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Analyse 2018-03

La mort de Sylvester Stalone, l’homme qui avait regardé 188 épisodes de « The office » en une semaine sur Netflix, le « Pizzagate» … illustrent un nombre infime d’exemples de fausses informations diffusées par les médias ces derniers mois. Comment expliquer la propagation de ces fausses nouvelles, plus communément appelées « fake news » en anglais ? Quels sont les risques d’une telle pratique pour la société ? Comment s’en prémunir ? « Couples et Familles » s’attelle à ces questions.

Quand la presse écrite et les médias classiques sont en crise…

La presse et les médias traditionnels ont vécu un premier ébranlement lorsque s’est généralisé l’utilisation du Web comme support d’information [1]. Google régnant en maître sur toutes les autres plateformes de recherche [2].

Ensuite, plus récemment, avec l’essor du smartphone, ce sont les réseaux sociaux tels que Facebook, Youtube, Twitter…qui se sont imposés comme sources premières d’information.  « Une suprématie probablement accrue par le lancement, courant 2015, d’‘Instant Articles’, un format permettant un affichage plus rapide des contenus sur support mobile » [3].

Qui plus est, grâce aux avancées technologiques, il est désormais possible pour toute personne en possession d’un smartphone ou d’un iphone, d’être au courant des dernières nouveautés avant même de les avoir cherchées. « L’information arrive aux mobinautes [4] par les flux des réseaux sociaux, leurs alertes et notifications » [5]. Non seulement, monsieur et madame tout le monde peuvent recevoir des informations à tout moment mais ils peuvent également en produire eux-mêmes et accéder à une grande diffusion sans être pour autant professionnels de l’information.  Les médias également sont demandeurs de ces informations, ils souhaitent être avertis au plus vite afin d’obtenir la primeur sur les sujets d’actualité.

De toute évidence, le progrès a contribué à modifier nos modes de consommation de l’information. Nous sommes actuellement immergés dans un flux constant d’information. Nous la trouvons version papier, télévisée, sur internet ou encore via nos applications téléphoniques. Nous la surconsommons. Et la plupart du temps, nous en redemandons !

Dès lors, dans une telle logique de consommation et face à une concurrence intense, il n’est pas surprenant que les médias légitimes se sentent dépassés par l’information à traiter. En effet, pour être consommés et viables, ils doivent assurer l’analyse de l’information le plus rapidement possible. Ils diffusent alors des nouvelles sans avoir pu systématiquement contrôler la véracité des faits ou encore la fiabilité de leurs sources. L’erreur est commise et les médias participent sans le vouloir à une action  plutôt malsaine, celle de la propagation des fake news.

Les objectifs des fake news

L’intention délibérée de tromper est ce qui caractérise la fake news. Bien que la communication de ces fausses nouvelles puisse être l’objet d’une maladresse humaine ou d’un manque de temps de la part du journaliste pour corroborer les données reçues, il en est tout autrement pour sa création !

En effet, la conception de fausses informations et leur transmission permettent à certaines entreprises de générer du profit. Paul Horner, créateur de fake news, explique que celles-ci ont pour but de faire le buzz [6] et ainsi d’amener un nombre élevé d’internautes sur sa page [7]; ce qui permet à ces personnes d’être exposées à de la publicité et à lui-même, d’être rémunéré par celle-ci.

D’autres personnes ou médias utilisent les fake news à des fins idéologiques ou politiques. Ce canal leur permet d’ameuter les troupes pour leur cause. Ils véhiculent sciemment des nouvelles fabriquées de toute pièce dans le but d’induire une certaine vision de la réalité, de modifier nos représentations et d’influencer nos choix et comportements.

Par exemple, selon Thomas Huchon, Donald Trump a mené sa campagne électorale avec seulement 4% de faits tout à fait exacts. Sa campagne repose en majorité sur des fake news créées délibérément et diffusées par différents médias afin d’orienter l’opinion politique des citoyens américains. En usant de nouvelles technologies et récoltant de manière illégale des informations personnelles des électeurs auprès de différents sites (tels que google, facebook…), il a été aisé de les manipuler et de leur soumettre la « bonne » information au bon moment pour les convaincre de voter Trump [8].

