallèlement au livre, une communauté virtuelle s’est créée, où les personnes qui appliquent la méthode et en sont satisfaits s’échangent leurs recettes ou manières de procéder, s’encouragent et sont heureux de faire état de leurs succès. Quant à Hal Elrod, il parcourt le monde pour donner des conférences, dans le but de partager sa manière de parvenir au bonheur.

Les conférenciers de l’optimisme

Des conférences, il n’est pas le seul à en donner. Thierry Saussez, un ancien publicitaire proche de Nicolas Sarkozy qui a d’ailleurs été pendant un temps à la tête du Service d’information du gouvernement (SIG) de ce dernier, donne des conférences d’optimisme. À la tête du « Printemps de l’optimisme », qui a connu sa quatrième édition en mars 2017 à Paris, il multiplie les livres et les conférences consacrées à ce sujet. Ces conférences sont très demandées par de grandes entreprises qui veulent être attentives au bien-être de leur personnel et sont rétribuées, dit-on, entre 5000 et 10000 € la prestation. À côté de Thierry Saussez, les conférenciers de l’optimisme et de la psychologie positive les plus connus et demandés sont Philippe Bloch, Philippe Gabillet, Michel Poulaert et Florence Servan-Schreiber. [1]

Ces intervenants à 10000 € la prestation constituent évidemment le haut du panier. À côté d’eux, une multitude de propositions en tout genre exploitent les préceptes de la psychologie positive en promettant un plus grand bien-être et, en conséquence, lorsque cela se passe dans l’entreprise, une plus grande efficacité au travail.

Dans la même mouvance, les propositions de méditation et de pleine conscience connaissent aussi un grand succès, invitant à un retour sur soi en vue d’appréhender la réalité plus positivement. Là aussi, les formations à destination des personnes à titre individuel côtoient les propositions pour les entreprises et le monde du travail.

Efficacité

À en croire le succès de librairie des livres de pensée positive, les méthodes proposées doivent être efficaces. Elles ont souvent l’avantage d’être simples et claires, distillées sous forme de slogans et de techniques faciles à appréhender.
À en croire les échos de ceux qui ont adopté une technique, comme pour les lève-tôt de miracle morning, le succès est au rendez-vous. Beaucoup témoignent en effet qu’ils se sentent mieux et réussissent mieux dans leur vie, même si beaucoup de médecins se montrent critiques par rapport au bouleversement des habitudes de sommeil.
Pourtant, on ne peut s’empêcher de ressentir un certain scepticisme face aux affirmations parfois naïves, « à l’américaine », que certaines techniques véhiculent, comme toutes ces thérapies qui promettent un bénéfice immédiat, sans toujours travailler en profondeur. Ainsi, en lisant le livre de Hal Elrod, on trouve dès les premières pages des affirmations du genre : « Cette méthode vous apportera une réussite sans précédent dans tous les domaines », ou « Et je peux affirmer avec certitude que le Miracle morning est la méthode la plus pratique et la plus efficace ». Tout cela fait plutôt penser aux bonimenteurs de foire qu’à des thérapeutes imprégnés d’une profonde connaissance de l’humain et on s’interroge sur une vision du bonheur et de la réussite qui se mesure au nombre de dollars gagnés chaque mois. Hal Elrod déclare en effet : « J’ai commencé à me réveiller plus tôt pour accomplir ma routine et dans les mois qui ont suivi, mes revenus ont été multipliés par deux. »

L’invasion de la pensée positive, en particulier dans le monde de l’entreprise, soulève des critiques plus fondamentales. Ainsi, le psychiatre français Christophe Dejours, auteur de plusieurs ouvrages sur la souffrance au travail, qualifie cet engouement de « comportementalisme de bas étage ». On invoque sans cesse les neurosciences et ses découvertes pour justifier cette tendance, mais « Les neurosciences n’ont rien à dire sur la souffrance ou sur le plaisir au travail. Ces approches évitent deux questions fondamentales, les seules pertinentes pour aborder la dégradation de la relation homme et travail : l’organisation du travail et la connaissance du fonctionnement psychique de l’homme. Au fond, on ne veut pas entendre parler de l’être humain tel qu’il est mais tel que l’entreprise voudrait qu’il soit. » En d’autres mots, c’est peut-être très sympathique d’inciter les travailleurs d’une entreprise à voir les choses positivement, à arrêter de râler, à se sentir bien… mais tant que l’organisation du travail ne change pas et que la pression objective sur les travailleurs ne diminue pas, on ne fait que rendre ceux-ci plus réceptifs aux objectifs capitalistes. En fait, les entreprises ne se préoccupent pas vraiment du bien-être de leurs travailleurs. Seuls les résultats économiques comptent. Mais comme de nombreuses études montrent que des travailleurs bien dans leur peau sont plus efficaces que ceux qui ne se sentent pas considérés et ne voient plus de sens à ce qu’ils font, autant consacrer les sommes nécessaires pour leur booster le moral. Selon le Corporate Wellness Magazine, « chaque dollar investi dans le bien-être des employés rapporte 4 dollars à la société grâce à une meilleure productivité, un taux d’absentéisme en baisse, des coûts liés aux problèmes de santé en nette diminution et finalement une meilleure atmosphère générale. » [2] La question qui se pose : l’entreprise favorise-t-elle également les aménagements horaires pour que les parents puissent s’occuper de leurs enfants malades et les laisse-t-elle décrocher des préoccupations professionnelles le soir et les week-ends ?

L’autre aspect néfaste de cette tendance est de rejeter le poids de la responsabilité sur l’individu. La base de la pensée positive est que c’est en se changeant soi-même que l’on arrivera à changer sa propre vie et la réalité en général. Cela n’est évidemment pas tout à fait faux, mais c’est une vision très libérale, à l’opposé des grands courants sociaux qui ont provoqué de véritables changements dans la société. Que les individus utilisent des techniques de méditation de pleine conscience pour prendre une certaine distance  vis-à-vis de la frénésie de leur vie quotidienne et pour améliorer leur ressenti face à la réalité, il n’y a sans doute qu’à s’en réjouir. Mais lorsque ces techniques sont utilisées dans la sphère économique, il y a lieu de se montrer beaucoup plus circonspect. [3]

 

 

 

 

 

 

 

 


[1] La pensée positive, une entreprise très lucrative, in Le Monde du 23 décembre 2016.
[2] In Le bien-être au travail : la grande illusion ?, par Pauline Lahary, https://www.linkedin.com/ (consulté le 19 décembre 2017).
[3] Analyse rédigée par José Gérard.

 

 

 

 

 

 

 

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