Analyse 2018-26

Tester les limites : les jeunes raffolent de cette pratique. Dès lors, rien d’étonnant à ce que beaucoup d’entre eux soient partants quand il s’agit de relever des défis, aussi vides de sens et puérils soient-ils ; d’ailleurs, plus bébêtes ils sont, mieux c’est… Il semblerait. Quand ils se disent « cap » de se livrer à telle ou telle activité, les (pré) ados, n’hésitent pas à joindre le geste à la parole et en deux temps trois mouvements, le challenge est relevé. Mais parfois, mettre au défi équivaut clairement à mettre en danger. Le côté macabre de certains de ces jeux bien loin d’être anodins fait froid dans le dos.

Le dernier en date – à notre connaissance tout du moins – s’appelle le « Momo challenge ». Malgré le flou qui l’entoure, ce challenge a fait couler beaucoup d’encre depuis juillet. Revenons sur le phénomène assez sombre qui se cache derrière ce nom niais… En tapant ces deux petits mots dans un moteur de recherche, on peut déjà clairement percevoir la noirceur qui les entoure. « Qu’est-ce que le Momo Challenge, ce jeu qui tue les ados ? » titre moustique.be. [1] « Momo, le dangereux challenge qui se répand sur WhatsApp, à l'origine d'un suicide en Argentine ? » interroge quant à lui un autre article publié sur rtbf.be. [2] Lesoir.be parle aussi du phénomène : « "Momo challenge" : le jeu macabre a fait un mort en France ». [3] Et il semblerait que le dangereux défi se soit aussi immiscé au sein de notre pays, comme en attestent les titrailles suivantes : « L’adolescent de Bertrix qui aurait participé au "Momo challenge" est décédé » [4] ou encore, « Bertrix : un ado de 13 ans décède, sans doute victime d’un jeu morbide sur le web ». [5]

De quoi s’agit-il concrètement ? Apparemment, le point de départ serait à chercher du côté de l’application WhatsApp. C’est via cette messagerie instantanée qu’il est possible de contacter un numéro ; celui de Momo. Ce dernier propose alors à son correspondant des défis… qui peuvent, il semblerait, s’avérer fatals. Le Momo challenge est lancé. Mais qui est ce malveillant Momo ? L’image qui lui est associée est celle – assez effrayante – d’une créature mi-femme mi-oiseau ; sculpture réalisée par une société d’effets spéciaux pour films d’horreur. Le ton est donné. Néanmoins, il reste à se demander qui utilise cette œuvre comme « masque » ? Qui se cache derrière le fameux numéro ? Qui, confortablement installé et dissimulé derrière un écran, donne naissance aux fameux challenges lourds de conséquences en pianotant simplement sur son smartphone ? Le premier numéro de Momo aurait été mexicain. Ensuite, c’est un numéro japonais qui lui aurait été attribué. Des youtubeurs publient sur le web des vidéos, parfois humoristiques, de ce « Momo » qui font le buzz : Momo devient célèbre. D’autres numéros de Momo commencent ensuite à se manifester, on en aurait dénombré une trentaine. Cependant, à l’origine, Momo n’était qu’un simple personnage de fiction, certes doté d’un potentiel certain pour créer de la frayeur, mais ne constituait pas un « jeu codifié » lit-on sur lemonde.fr. [6] Dans les faits, une partie seulement des numéros jouait « le jeu de la "Momo menaçante"» [7] mais une profusion de vidéos où Momo « fait peur » (insulte, dévoile des données personnelles, etc.) ont été réalisées pour ensuite être visionnées par des millions de personnes : les vidéos de fiction de Momo, une véritable mode. Au Mexique, l’unité d’enquête sur les délits informatiques communique sur le sujet dans une optique de prévention. Le mot « défi » est employé et la presse s’est emballée : « pour les médias, le "Momo Challenge" – et ses risques – sont nés » [8] peut-on lire sur lemonde.fr. Aujourd’hui, le buzz est retombé et les numéros du Momo challenge ne répondraient plus… [9]

De quoi s’inquiéter

Même si beaucoup d’inconnues gravitent autour du « Momo Challenge » et de sa dangerosité, il y a de quoi s’inquiéter. Ce phénomène fait indéniablement penser au « Blue Whale Challenge » – le défi de la baleine bleue – dont les principes sont, dans ce cas, clairement sans équivoques : se livrer à une sorte de « jeu » dont l’objectif est d’enchaîner la réalisation de défis tout au long de cinquante jours (ou étapes), et où l’on retrouve des incitations à l’automutilation et même, au suicide. D’origine russe, ce challenge qui a fait parler de lui en 2017 aurait poussé plus d’une centaine d’adolescents russes à l’acte fatal… « Aurait » car il s’agit bien ici d’une fausse information, d’un canular. Cette fake-news a bien sûr fait parler d’elle et a suscité de l’inquiétude chez pas mal de personnes, et notamment chez les parents. La couverture médiatique de cette agitation ressentie au niveau international a augmenté les risques que ce « faux » défi ne se métamorphose en vrai challenge auprès des jeunes, en particulier ceux dont la confiance en soi fait défaut et ceux qui présentent des tendances dépressives. Child Focus explique : « c’est précisément la "publicité" faite au phénomène qui a transformé le BWC (Blue Whale Challenge, ndlr.) – initialement une fausse information – en danger bien réel », ce qui complique le travail préventif. [10]

