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Analyse 2018-06

… du moins, à certaines (et peut-être aussi à certains). Quel comble !
La polémique suscitée par le livre « On a chopé la puberté », il y a de cela quelques semaines, n’a pas laissé indifférente l’équipe de Couples et Familles. Comment un ouvrage, non pas scientifique mais ludique et « fun », destiné aux pré-ados a-t-il pu se mettre à dos une foultitude d’internautes en si peu de temps ? Couples et Familles s’interroge.

Publié aux éditions Milan, ce « livre/BD » mettant en scène les célèbres Pipelettes, stars du mensuel pour jeunes ados « Julie », a reçu un accueil des plus intense, à tous niveaux. Paru le 7 février 2018 [1], ce livre s’est littéralement vendu comme des petits pains. En Belgique, même pas une semaine après sa sortie, certaines enseignes étaient déjà en rupture de stock… Un ouvrage autant attendu des parents que de leurs ados en devenir. Les premiers, désireux de procurer à leurs enfants des supports qui dédramatisent la période de changements en tout genre – pas toujours évidents à vivre – qu’est l’adolescence ; et les seconds, toujours ravis d’avoir une nouvelle BD sympa à dévorer.

Mais le rêve fut de courte durée. Début mars, les hostilités commencent. La page Facebook « The Nasty Uterus - La rage de l'utérus » s’indigne et interpelle la maison d’édition : « Sérieusement Milan, vous vous rendez compte que vous sexualisez des ENFANTS quand vous éditez des trucs pareils ? Comment s’étonner après que des gamines suivent des inconnus qui les séduisent ? Comment s’étonner du sentiment de culpabilité chez les femmes agressées quand on invite des gamines de 9 ans à sortir les seins pour se faire remarquer ? » avant de conclure en invitant les lectrices à ne pas suivre les conseils de Milan pour « vivre leur vie ». [2] Très peu de temps après, deuxième round : une pétition, lancée par une étudiante d’une vingtaine d’années et soutenue par la célèbre dessinatrice Emma (dont la page Facebook est aimée par plus 270 000 personnes), est mise en ligne. Des milliers de signatures sont ainsi récoltées en seulement quelques jours. [3] Les commentaires accusatoires pleuvent sur la toile, les Pipelettes se font lyncher… Face à l’ampleur de ce mouvement de contestation, Milan renonce à imprimer de nouveaux exemplaires de son ouvrage. Victoire ! Vraiment ?

Des dessins rigolos, des conseils éclairés, d’autres un peu moins ; le tout saupoudré d’une bonne dose d’humour

Pour en arriver à ce qui ressemble à – n’ayons pas peur des mots – de la censure, que contenait donc ce fameux livre à ne remettre sous aucun prétexte – à en croire certaines féministes – entre les mains de futures ados ?

Par exemple, la façon dont est abordée la question des « bouts de sein qui se voient » a déplu. Alors que les Pipelettes font remarquer que ce n’est pas « très gracieux » et proposent des solutions « camouflage », comme l’utilisation d’un soutien-gorge épais [4], la mouvance féministe n’en croit pas ses yeux…  Pourquoi ne pas avoir mis en évidence la dimension physiologique et rappeler aux jeunes filles que « les mamelons qui se dressent », c’est normal ? Pour les féministes, pas de honte à avoir. Si l’ado est gênée, elle peut « porter un soutien-gorge… ou pas » et elle a le droit d’être fière de son corps. Donc, la solution proposée par l’illustratrice Gayelle : avoir confiance en soi. [5] Par ailleurs, ce point de vue est aussi bel et bien présent dans l’ouvrage pourtant tant contesté ! Effectivement, les Pipelettes mettent l’accent sur le fait que c’est à l’ado de décider de porter, ou non, un soutien-gorge ; et qu’il ne faut pas perdre de vue que ce qui importe, c’est d’être à l’aise. [6]

