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Analyse 2019-03

Chaque année, la saint Valentin nous revient avec son flot de propositions commerciales pour gâter notre chéri-e. Mais il est aussi possible d’en faire l’occasion d’actions plus critiques et solidaires.

14 février : pas moyen de le rater, c’est le jour de la saint Valentin. Tous les amoureux, toutes les amoureuses, se doivent de faire un geste pour leur petit ami-e, leur fiancé-e, le conjoint-e. Selon les régions, cette pratique s’étend même aux amis et amies, sans que des liens amoureux les unissent.

Une histoire très ancienne

Si la fête a pris des tournures très commerciales depuis une vingtaine d’années, elle existe cependant depuis très longtemps. L’identité du Valentin dont il est question est discutée par les historiens. L’Histoire a en effet conservé le mémoire de deux Valentin au troisième siècle de notre ère. Le premier, nommé Valentin de Terni, était un évêque martyr. Le second, un simple prêtre supplicié un 14 février 270, sous le règne de l’empereur Claude II. Et c’est en 495 que le pape Gélase Ier canonise Valentin de Terni et en fait le saint patron des fiancés et des amoureux. Mais d’autres historiens font remarquer que la saint Valentin se greffe sur une très ancienne fête païenne que les Romains célébraient depuis des centaines d’années : les lupercales. Les lupercales étaient célébrées du 13 au 15 février en souvenir de l'allaitement de Romulus et Remus par une louve et rendaient aussi hommage à Faunus Lupercus, une divinité de la fertilité et défenseur des troupeaux contre les loups, qui avait un aspect mi-homme mi-bouc. Lors d’un rituel, un prêtre tailladait le front de deux jeunes hommes pour que le sang versé soit mélangé à du lait. Ensuite, ces jeunes hommes couraient quasi nus dans toute la ville de Rome en fouettant au  passage les femmes qui voulaient avoir un enfant, à l'aide des lanières de peau de bouc pour les rendre fécondes. Le bouc symbolisait la luxure et les plaisirs sexuels. Quant à la suite de la fête, elle comportait son lot d’ébats sexuels. On comprend donc que l’Eglise catholique, toujours attentive à canaliser les débordements sexuels, ait souhaité, sous le pontificat de Gélase Ier, mettre fin à cette fête païenne en lui substituant la saint Valentin. Ce n’est pas le seul exemple de christianisation de fêtes païennes. Ironie de l’histoire, presque deux mille ans plus tard, c’est peut-être le mouvement inverse auquel on assiste, quand on voit la fête de Pâques et sa traditionnelle chasse aux œufs devenir l’occasion d’une chasse aux sextoys minutieusement enfouis dans le sol d’une prairie par un fabricant d’accessoires érotiques… Cette chasse est organisée chaque année au printemps à Wépion (Namur) depuis une dizaine d’années. [1]

Une aubaine commerciale

Cette chasse aux sextoys n’est qu’un des multiples exemples de l’utilisation de la saint  Valentin par le commerce pour en faire une affaire juteuse. Les restaurants proposent depuis de nombreuses années des menus « spécial saint Valentin ». Les chocolatiers et les parfumeurs se frottent les mains. Les hôteliers proposent des week-ends spéciaux. Et pour faire le lien peut-être avec les Lupercales, la grande distribution comme les commerces spécialisés comptent sur cette fête pour booster leurs ventes de lingerie affriolante et autres accessoires coquins. Tout le secteur commercial est en effervescence plusieurs semaines à l’avance dans le but de maximiser les ventes, phénomène que l’on observe à l’occasion de bien d’autres fêtes. La dernière en date, le Black Friday, qui vient tout droit des Etats-Unis, est passé dans notre pays, en quelques années seulement, du statut d’inconnu à un battage médiatique sans précédent. À chaque fois, un seul but, doper les ventes et pousser à consommer davantage en entretenant l’illusion de faire de bonnes affaires, malheureusement trop souvent en achetant des objets non nécessaires.
La particularité de la saint Valentin est sans doute de jouer sur les « bons sentiments ». En offrant un cadeau à sa dulcinée (ou l’inverse), chaque amoureux-se a le sentiment de faire quelque chose de bien, de manifester son attachement, de nourrir la relation qui le relie à l’autre. Et c’est d’ailleurs sans doute le cas pour beaucoup… même s’ils sont entrainés par la pression publicitaire à penser que le prix du cadeau offert, plutôt que la symbolique du geste,  mesure son degré d’amour.
Certaines associations proposent d’ailleurs, à l’occasion de la saint Valentin, de consacrer la soirée de fête, voire le week-end, à une démarche d’approfondissement de la relation. Les amoureux sont invités à participer à un souper aux chandelles, mais dont le but, plus que d’en mettre plein la vue à son-sa bien-aimé-e, est de consacrer du temps à la communication dans le couple, selon un canevas plus ou moins dirigé. Plusieurs services de pastorale familiale ont en tout cas proposé de telles initiatives ces dernières années.