Les multiples retentissements des fake news

Lorsque les fake news ciblent une personne ou une institution, c’est l’intégrité de ces dernières que ces mensonges compromettent. Par exemple, en décembre 2016, la chaîne télévisée France 2 diffusait un reportage démontrant qu’un bar PMU [9] de Sevran en Seine-saint-Denis refusait l’accès aux femmes. Cette diffusion erronée a retenti indubitablement sur le tenancier du café, Amar Salhi mais aussi, sur sa famille qui a notamment reçu une lettre de menace suite à l’émission de cette information. Cette famille toute entière a été victime de stigmatisation. De plus, bien qu’il y ait eu une contre-enquête, il est certain que le doute risque de persister dans l’esprit de certains citoyens  et que le propriétaire de cet établissement en subira encore les conséquences (ne serait-ce que d’un point de vue commercial !). À présent, il ne peut s’en remettre qu’à la justice pour obtenir une réparation pour les dommages encourus… [10]

En outre, ces fake news suscitent la plupart du temps de fortes émotions comme la surprise, la tristesse, la peur, la haine…auprès de ceux qui les découvrent. Dans l’exemple précédemment cité, la soi-disant décision d’Amar Salhi de ne pas accueillir les femmes dans son bar avait très clairement  engendré de la haine raciale au sein de la population française! Cette information avait eu pour effet de diviser les citoyens et de souligner leur intolérance aux différences plutôt que de les rassembler et les amener à coexister.

De plus, ces fake news sont parfois l’objet d’instrumentalisation politique. En effet, face aux polémiques qu’elles peuvent provoquer, des politiques en profitent pour se positionner et promouvoir leurs idées ! C’est pourquoi, lorsque chaque personne décide de véhiculer des propos biaisés sans avoir préalablement vérifier leur bien-fondé, elles deviennent quelque part « actrices» de cette manipulation citoyenne.

Une loi contre les fake news ?

Pour lutter contre ces fake news, le président français, Emmanuel Macron, a proposé de réaliser une loi contre ces fausses nouvelles en période électorale [11], « la loi de fiabilité et de confiance de l’information» [12]. Cette suggestion n’a pas cessé de faire parler d’elle! Si cette proposition semble résoudre bien des problèmes, elle soulève tout de même une question importante : celle de la liberté d’expression.

Un des fondements de toute démocratie est la liberté d’expression. Le pouvoir appartient au peuple qui, en s’informant, peut élire des représentants qui tâcheront de gouverner, c’est-à-dire de défendre ses intérêts. Les médias constituent un espace de liberté d’expression par excellence pour les citoyens et jouent ainsi un rôle capital dans la construction des opinions politiques de la population [13]. Dès lors, édicter une telle loi n’est-elle pas une atteinte aux valeurs démocratiques ? Ou au contraire, est-ce une façon de garantir aux citoyens une information de qualité reposant sur des faits réels et ainsi, de soutenir des décisions politiques issues d’analyses éclairées ?

Pour « Couples et Familles », cette mesure ne semble pas être la plus adéquate dans la lutte contre la désinformation. En effet, qu’en est-il de la prise en compte des dark-post [14] qui ont pour but de transmettre une information à un public cible, dans un temps limité et sans laisser de trace de sa publication? Ce mode de fonctionnement permet effectivement à l’information d’atteindre son but et aux personnes responsables de son contenu de n’être soumises à aucune sanction. Il s’agit d’une sorte de réseau sous-terrain qui risque de confronter la loi à ses limites.

L’importance de l’éducation !

Pour « Couples et Familles », la prévention de ce phénomène de propagation de fausses nouvelles passe avant tout par la communication en famille autour des différents sujets traités et transmis sur les réseaux sociaux et en ligne. Qu’est-il arrivé à notre bon sens ? La vie quotidienne en famille peut être d’une richesse élémentaire grâce aux échanges d’avis et d’idées qui participent à l’apprentissage d’un esprit critique.

Ensuite, selon nous, c’est le mésusage des médias et réseaux sociaux qui est à l’origine de l’ampleur que prennent ces fake news. C’est pourquoi, l’enseignement aux médias et aux nouvelles technologies de l’information et de la communication devrait, selon nous, faire partie intégrante du cursus scolaire des enfants et adolescents. Il est fondamental de les familiariser avec cette démarche dès leur plus jeune âge. En outre, limiter l’apprentissage de cette compétence dans le cercle familial plutôt qu’à l’école pourrait contribuer à agrandir le fossé entre les plus riches et les plus précarisés, entre ceux qui peuvent s’offrir un accès à la formation et à l’information « de qualité » et aux autres. Cela créerait un certain élitisme culturel contre lequel « Couples et Familles » souhaite lutter.

Pour réduire l’écart existant entre ces populations, il est primordial de sensibiliser également les adultes, professeurs et parents à la manière de s’informer, à la vérification des sources de l’information, au discernement des vraies et fausses informations, et au développement de leur esprit critique.  Selon nous, cet apprentissage doit être le fruit d’une préoccupation sociétale et des moyens doivent être mis en œuvre pour soutenir des initiatives comme s’y adonnent les acteurs de l’Education aux médias (comme entre autre l’asbl média animation).

