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Analyse 2020-05

Les enjeux écologiques se sont implantés dans notre quotidien de façon exponentielle depuis quelques années. Ils ne cessent de se renforcer suite aux nombreuses catastrophes naturelles que nous observons de par le monde. Alors que notre société se tourne petit à petit vers des alternatives à notre mode de consommation actuel, certaines personnes s’investissent, financièrement mais aussi émotionnellement, plus que d’autres. Apparemment, cette tentative de renouveau est principalement investie par… les femmes ! Ce mouvement trouve ses racines dans ce que l’on nomme « écoféminisme », et il ne date pas d’aujourd’hui.

Ce mouvement a été reconnu comme tel dans les années 70 suite à des protestations exclusivement féminines1. C’est l’écrivaine Françoise d’Eaubonne qui a employé pour la première fois le terme écoféminisme. Elle est cofondatrice du Mouvement de libération des femmes et a signé le Manifeste des 343 pour le droit à l’avortement. Son ouvrage phare, Le féminisme ou la mort, compare l’exploitation des femmes à l’exploitation de la terre et souligne la responsabilité des hommes dans la crise environnementale2. Une des problématiques mise en avant, c’est la surpopulation. La cause féministe est concernée, car si les femmes avaient la possibilité de contrôler leur fertilité, cela changerait la donne. C’est une piste clé à la fois pour l’environnement, mais aussi pour les femmes.

L’écoféminisme : un mouvement, plusieurs combats

La philosophe Karen J. Warren explique que les femmes sont souvent associées à la nature alors que les hommes sont associés à l’humain, ce qui est reconnu comme une valeur supérieure. Ainsi, il s’est construit culturellement que, non seulement les hommes dominent la nature mais aussi les femmes3. Les femmes jouent un rôle considérable dans l’agriculture, dans la gestion des forêts et de l’eau. Dans certains pays, elles sont parfois même plus nombreuses que les hommes à travailler dans le secteur de l’alimentaire ou dans le domaine forestier4.

Le mouvement s’est étendu dans le monde entier et aujourd’hui de nouvelles figures féminines apparaissent, comme Greta Thunberg, la jeune fille suédoise qui milite contre le réchauffement climatique. La question du climat est de plus en plus posée : la conférence Women4Climate, les femmes pour le climat, réunit des mairesses, des cheffes d’entreprise, des chercheuses, des artistes, des inventeuses, etc. toutes venues du monde entier. Le constat est là : le réchauffement climatique touche d’abord les minorités, les plus démunis, les personnes âgées, les enfants et sans oublier les femmes5. Lors de catastrophes naturelles, les femmes sont plus durement touchées. En effet, il s’agit, comme pour chacun, de se remettre physiquement et émotionnellement de la catastrophe, mais également, comme l’impose la pression sociale, de devoir continuer à assurer le bon déroulement des tâches familiales et de prendre soin des autres.

Zéro-déchet… zéro-sexisme

Diminuer la quantité de nos déchets ménagers est devenu un objectif pour des personnes et des familles. Ce principe s’est étendu sous l’acronyme « ZD » et est parfois même perçu comme un nouveau mode de vie. À ce jour, il n’existe pas encore d’étude statistique concernant les individus adhérents à la politique zéro-déchet. Selon les observations de Femmes Plurielles, ce sont majoritairement les femmes qui fréquentent les ateliers, les rencontres, etc. concernant le ZD6. La gent masculine est également présente, mais en moins grand nombre. La question que Couples et Familles se pose : pourquoi la préoccupation environnementale et écologique est-elle surtout une affaire de femmes ? 

Si nous voulons agir sur notre production de déchets dans notre quotidien, cela renvoie à l’image de notre foyer et de sa consommation. Qui dit « foyer » dit, encore aujourd’hui et pour beaucoup, « femme ». Les stéréotypes en sont la cause, comme bien souvent. La tradition veut que les hommes se centrent davantage sur leur vie professionnelle que sur leur vie au foyer. C’est donc aux femmes qu’incombe la tâche de s’investir dans la réduction des déchets. Le sentiment de reconnaissance a tendance à s’octroyer, pour les femmes, au sein de la sphère familiale, via le care. Il s’agit de la sensibilité que l’on peut ressentir envers les autres ainsi que leurs besoins, mais aussi le fait de prendre en charge celui ou celle qui ne sait pas répondre à ses besoins seul. Cela rejoint donc la cause écologique. Les femmes se soucient de l’état du monde, de la planète et de la nature. Cependant, être confinées au sein du foyer s’avère frustrant. Difficile de faire entendre sa voix de chez soi. C’est pourquoi les femmes devraient avoir l’opportunité de s’impliquer dans les lieux de pouvoir. La lutte contre le réchauffement climatique est en corrélation avec la lutte contre les inégalités de genre. En parallèle, nous pourrions essayer d’impliquer les hommes dans la dynamique zéro-déchet au sein de la sphère familiale. Les femmes ne devraient pas être les seules à porter la charge mentale écologique. Dans les couples, la répartition des tâches n’est que trop rarement équitable. Rajouter encore la préoccupation ZD sans y impliquer les hommes ne ferait qu’alourdir le poids sur les épaules des femmes. Les femmes ne sont pas spécialement plus aptes à prendre soin de l’environnement que les hommes, cette idée préconçue trouve son origine dans les préjugés. Parce que les femmes peuvent donner la vie, elles seraient plus proches de la nature et susceptibles d’aider les autres. L’émancipation passe par la déconstruction de ces schèmes de pensée7.