Un amoureux sur dix ne sait ni lire ni écrire

La saint Valentin peut également être l’occasion d’actions plus militantes et se donner pour objectif de lutter contre les inégalités dans notre société. C’est ainsi que, depuis environ dix ans, les écrivains publics de la province de Namur organisent une action à l’occasion de la saint Valentin. Il y a une dizaine d’années, à Auvelais, les écrivains publics étaient présents lors du marché hebdomadaire du mercredi et menaient une action très festive autour des petits mots d’amour et d’amitié. À Namur, l’opération s’est déjà déroulée en différents lieux mais, depuis cinq ans, elle se passe dans les deux mêmes lieux. Le matin, les écrivains publics installent leur stand dans le hall d’accueil de l’hôpital d’Auvelais. Claire Monville, permanente à Lire et Ecrire Namur, assure la promotion des écrivains publics. Elle trouve que cette présence à l’hôpital d’Auvelais est toujours très touchante, car les gens de la région sont très spontanés, peut-être plus qu’ailleurs. « Nous avons un stand à l’entrée de l’hôpital. Notre panneau annonce que nous sommes à la disposition des gens et on les arrête pour leur expliquer ce que nous pouvons écrire pour eux et surtout leur rappeler qu’il y a encore aujourd’hui beaucoup d’adultes qui ne savent pas bien lire ni écrire, que c’est un problème de société et pas la responsabilité des personnes. »
L’après-midi, les écrivains s’installent à l’Hôtel de Ville de Namur. Comme l’hôpital d’Auvelais, le lieu a été choisi parce qu’il permet d’y rencontrer un public très varié, et en particulier le public susceptible d’avoir besoins des services d’un écrivain public. Tout le monde est en effet susceptible de fréquenter les services de l’administration communale comme ceux d’un hôpital. Cette année, cela se passe le mercredi, veille de la saint Valentin. C’est un bon jour, car il y a beaucoup d’enfants qui accompagnent leurs parents pour des démarches administratives, et les enfants sont souvent un point de contact beaucoup plus facile et spontané. Ils sont attirés par les cartes colorées, les autocollants ou les paillettes que les écrivains publics proposent et viennent rédiger une carte pour leur papa ou leur maman. Et quand ceux-ci reçoivent la carte « papa, maman, je t’aime », ils sont touchés et viennent remercier. C’est l’occasion de les informer de l’existence du service, et de la tenue de permanences au même endroit, chaque semaine, pour ceux qui ont besoin d’un peu d’aide pour remplir un document administratif ou écrire une lettre.

Une occasion de s’interroger

Cette action des écrivains publics, en plus d’être sympathique et souriante, invite aussi à s’interroger.
La première réflexion que l’on peut se faire est de constater à quel point un même événement peut être vécu et utilisé de manières très différentes. Pour certains en abondant dans le sens de la surconsommation et pour d’autres en prenant cette occasion pour s’interroger sur ses relations –privées ou sociales– et sur le fonctionnement de la société, dans le but de la transformer.
Par ailleurs, le rappel qu’il existe toujours 10% de la population, dans un pays riche et développé comme la Belgique, qui connaissent des difficultés avec la lecture et l’écriture, oblige à s’interroger sur le fonctionnement même de la société :
- Qu’est-ce qui ne fonctionne pas dans l’organisation de l’enseignement pour qu’une personne sur dix passe par les mailles du filet et ne maitrise pas les apprentissages fondamentaux comme la lecture et l’écriture à la fin de l’obligation scolaire ? Et que faudrait-il donc changer en conséquence, pour que l’objectif premier des moyens mis en œuvre ne soit pas l’excellence des plus performants, mais l’acquisition par tous des bases essentielles à l’exercice de la citoyenneté.
- Comment des citoyens pourraient-ils exercer leurs droits fondamentaux s’ils ne maîtrisent pas la lecture et l’écriture dans une société de l’information ?
- Comment les services publics (les administrations comme le monde médical, et on pourrait y ajouter le monde judiciaire et d’autres) devraient-ils se transformer pour que tous ses utilisateurs puissent en bénéficier ? En faisant le constat que pour beaucoup de ceux qui n’ont aucun problème avec la lecture et l’écriture, il est souvent difficile de déchiffrer les messages reçus.
- Enfin, quelles politiques faut-il mettre en œuvre pour réduire ces inégalités ?
Couples et Familles n’a pas réponses à ces questions ni de solutions miracles. Mais sans doute pourrait-on, dans chaque dossier que l’on aborde, prendre prioritairement en compte le point de vue de celui qui est exclu du système. Tout compte fait, à l’occasion de la fête de l’amour et des amoureux, ce serait judicieux… [2]

 

 

 

 

 

 

 

 


[1] En 2019, cette chasse aura lieu le dimanche 14 avril, une semaine avant la fête de Pâques. Elle attire chaque année plusieurs milliers de participantes… et leurs conjoints.
[2] Cette analyse a été rédigée par José Gérard.

 

 

 

 

 

 

 

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