Pour Couples et Familles, la confiance en soi est évidemment quelque chose qui doit être travaillé avec les jeunes. Mais nous pensons qu’il s’agit d’un processus et qu’il ne suffit pas de conseiller à une ado d’avoir confiance en elle pour qu’un déclic se fasse soudainement dans son esprit. Face à une pré ado gênée par son t-shirt qui laisse entrevoir le bout de ses seins, il nous semble que le conseil « choisir un soutien-gorge plus épais » lui sera d’une plus grande utilité que de s’entendre dire « assume-toi ». C’est un fait, ce genre de situation peut, chez certaines jeunes filles, constituer une source d’embarras. Et pour celles que cela ne dérange pas, il ne leur est évidemment pas obligé de suivre ce conseil. D’ailleurs, si cela ne les gêne pas, elles ne sont certainement pas en recherche de solution à un « problème » qui, pour elles, est inexistant.
  
Un autre reproche fait à l’ouvrage concerne une rubrique qui présente des astuces pour avoir plus de « nénés ». Décidemment, la façon dont les Pipelettes parlent des seins ne plait pas à tout le monde… Même s’il s’agit de conseils parfois abracadabrants relevant vraisemblablement davantage de l’humour que d’indications à prendre au premier degré, certaines féministes s’offusquent de la présence de telles « instructions » (qui sont pourtant présentées sur un ton léger à la manière d’un « one-man-show »).

Toujours dans le même domaine, des féministes s’en sont aussi prises aux Pipelettes car elles font remarquer que les seins attirent l’attention des garçons… « Quel scoop ! » aurions-nous envie de dire. Jamais les Pipelettes n’ont laissé entendre qu’il s’agissait du seul et unique moyen d’intéresser les garçons… si cela avait été le cas, alors une levée de boucliers aurait été compréhensible. Mais comme ce n’est pas le cas, ces reproches excessifs sont difficilement défendables.

Pour Couples et Familles, toutes ces critiques semblent ne pas tenir compte du contexte dans lequel s’inscrit ce livre. Le focus ainsi mis sur quelques éléments décontextualisés peut laisser penser que ce bouquin est légèrement à côté de la plaque pour accompagner les pré-ados dans les changements qu’elles vont vivre. Mais quand l’ouvrage est pris dans sa globalité, on comprend tout de suite qu’il vise à aborder les différentes facettes de la puberté de façon divertissante. Les jeunes adolescentes peuvent bien sûr s’identifier à l’une ou l’autre pipelette, comme elles le feraient avec une héroïne de dessins animés ou de séries télévisées, mais pour Couples et Familles, il est certain que les jeunes filles sont capables de discerner ce qui relève de la fiction et ce qui relève de la réalité. Il est peu probable qu’une ado se serve d’une BD pour guider sa vie… Elle s’en servira plutôt pour se distraire.

À l’heure ou des héros tels que Titeuf, les Nombrils, le Petit Spirou, etc. font rire petits et grands, l’on peut se demander ce que les Pipelettes ont bien pu faire/dire de pire pour, elles, se voir « retirées » de la vente…

Internet et ses dérives

Internet a joué un rôle non négligeable dans la descente en flamme de ce numéro des Pipelettes. Comme expliqué précédemment, c’est via les réseaux sociaux que plusieurs extraits du bouquin ont été analysés, souvent hors contexte, pour ensuite être partagés sans modération sur la toile. Mais n’est-il pas questionnant qu’un peu plus de 148 000 personnes se sont positionnées contre ce livre, alors que seulement 3000 exemplaires de celui-ci ont été vendus [7] ?