Trucs et astuces pour lutter contre la désinformation

Afin de se prémunir contre la désinformation, nous vous proposons d’être vigilant à trois points particuliers : à ce qui provient d’autrui (du média), à ce qui provient de vous, et à la vérification des données que vous consultez.

Plusieurs questions peuvent vous permettre de rester attentif au contenu que vous êtes entrain de lire. Par exemple : « Quelle est l’intention de l’auteur lorsqu’il a écrit ce texte ? », « Quelles sont les idéologies qui sous-tendent la ligne éditorial du média ? », « Les images montrées concordent-elles avec le propos véhiculé par le journaliste ? », « Le site d’information est-il fiable ou bien s’agit-il d’un site à visée humoristique, parodique ? »…

Ensuite, avant de partager une nouvelle sur les réseaux sociaux, demandez-vous si celle-ci sera utile à votre entourage. Interrogez-vous également sur ce qui fait que vous choisissez de partager cette donnée plutôt qu’une autre ? Par exemple : « Suis-je entrain de me laisser entraîner dans un jeu de sensationnalisme ? », « Ce message risque-t-il d’être porteur de haine ? »…

Et finalement, n’hésitez pas à consulter des sites dédiés à l’analyse de la véracité des faits. Il existe par exemple, le hoaxbuster [15] ou décodex [16]. Néanmoins, gardez l’œil ouvert et l’esprit critique, ils ne représentent pas pour autant une forme de légitimité absolue [17].


Pour aller plus loin :

- « Le poids des mots » : Dossier NFF n° 123 – mars 2018
Ce dossier est dédié au poids des mots. Un des articles (« Le pouvoir des mots…les mots du pouvoir) aborde la manière dont les pouvoirs politiques arrivent à nous faire percevoir le monde grâce à l’usage de certains mots bien choisis. Un autre (« Atelier novlangue, ou comment se désintoxiquer de la langue de bois ? ») a pour but d’apporter une solution citoyenne face à ce phénomène.

- Reportage : « Unfair Game : Comment Trump a manipulé l’Amérique ? », réalisé par Thomas Huchon.

- La série télévisée : The Newsroom
Série télévisée qui illustre l’importance du rôle des médias dans l’accès à une information de qualité et des tensions auxquels ils sont soumis dans notre société actuelle.

« L’éducation aux médias : sur le principe d’accord ! Mais concrètement ? » In https://media-animation.be/

- https://www.getbadnews.com/#intro : Site internet anglophone sous forme de jeu, le but est de réaliser une fake news afin d’être sensibilisé aux étapes de création de celle-ci.

 

 

 

 

 


[1] « Les réseaux sociaux prennent une place croissante dans l’accès à l’information » In http://www.lemonde.fr/ (consulté le 14/02/18)
[2] « Les moteurs de recherche : le leader Google face à Bing, Yahoo, Qwant » In https://www.journalducm.com/ (consulté le 15/02/18)
[3] « Les réseaux sociaux prennent une place croissante dans l’accès à l’information » In http://www.lemonde.fr/ (consulté le 14/02/18)
[4] Mobinautes : mot-valise de mobiles et internautes
[5] « Les réseaux sociaux prennent une place croissante dans l’accès à l’information » In http://www.lemonde.fr/ (consulté le 14/02/18)
[6] Faire le Buzz : être connu sur les réseaux sociaux
[7] « Unfair game : Comment trump a manipulé l’Amérique ? » In https://www.rtbf.be/ (consulté le 12/02/18)
[8] « Unfair game : Comment trump a manipulé l’Amérique ? » In https://www.rtbf.be/ (consulté le 12/02/18)
[9] PMU est un acronyme pour « Pari mutuel urbain ».
[10] « Bar PMU de Sevran : la contre-enquête de Bondy Blog » In http://www.bondyblog.fr/ (consulté 19/02/18)  
[11] « Fake News : Les risques d’une loi » : http://www.lemonde.fr/
[12] « Loi de fiabilité et de confiance de l’information : de la transparence, oui, mais à tous les niveaux » In  https://blogs.mediapart.fr/ (consulté le 27/02/18)
[13] Cours de sociologie de la décision politique, Institut Cardijn, 2009
[14] « Le A/B testing sur Facebook grâce aux Dark Posts ». In http://www.socialmkg.com/
[15] http://www.hoaxbuster.com/
[16] http://www.lemonde.fr/verification/
[17] Analyse rédigée par Aurelie Degoedt.

 

 

 

 

 

 

 

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