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Analyse 2018-05

La Belgique a été le dernier des pays européens à abolir la peine de mort, en 1996. Commuée en « réclusion à perpétuité », la peine maximale signifie chez nous, aujourd’hui, passer 30 ans derrière les barreaux ! Seuls des cas extrêmes justifieraient que la peine maximale soit incompressible et que le condamné aille à fond de peine, voire qu’il meurt en prison. Le plus souvent, au terme des 30 ans, la loi prévoit une libération définitive : l’ardoise est en quelque sorte effacée et le criminel est livré à lui-même, sans plus d’aide particulière mais sans plus de surveillance non plus. « Il est alors lâché dans la nature » comme on le dit vulgairement. Dans ce cas, la réinsertion se doit d’être une réussite, sans quoi… rien n’est résolu.

Et donc, pour se donner plus de chance de succès, le droit a prévu une autre démarche où le prisonnier ne va pas « à fond de peine ». S’il le demande, et que le tribunal d’application des peines (TAP) le juge prêt à se réinsérer, le prisonnier peut bénéficier d’une libération conditionnelle. Mais le terme le dit bien : cette relaxe n’est envisageable que si un certain nombre de conditions sont remplies. Celles-ci se basent non seulement sur l’évolution du comportement de l’individu concerné durant une période minimale d’incarcération (15 ans, porté à 23 en cas de récidive), mais aussi sur la capacité de la société de rétablir une certaine forme de vivre ensemble avec celui qui veut se réintégrer.

Milieu carcéral

L’enfermement pénitentiaire est une mesure de protection de la société : on écarte l’individu dangereux dont on peut craindre la récidive. L’enfermement, c’est aussi une mesure de punition : le criminel doit payer une dette à la société. Celle-ci peut prendre la forme d’un dédommagement de la victime mais aussi d’une compensation à la société qui a pu être lésée. L’enfermement, c’est aussi une période de rééducation au vivre ensemble : le vrai travail de réinsertion. Certains pensent aussi que la privation de liberté exerce un effet dissuasif auprès des criminels potentiels, raison pour laquelle on a longtemps défendu la peine de mort, sensée être dissuasive à souhait, et que nombreux sont ceux qui réclament l’incompressibilité des peines prononcées. Cette analyse ne fait pourtant pas l’unanimité. En effet, la criminalité n’est pas plus faible dans les états des Etats Unis qui conservent la peine de mort dans leur arsenal juridique. Enfin, des voix de plus en plus nombreuses s’inquiètent de ce que l’enfermement est un pousse-au-crime pour toute une série de petits délinquants qui feraient mieux de ne jamais côtoyer les « gros bonnets de la criminalité ».

Dans le cadre d’une libération conditionnelle, le demandeur doit pouvoir faire état d’un projet de réinsertion comprenant un volet socio-professionnel ou à tout le moins relationnel réaliste. On se souviendra ainsi que Michèle Martin a vu sa demande acceptée par le Tribunal d’application des peines, notamment du fait de l’accueil assuré par la communauté des Clarisses de Malonne qui lui garantissait un cadre de vie acceptable. Cette démarche de libération anticipée est intéressante, car elle organise la réinsertion. Le criminel est localisé, accompagné et prié de remplir un certain nombre de critères. Cette réinsertion progressive, pourrait-on dire, teste la crédibilité d’un retour au vivre ensemble, tant dans le chef du repenti que de son cercle de réinsertion. C’est un travail qui demande du temps et qui s’appuie sur le cheminement de réhabilitation que le prisonnier doit avoir entrepris en prison, tout au long des années de son incarcération.

Dutroux : un avant et un après très médiatisé

Dans les cas de criminalités extrêmes ayant faits l’objet d’une médiatisation toute particulière, l’attente de la population est particulière. La marche blanche fut un phénomène sans précédent. La participation des citoyens estimée à 350.000 personnes fut un cas unique. Le phénomène d’identification qui a prévalu, que ce soit avec les parents ou avec les enfants est sans pareil. On l’a dit, dans l’histoire du pays, il y a un « avant et un après Dutroux ».