Juger un ouvrage, ou quoi que ce soit d’autre, sur des « on-dit » peut s’avérer dangereux et cela ne va pas sans conséquence. Dans ce cas précis, le bouquin ne sera pas réimprimé, alors que vu l’entrain qui a accompagné l’annonce de sa sortie, la demande était bien là. En outre, Anne Guillard, la dessinatrice des Pipelettes, renonce à continuer cette série… [8]

Et quid des parents qui, avant que la polémique n’éclate, ont offert cette BD à leur jeune ado ? Qu’ont-ils pu ressentir lorsque, par exemple, l’illustratrice Emma a invité ses milliers de « followers » à signer la pétition en scandant : « Après "Apprends les maths en comptant les migrants" de chez Nathan, "Apprends dès 9 ans à être un objet sexuel" de Milan ! » [9] Ces parents ont dû passer par une ribambelle d’interrogations et d’angoisses (Dois-je confisquer ce bouquin ? Suis-je un mauvais parent ? etc.) alors qu’en fait, la controverse n’avait pas vraiment lieu d’être…  

Plutôt que de lancer des anathèmes, ne serait-il pas plus judicieux d’inviter les parents qui songent à offrir cette BD – ou tout autre document abordant un sujet « sensible » -  à la feuilleter d’abord pour vérifier qu’elle est en accord avec leur propre approche et leurs valeurs ?

Par ailleurs, les enfants et les ados ont aussi leur propre esprit critique et ce type d’ouvrage est sans doute une bonne occasion de le développer. Plutôt que de « censurer » un livre où certaines approches sont « limites », n’est-il pas plus intéressant d’avoir un échange avec son enfant sur sa propre perception des choses ?

Ainsi, dans cette « affaire », ce que dénonce Couples et Familles, ce n’est pas le contenu humoristique – parfois « limite » – de cette BD, mais bien la tendance inquiétante qu’ont beaucoup d’internautes à agir comme des moutons…

Des choses insignifiantes peuvent ainsi être mises sur le devant de la scène alors que d’autres bien plus importantes peuvent passer totalement inaperçues. Par exemple, pas plus tard que la semaine dernière, le site lavenir.net publiait un article intitulé « Écolo veut imposer un tiers de femmes » [10]. On ressent comme une fierté dans cette déclaration, comme si imposer un minimum d’un tiers de femmes était quelque chose de positif… Mais pourquoi parler d’un tiers et pas de 50% ? Proposition qui serait, là, réellement égalitaire. N’y a-t-il que nous que ça chiffonne ? Et pour pousser la réflexion sur ce point encore plus loin, Couples et Familles estime que ce n’est pas par la mise en place de quotas que l’égalité pourra être atteinte, mais bien par la levée de stéréotypes susceptibles d’entraver le dessein professionnel des femmes. Ici, il y a matière à débattre…

Bref, nous sommes en 2018, une BD humoristique gentillette pour ados a été tout bonnement censurée, et une proposition pour faire une place relativement riquiqui aux femmes en politique a été formulée, sans que cela pose vraisemblablement problème. [11]

 

 

 

 

 

 

 

 


[1] On a chopé la puberté – Editions Milan. In : https://www.editionsmilan.com/. Consulté le 16 avril 2018.
[2] The Nasty Uterus - La rage de l'utérus – Publications. In : https://www.facebook.com/. Consulté le 16 avril 2018.
[3] Après la polémique, un livre pour adolescentes jugé sexiste ne sera pas réédité. In : http://etudiant.lefigaro.fr/. Consulté le 16 avril 2018.
[4] GUILLARD, Anne, et CLOCHARD, Séverine, et CONTE, Mélissa. On a chopé la puberté. Les secrets des Pipelettes. Toulouse : Editions Milan, 2018, p.43.
[5] Gayelle -Publications. In : https://www.facebook.com/. Consulté le 16 avril 2018.
[6] GUILLARD, Anne, et CLOCHARD, Séverine, et CONTE, Mélissa. On a chopé la puberté. Les secrets des Pipelettes. Toulouse : Editions Milan, 2018, p. 27.
[7] « On a chopé la puberté », une polémique et une pétition : l’illustratrice prend la parole. In : http://www.madmoizelle.com/. Consulté le 17 avril 2018.
[8] Ibid.
[9] Emma - Accueil. In : https://www.facebook.com/EmmaFnc/. Consulté le 17 avril 2018.
[10] Écolo veut imposer un tiers de femmes. In : http://www.lavenir.net/. Consulté le 17 avril 2018.
[11] Analyse rédigée par Audrey Dessy.

 

 

 

 

 

 

 

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