Analyse 2019-07

La contraception est souvent considérée comme une « affaire de femmes », puisqu’intimement liée à la grossesse. Même si le préservatif masculin fait également partie de la « norme contraceptive », il est surtout utilisé au début des relations, car, en plus de sa fonction contraceptive, il demeure la seule barrière aux maladies sexuellement transmissibles (MST). Une fois la relation stabilisée et, si nécessaire, les dépistages réalisés, le préservatif laisse en général la place à la pilule ou aux autres moyens contraceptifs féminins (stérilet, anneau vaginal, etc.) [1].

Or, en développant une pilule pour homme, des chercheurs américains [2] sont en train de changer le paradigme. À en croire les informations relayées par la presse, d’ici une dizaine d’années, si la pilule masculine est effectivement commercialisée, les hommes auront un choix supplémentaire aux trois moyens contraceptifs masculins les plus répandus actuellement, à savoir le préservatif, le retrait et la vasectomie. Cependant, les travaux de l’équipe sont seulement en phase de test et cette pilule masculine n’a pas encore été expérimentée sur des couples sexuellement actifs [3].

L’histoire de la pilule, une libération…

L’invention de la pilule contraceptive en 1955 par l’américain Gregory Pincus – sous l’impulsion d’une femme, Margaret Sanger, militante et présidente du Planning familial américain – puis sa légalisation en 1967, en France, avec la loi Neuwirth, font indéniablement partie de la longue histoire de l’émancipation des femmes. Le mouvement né en France en mai 68 et la révolution sexuelle des années 60 et 70 ont transcendé les frontières et ont changé les mentalités : les relations sexuelles pouvaient désormais être conçues en dehors du cadre du mariage, le plaisir n’était plus tabou, on osait enfin dissocier activité sexuelle et procréation… [4]

Dans ce contexte, absorber une « simple » pilule pour éviter de tomber enceinte devenait très intéressant, d’autant plus que cette méthode était bien plus fiable et moins contraignante que les techniques naturelles utilisées jusque-là (observation du calendrier des règles et abstinence périodique, retrait). Au risque d’une grossesse non désirée se substituait donc un rituel régulier, celui d’ingérer quotidiennement une pilule.

C’est la vie entière des femmes qui a été chamboulée par cette découverte majeure : en étant capables de retarder leurs grossesses, les femmes ont pu davantage profiter de leur jeunesse, mais aussi choisir de poursuivre des études, de faire carrière, etc.

… ou un fardeau ?

Les avantages certains que la pilule introduit dans la vie des femmes (fin de la peur d’une grossesse non désirée, régulation du cycle périodique, traitement contre l’acné, etc.) ne doivent pas effacer les risques de cette médication. Car il s’agit bien d’un médicament, autrement dit une substance chimique modifiant les fonctions physiologiques du corps. Des complications et des accidents cardio-vasculaires peuvent avoir lieu. Même si les cas sont rares et touchent plutôt les femmes connaissant d’autres problèmes de santé (tabagisme, surpoids, diabète), ils existent tout de même. À la fin de l’année 2012, la plainte d’une femme, devenue handicapée à la suite d’un AVC causé par une pilule de 3e génération [5], révéla les risques liés à cette contraception. D’ailleurs, dans une enquête menée par Solidaris en 2017, 50% des répondants se disaient inquiets de la composition hormonale de certains moyens contraceptifs [6].

À côté des potentiels problèmes de santé qu’elle peut provoquer, la pilule reste contraignante pour la femme : recevoir une prescription et se procurer une boîte représentent un coût et demandent du temps. Il y a également l’angoisse d’oublier de la prendre ou de ne pas bien l’absorber lors d’un épisode de troubles digestifs.

Au regard de ces inconvénients, de plus en plus de femmes choisissent de renoncer à la pilule et de recourir à d’autres modes de contraception. La tendance actuelle de retour à une consommation plus simple et plus naturelle décrédibilise progressivement ces hormones artificielles et questionne les femmes.

La pilule masculine en cours d’élaboration aux États-Unis a aussi son lot d’effets secondaires indésirables, même s’ils sont limités : maux de tête, fatigue, troubles de l’érection, légère baisse de libido [7]… Peut-être faudrait-il que les chercheurs se penchent sur une contraception plus naturelle, car s’il est incontestable qu’une pilule masculine est un progrès en soi, le but n’est pas d’exposer les hommes aux risques et complications qu’ont dû affronter certaines femmes.

Changer les mentalités

La pilule est à ce point ancrée dans les mentalités que 96% des femmes interrogées lors de l’enquête de Solidaris déclarent l’avoir déjà prise au moins une fois. C’est bel et bien devenu une « norme ». Les femmes sont influencées par la société ou leur entourage, souvent à défaut de se renseigner correctement par elles-mêmes. Les mères, voire les grands-mères, qui ont bénéficié de la pilule à ses débuts et ont mesuré la chance de l’arrivée d’un tel produit sur le marché, encouragent leurs filles ou petites-filles à opter pour ce moyen contraceptif « facile ». De cette manière, elles les confortent dans l’idée que c’est à elles, en tant que femmes, de prendre la contraception en main [8].

Cela dit, dans 77% des cas, les femmes sont d’abord conseillées par leurs gynécologues. Mais ces médecins cèdent également à l’emprise du conformisme. Parfois accusés d’être les marionnettes de lobbies pharmaceutiques, ils ou elles sont surtout confrontés à des patientes qui se rendent à la consultation dans le but unique de se voir prescrire une contraception – la pilule la plupart du temps [9].