Pourtant, toute affaire criminelle bénéficie généralement avec le temps d’un relatif droit à l’oubli qui est essentiel pour permettre à chacun de faire son chemin de résilience. L’oubli n’est pas total. Certes. La société n’est pas dans le déni de ce qui a eu lieu, mais toutes les composantes de la société cheminent progressivement vers une adaptation. En l’affaire pourtant, il semble que les médias aient perturbé cette résolution progressive, légitime et salutaire. La chose a été une première fois sensible quand Michèle Martin a obtenu sa libération conditionnelle. Alors que l’attitude de la Communauté religieuse des Clarisses exprimait tout le contraire, plusieurs voix de citoyens se sont élevées pour exprimer leur incapacité à imaginer une confrontation fortuite avec « la femme la plus haïe de Belgique »… Comme si cela pouvait signifier une trahison vis-à-vis des familles des victimes. C’était injuste mais compréhensible si on prenait en compte le fait que les médias interviewant à nouveau les parents, tous étaient ramenés à l’heure de la découverte sordide des corps des petites victimes. Il n’était fait aucune place au temps écoulé pour prendre en compte le travail de résilience en cours.

Etat de droit

Si un prisonnier a des devoirs, il a aussi des droits. Les codes civil et pénal valent pour tous les citoyens. C’est la raison pour laquelle un avocat peut être commis d’office à la défense de celui qui ne pourrait s’en offrir les services. C’est la raison pour laquelle, quelle que soit l’identité du criminel à défendre et la gravité de son acte, un avocat rappelle à temps et à contretemps le fondement du droit et s’efforce d’en faire bénéficier son client. Ce qu’il importe alors de bien percevoir, c’est qu’il travaille de sorte à ce qu’une certaine idée de la Justice soit défendue et que, pour qui que ce soit, la loi soit respectée.

Quand Me Dayez, avocat de Marc Dutroux, rappelle que, dans quelques années, la fond de peine sera atteinte par son client et qu’il est donc déjà maintenant en droit de demander une libération conditionnelle, il ne fait simplement que son travail. Quand Me Mary s’assure qu’un vice de forme n’entache pas la procédure qui a amené son client, Salah Abdeslam à être incarcéré, il ne fait simplement que son travail [1]. Il ne s’agit pas, en l’occurrence, de défendre des procédures contre des individus, mais de s’assurer que nous sommes bien dans un état de droit où, constitutionnellement, un individu vaut un individu, quoiqu’il ait fait.

Anticiper sa libération , inconcevable !

Pourquoi l’association Couples et Familles se sent-elle interpelée par cette contestation populaire que l’on a connu quand Me Dayez a publié son livre « Pourquoi libérer Dutroux ? » ? Pour la simple et bonne raison que cette question, pour dérangeante qu’elle soit, est également tout autant légitime et sensée. Libérer Dutroux doit s’envisager au plus tard « à fond de peine ». Ce jour là, en théorie mais dans le plus profond respect de la loi, il sortira et « s’évanouira dans la nature ». Et plus personne ne saura –et pour combien de temps- où il se cache. Nous sommes-nous préparés à ce scénario ? Car c’est ce que le droit nous imposera en toute légalité !

En toute responsabilité donc, Me Dayez nous invite à réfléchir en osant cette question qui paraît absurde à beaucoup : « Et si on envisageait une libération anticipée ? Conditionnelle, mais anticipée ! » A y regarder de près, peut-être serons-nous vite convaincus que les conditions que mettrait le Tribunal d’Application des Peines ne seront pas remplies. Et d’un trait, dirons-nous peut-être très vite et légitimement : « Affaire classée ». Soit, admettons. Encore que de l’affirmer ex abrupto va à l’encontre de la présomption  à laquelle l’intéressé a droit. Mais passons. On l’aura compris, tabler sur la non recevabilité de la demande anticipée  ne solutionnera pas le scénario déjà décrit de la libération « à fond de peine ». Qu’on se le dise. Et qu’on s’y prépare, alors !