Cette prise de conscience environnementale se réalise parfois après la naissance d’un enfant. Au nom du bien-être de ce dernier, les jeunes mamans s’investissent dans la cause écologique. La nouvelle responsabilité maternelle rend plus sensible le mal-être suite aux constats actuels : pollution, réchauffement climatique, catastrophes naturelles, etc.8 D’autres font le choix de ne pas mettre d’enfant au monde afin de ne pas impacter davantage l’état de notre planète. Ces femmes se font appeler Gink (Green Inclination, No Kids). Ces dernières sont convaincues que la surpopulation est nocive pour l’environnement. Leur slogan est sans équivoque : « Si tu aimes tes enfants, ne les mets pas au monde, c’est une poubelle. »9 Le mouvement écoféministe est composé d’une diversité de courants : culturel, social ou spirituel. Aucun ne prétend détenir la solution miracle, le but est de tenter de voir le monde sous un autre regard. Pour aller plus loin, la féministe Donna Haraway a pour objectif d’élargir l’éthique du care aux non-humains, c’est-à-dire aux animaux10. Ainsi l’auteure met en avant la sensibilité et l’empathie qu’éprouvent les animaux. Nous pouvons prendre soin d’eux comme ils peuvent prendre soin de nous, à leur manière. Vouloir les protéger, c’est aussi vouloir protéger leur habitat, cette planète Terre sur laquelle ils vivent, eux aussi. Dans cette vision des choses, l’être humain n’est pas au sommet de la chaîne alimentaire, qui justifie l’exploitation animale. Au contraire, les humains font partie d’un tout, sans aucun rapport de supériorité, où la compassion et le respect sont de mise. Donna Haraway nous invite à réfléchir sur ce qui nous différencie du règne animal et ouvre la réflexion sur la cohabitation inter-espèces. Cela s’étend au-delà de nos animaux de compagnie « classiques » comme le chien ou le chat. Comment notre monde dit civilisé peut-il cohabiter avec la nature, le sauvage ? Prenons l’exemple du retour du loup en Wallonie qui suscite bien des émois. Certains le craignent, des éleveurs s’inquiètent pour leur bétail, des chasseurs sont prêts à suivre sa piste, d’autres s’en réjouissent : le retour du canidé est un bon signe pour la biodiversité belge11. Bref, les réactions ne manquent pas. Sommes-nous prêts à accueillir les loups alors que nous avons causé, par le passé, leur disparition ? La question est de savoir quelle société mettre en place afin que chaque être sensible soit respecté et trouve sa place.

Se retrouver

L’écoféminisme résulte d’une solidarité entre les femmes de tous horizons, du Nord et du Sud. Mais également d’une pluralité d’enjeux : migratoires, violences faites aux femmes, crises climatiques et environnementales.

Recréer du lien avec la nature donne également l’opportunité aux femmes de se retrouver elles, de retrouver leur corps. L’idée est de réinitier un contact, autre que destructeur, avec la nature sans pour autant se couper du monde auquel on appartient. On ne parle pas d’un retour en arrière « où l’être humain ne faisait qu’un avec la nature » mais d’une réparation, de retrouvailles. Ainsi, s’investir dans cette réparation peut permettre d’accroitre son développement personnel. De là émerge l’envie de se rassembler, de créer des projets ensemble, et les cercles de femmes voient le jour12. Tout cela dans l’espoir d’un changement social13.

 

 

 

 

 


 

1. CHARRIER L., « Écoféminisme : environnement et condition des femmes, même combat ? », 19/11/19 : https://information.tv5monde.com/ (consulté le 10/12/19).
2. D’EAUBONNE F., Le féminisme ou la mort, édition P. Horay, 1974.
3. WARREN K., « Le pouvoir et la promesse de l’écoféminisme », Multitudes, n° 36, 2009/1, p. 170-176.
4. SAINT-JULLIAN E., « Climat, environnement, développement : les femmes en première ligne », 07/01/15 : https://information.tv5monde.com/ (consulté le 10/12/19).
5. GIRARDEAU M., « #Women4Climate : les femmes à la pointe de l'action climatique », 21/02/19 : https://information.tv5monde.com/ (consulté le 10/12/19).
6. LAHAYE L., « Le zéro-déchet… une affaire de femmes ? », Femmes Plurielles, 11/12/19 : http://www.femmes-plurielles.be/ (consulté le 16/12/19).
7. VANWAMBEKE E., « Ce que l’éco-féminisme nous dit sur la crise écologique », Oxfam, 31/12/18 : https://www.oxfammagasinsdumonde.be/ (consulté le 16/12/19).
8. Voir « "Vert, je désespère" ? L’éco-anxiété », analyse 2020-02 de Couples et Familles.
9. NICOLET H., « Les "Ginks", ces femmes qui renoncent à la maternité pour sauver l'environnement », 11/12/15 : http://madame.lefigaro.fr/ (consulté le 16/12/19).
10. HARAWAY D., Des singes, des cyborgs et des femmes. La réinvention de la nature, Actes Sud, 2009.
11. « Le loup : le retour d’un grand prédateur » : https://wwf.be/ (consulté le 28/01/2020).
12. BRAUN Fr., « A la recherche des fondements écoféministes », Corps Écrits, 21/04/17 : https://www.corps-ecrits.be/ (consulté le 16/12/19).
13. Analyse rédigée par Violette Soyez.



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