Face aux dangers de ces challenges – avérés ou non, mais bénéficiant néanmoins d’une couverture médiatique relativement large – Child Focus réagit en proposant des pistes qui peuvent guider toutes personnes qui pensent qu’un jeune y est empêtré. Un premier conseil à suivre serait de se montrer intéressé par « le monde » réel et virtuel des jeunes, ce qui facilitera le dialogue. Ensuite il convient de rester calme, de ne pas communiquer ses propres angoisses aux jeunes, mais de discuter posément, d’écouter le récit du jeune en faisant preuve de compréhension car c’est d’aide dont le jeune a besoin, et pas de jugements. Puis, tenter de percevoir les causes de cette participation au « jeu » et expliquer à l’adolescent les procédés de manipulation qui se cachent derrière celui-ci. Il faut que le jeune ait conscience qu’il n’est pas seul, et qu’il peut sortir de cet « enfer » à tout moment. Une personne de confiance (un parent, un enseignant, le parrain ou la marraine, etc.) peut épauler le jeune dans ses difficultés. Ainsi, il importe d’aider ce dernier à en solliciter une… Enfin, l’incitation à se faire du mal (pousser le jeune à s’automutiler, à se donner la mort…) est une infraction pénale. Dès lors, porter plainte s’avère incontournable. [11]

Des « mini défis » tout aussi préoccupants

Les réseaux sociaux sont de véritables nids à défis. La plupart font moins parler d’eux que les célèbres « Momo Challenge » et « Blue Whale Challenge » car il n’y est pas question de suicide, mais n’empêche que les idioties qui y sont proposées peuvent parfois se révéler dangereuses, tant sur le plan physique que psychologique. Citons l’« Ice and Salt Challenge », défi qui consiste à résister le plus longtemps possible à la douleur infligée par un glaçon posé sur la peau de l’avant-bras, préalablement recouverte de sel. Ce détail n’est pas des moindre car le sel engendre une réaction chimique qui abaisse la température à -20°C. Pas besoin d’un dessin pour imaginer les dégâts qui peuvent ainsi être causés… cela peut même aller jusqu’à des brûlures au troisième degré. Le côté pervers du froid, qui atténue la douleur de la brûlure ressentie de prime abord, encourage le jeune à s’infliger le supplice d’autant plus longtemps… [12]

Par ailleurs, l’ode à la minceur, voire à la maigreur, chantée en boucle par la société dans laquelle jeunes – et moins jeunes – tentent de s’épanouir est aussi une source d’inspiration inépuisable que les « créateurs » de ces types de défis, qui allient bêtise et danger, adorent exploiter. Du « Belly Button Challenge » [13] au « Collar Bone Challenge » [14] en passant par le « Ribcage Bragging » [15], « Le Challenge de la feuille A4 » [16] ou encore le « Thigh Gap Challenge » [17], les défis, ou tendances du web qui poussent les ados sur la pernicieuse voie de l’anorexie ne manquent pas. « Des photos arty et fashion de filles flirtant avec la mort semblent avoir la cote » lit-on dans un article publié sur elle.fr. Celui-ci rappelle aussi que l’anorexie n’est pas, en soi, causée par les réseaux sociaux mais ces derniers peuvent tout de même la précipiter, ou encore l’exacerber, particulièrement chez les jeunes filles en construction. [18]

Mais le monde virtuel n’est pas le seul univers où apparaissent ces « jeux » dangereux… tout le monde se souvient des dégâts qui peuvent être provoqués par le jeu du foulard par exemple.

Communiquer, prévenir, sensibiliser, aborder le sujet en veillant à ce que l’allocution soit dépourvue de tout caractère incitatif : un véritable challenge qui, pour favoriser ses chances de réussite, devrait appeler un travail main dans la main de la part des pouvoirs publics, du monde associatif, du milieu scolaire, de la sphère médiatique, et aussi, des parents. [19]

 

 

 


[1] https://www.moustique.be/. Consulté le 22 novembre 2018.
[2] https://www.rtbf.be/. Consulté le 22 novembre 2018.
[3] https://www.lesoir.be/. Consulté le 22 novembre 2018.
[4] https://www.lesoir.be/. Consulté le 22 novembre 2018.
[5] https://www.lavenir.net/. Consulté le 22 novembre 2018.
[6] « Momo Challenge » sur WhatsApp : itinéraire d’une psychose collective. In : https://www.lemonde.fr/. Consulté le 22 novembre 2018.
[7] Ibid.
[8] Ibid.
[9] Ibid.
[10] N’ayez pas peur de la baleine bleue – ensemble, nous pouvons l’affronter / Child Focus. In : http://www.childfocus.be/. Consulté le 22 novembre 2018.
[11] N’ayez pas peur de la baleine bleue – ensemble, nous pouvons l’affronter. In : http://www.childfocus.be/. Consulté le 23 novembre 2018.
[12] Ice and Salt Challenge, un défi dangereux : "La peau peut se nécroser". In : https://www.nouvelobs.com/. Consulté le 23 novembre 2018.
[13] Atteindre son nombril en faisant passer son bras derrière son dos.
[14] Placer un rang de pièces de monnaies dans le creux de sa clavicule.
[15] Exposer ses côtes saillantes avec fierté.
[16] Faire en sorte que sa taille ne soit pas plus large qu’une feuille A4 (disposée verticalement).
[17] Faire en sorte qu’il y ait un écart entre le haut des cuisses quand les pieds sont joints. Voir à ce propos : « Thigh gap ou l'obsession de la maigreur : nouvelle tendance chez les ados » Analyse 2013-13 de Couples et Familles.
[18] Ados : quand les anorexiques se défient sur Instagram. In : http://www.elle.fr/. Consulté le 26 novembre 2018.
[19] Analyse rédigée par Audrey Dessy.

 

 

 

 

 

 

 

Masquer le formulaire de commentaire

1000 caractères restants