La vraie question

Ce qu’il faut bien lire dans l’intertextualité de la demande de Me Dayez, c’est le constat que l’on ferait de ce que les années passées en prison par Marc Dutroux, si elles n’ont pas permis d’envisager son reclassement, ne répondent alors pas à la finalité de l’incarcération.  Car elle est bien là, la motivation première de l’avocat : poser la question du vraisemblable disfonctionnement carcéral en partant d’un cas extrême qui cristallise toutes les attentions.
Certes, méthodologiquement, c’est un peu jouer à quitte ou double, car les affects sont tels que l’opinion publique risque de se focaliser sur le cas spécifique de Dutroux sans entendre la question qui vaut pour tout incarcéré : le monde pénitentiaire est-il un outil de réinsertion comme on le lui en donne la mission, ou est-il un outil de relégation, d’enfermement et de déshumanisation ?

Me Christian Panier, connu pour son franc parler et ses actes tranchés [2], est intervenu dans le débat pour exprimer que la société ne se donne pas les moyens de résilience qu’il faut mettre en place pour garantir un vivre ensemble au delà de la peine écoulée. Il sait bien de quoi il parle, lui qui héberge Michèle Martin sous son toit et ce, parce qu’il n’existe aujourd’hui aucune institution prévue pour prendre en charge ce genre de situation et de personne. Il avait pourtant habitué les médias à des propos moins provocants quand il a cherché à soutenir son collègue Me Dayez en appelant les familles des victimes à pardonner [3] ! La réaction ne s’est pas faite attendre, les médias sollicitant à nouveau Jean-Denis Lejeune pour une réponse qui ne pouvait qu’être émotive et teintée de reproche. On sait en effet le rôle stéréotypé que l’on fait tenir aux papas des deux petites victimes dans l’incessant retour médiatique sur la cruauté des faits à l’origine de l’affaire. Sa réaction pouvait-elle être autre ?

Justice versus Pardon

S’il fallait exprimer un avis à ce sujet, on devrait sans doute rappeler que la Justice n’est pas le Pardon. La première tente de développer et de maintenir des rapports respectueux pour permettre le vivre ensemble. Le second est plus ambitieux, d’une certaine manière, mais relève de la décision de chacun, de rétablir des rapports pour retrouver une communion perdue. Il n’y a de fait pas lieu d’attendre cette décision de pardon de personnes qui ne le souhaitent pas. Et l’on peut comprendre qu’y appeler puisse être ressenti comme une ingérence blessante par des personnes dont le deuil n’est pas fait. Reste que la Justice, elle, s’impose comme un cadre et qu’il faut faire selon… ou en changer les termes. Démocratiquement.

En quoi les Couples et les Familles sont-ils.elles concerné.es par cette actualité ? L’affaire Dutroux a touché toutes les familles en Belgique, et la médiatisation a fait qu’un grand nombre se sont identifiés aux parents des petites victimes. Les médias ont produit un feuilleton toujours inachevé qui fait qu’aujourd’hui encore, un nouvel épisode peut s’y ajouter à tout moment. Le rôle du temps et du droit, si pas à l’oubli du moins à la résilience, semble ne pas pouvoir trouver à se développer. Pourtant, tout cela nous parle des familles et de l’absence de ceux que l’on a aimés et qui sont partis, fut-ce dans des conditions atroces. Quelle place pour le deuil ? Quelle place pour la reconstruction ? Quelle Justice pour une restauration réussie du vivre ensemble ?

Et il ne faudrait pas que le caractère situé de l’exemple choisi pour poser la question, Marc Dutroux, nous fasse passer à côté de la raison initiale de ce questionnement : quelle reconstruction personnelle en milieu carcéral [4] ? Quelle évolution aussi pour ces (autres) couples et familles qui ont entre ces murs, des parents, un papa, une maman criminel.le.s qui devront un jour sortir et se réinsérer. La raison de se questionner est bien plus vaste que simplement réagir en se disant qu’un avocat veut décidément faire sa publicité en publiant un livre basé sur une hypothèse scandaleuse : « Libérer Dutroux ».[5]

 


Pour aller plus loin :
Lire : http://www.questions-justice.be/

 

 

 

 

 

 

 


[1] Lire : http://www.levif.be/
[2] Voir : https://www.rtl.be/
[3] Lire : https://www.rtbf.be/
[4] Lire : https://www.rtbf.be/
[5] Analyse rédigée par Michel Berhin.

 

 

 

 

 

 

 

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