Une question se posera avec la pilule masculine : quel médecin sera compétent pour la prescrire ? L’urologue ? Le médecin généraliste ? Qui le conseillera ? On peut dès lors supposer que dans un couple, le choix du médecin consulté (gynécologue ou urologue) déterminera la contraception. Ne devrait-on pas envisager plutôt une consultation en duo pour aborder cette question ? Il faut dire que si les femmes réclament plus d’implication de leur partenaire dans la contraception, elles sont réticentes, paradoxalement, lorsqu’il s’agit de les inclure dans leurs visites chez le ou la gynécologue [10].

Un pas en faveur de l’égalité ?

Alors que, jusqu’à présent, la charge physique et mentale de la contraception incombe majoritairement aux femmes, les hommes auront, avec la pilule, la possibilité de prendre en charge cet aspect de la vie sexuelle du couple. Cela améliorerait donc l’égalité dans les relations femmes-hommes. Dans 50,2% des cas, l’homme n’utilise pas ou plus de contraception parce que c’est sa partenaire qui s’en charge. Seule une femme sur 20 (5,4%) peut en dire autant. Les hommes sont-ils prêts à renverser la tendance ?

On constate déjà que de plus en plus d’hommes optent pour la vasectomie, même si les interventions de ligature des trompes restent plus nombreuses [11]. Pour ce qui est de la pilule masculine, 40% des hommes belges se disent disposés à l’essayer si elle est commercialisée. Mais ce taux reste inférieur aux attentes des femmes.

Pourtant, cette pilule masculine pourrait être l’occasion de réhabiliter les hommes dans leur fonction de père. Si dans les années 1960, les femmes souhaitaient vivre une féminité dissociée de la maternité, il semblerait que les hommes, actuellement, tendent à vouloir concilier masculinité et paternité. Selon le baromètre de la Ligue des familles, en 2017, deux pères sur trois se positionnent en faveur d’un congé de paternité obligatoire et ils sont de plus en plus nombreux à prendre ce congé [12]. On souligne en effet mieux l’importance du rôle du père auprès de l’enfant en bas âge. Que l’homme assume la contraception et choisisse, en concertation avec sa partenaire, le moment propice pour l’arrêter et donner naissance à un enfant pourrait donc, aussi, renforcer l’égalité de l’homme par rapport à la femme.

Reste la question du prix. Rien ne nous garantit que ces pilules seront bon marché. Si la pilule des hommes coûte davantage que celle des femmes, le choix de la contraception sera-t-il objectif ? L’intervention des mutuelles jouera donc aussi un rôle important dans la « normalisation » de la pilule pour homme. D’autant plus qu’on sait que l’aspect financier peut entraver l’accès à la contraception (6% des personnes interrogées par Solidaris ont déjà dû renoncer à la contraception pour des raisons d’argent, et ce taux atteint 9% dans les groupes sociaux les moins favorisés).

Dans tous les cas, la décision ou non d’être parent et le choix du moyen de contraception doivent être les fruits d’un dialogue, voire d’un compromis des deux partenaires, mais en aucun cas le résultat d’une domination de l’un sur l’autre. Pour que la concertation puisse s’installer et la délibération s’effectuer, une information complète et critique doit être mise à disposition, présentant objectivement l’éventail des moyens de contraception existant – pilule pour homme y compris, en cas de commercialisation [13].

 

 

 

[1] « 50 ans après sa légalisation, la contraception reste "une affaire de femmes" », 17/12/2017. In : https://www.rtbf.be/ (consulté le 06/05/2019).
[2] L'University of Washington School of Medicine et du Los Angeles Biomed Research Institute (LA BioMed).
[3] « Une nouvelle pilule contraceptive masculine testée avec succès à petite échelle », 30/03/2019. In : https://www.rtbf.be/ (consulté le 06/05/2019).
[4] SINDING Christiane, « Pilule contraceptive ». In : https://www.universalis.fr/ (consulté le 06/05/2019) ; GUÉNIOT Chantale, « Contraception hormonale ». In : https://www.universalis.fr/ (consulté le 06/05/2019).
[5] Depuis les années 1960, quatre générations de pilules ont vu le jour, avec des dosages propres à chacune.
[6] Solidaris, Grande enquête – Contraception 2017. In : http://www.institut-solidaris.be/ (consulté le 03/05/19). Tous les chiffres repris dans la présente analyse et concernant la contraception sont issus de cette enquête.
[7] « Une nouvelle pilule contraceptive masculine testée avec succès à petite échelle », op. cit
[8] LEQUEUX Armand, « Générations pilule », 05/02/2019. In : https://www.lalibre.be/ (consulté le 06/05/2019).
[9] LALMAN Lara, Contraceptions : quels choix pour les femmes aujourd’hui ?, CEFA asbl (Études), 2010. 
[10] DESJEUX Cyril, « La pilule hormonale féminine : De la fécondité "féminine" à la fécondité "conjugale" », Socio-logos, 3, 2008. In : https://journals.openedition.org/ (consulté le 03/05/19).
[11] LALMAN Lara, « Faut-il repenser notre approche du contrôle de la fertilité? », Corps écrits asbl (Analyses), 2018. In : https://www.corps-ecrits.be/ (consulté le 06/05/2019).
[12] La ligue des familles, Le baromètre des parents 2017. In : https://www.laligue.be/ (consulté le 06/05/2019).
[13] Analyse rédigée par Sigrid Vannuffel.

 

 

 

 

 

 

 

 

Masquer le formulaire de commentaire

1000 caractères restants