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Analyse 2020-10

Bien que la Belgique ait été parmi les premiers pays du monde à reconnaître le mariage homosexuel et l’adoption pour les couples de même sexe1, être parent quand on est homosexuel est un vœu qui ne s’exauce pas aussi facilement. Les parents ou futurs parents homosexuels sont régulièrement en proie aux attitudes discriminantes, volontaires ou non, d’une société « hétéronormée », ce qui peut entraîner la souffrance non seulement des parents, mais également de leurs enfants.

On se souvient tous de la polémique de 2019 autour des formulaires scolaires, dont les cases « père » et « mère » avaient été modifiées en « parent 1 » et « parent 2 », et qui avait suscité une levée de boucliers de la part des plus conservateurs, surtout en France2... Si pour certains, la modification de l’intitulé de ces cases est un scandale – ou peut-être une futilité –, pour les familles homoparentales, la neutralité de de la mention « parent » (1 ou 2 n’étant pas nécessaire) est un geste d’inclusion. Car l’accumulation de petits éléments « hétérosexistes » de ce genre leur rappelle sans cesse leur différence et peut participer au développement d’un sentiment d’exclusion chez leur enfant. Mais bien avant que l’enfant soit scolarisé, de nombreuses difficultés ont en général déjà jalonné le parcours des couples homoparentaux…

Difficulté à devenir parent

En réalité, être homosexuel et parent est une cette situation qui existe depuis toujours. De nombreux homosexuels ont des enfants d’une première union hétérosexuelle avant de faire leur coming out. Cela dit, avec le changement progressif des mentalités et grâce aux avancées de la médecine, l’homosexualité n’implique plus spécialement de renoncer à la parentalité. Le désir d’enfants des personnes homosexuelles peut dès lors faire partie d’un projet parental construit et partagé par le couple. Toutefois, pour les couples homosexuels, devenir parents s’apparente à un réel parcours du combattant…

La plupart des femmes lesbiennes, pour devenir mères, recourent à l’insémination artificielle avec donneur (IAD), un type de procréation médicalement assistée. Ce processus est pratiqué dans certains hôpitaux en Belgique. En ce qui concerne la filiation, les coparentes ont la possibilité depuis le 1er janvier 2015 de revendiquer la comaternité de leur enfant sans devoir passer par l’adoption comme c’était le cas auparavant3. Si la démarche est facile en apparence, les futures mamans subissent parfois des remarques homophobes de la part du personnel médical, que ce soit avant ou pendant la grossesse4.

Pour les couples d’hommes, une solution de ce type n’existe pas. Ils sont donc nombreux à se tourner vers l’adoption pour devenir parents. Comme dit plus haut, l’adoption par un couple homosexuel est légale depuis 2006 en Belgique, et les deux pères sont alors parents adoptifs au même titre que des parents hétérosexuels… en tout cas, en pratique. En réalité, il reste toujours très difficile pour des hommes gays d’adopter un enfant. Les dossiers des candidats homosexuels sont plus souvent refusés que ceux des couples hétérosexuels. Des quotas sont en réalité instaurés par l’institution en charge de l’adoption : ceux-ci sont calculés en fonction « du taux de refus catégoriques des parents de naissance de confier leurs enfants à un couple de même sexe. En effet, le système d’adoption belge prévoit que les parents de naissance puissent choisir le type de famille à laquelle confier leurs enfants. (…) 80 % des parents de naissance n’accepteraient pas de confier leur enfant à un couple de même sexe. Sur la base de ce taux de refus, l’institution envisage alors de confier seulement 20 % des enfants adoptables en interne à des couples de même sexe5. » Quant aux adoptions internationales, les chances de voir sa candidature acceptée sont encore plus réduites, et les couples de même sexe qui parviennent à adopter un enfant étranger sont extrêmement rares. La raison ? Les pays d’origine sont, pour la plupart, encore réfractaires à confier des enfants à des couples homosexuels, quand ce n’est pas complètement prohibé6.

Mais l’adoption n’est pas le seul moyen de devenir « homo-papa ». Pour certains, le lien génétique revêt une importance particulière. Ces hommes souhaitent, à l’instar des familles « traditionnelles », une descendance de leur sang, de leurs traits. Les liens du sang restent prévalents dans la manière d’établir une famille, en tout cas selon nos normes euro-américaines7. Pour les couples hétérosexuels – du moins les couples en mesure d’avoir des enfants –, cela coule de source. Alors pourquoi cela serait-il moins important pour les personnes homosexuelles, qui ont pour la plupart été élevées dans cette conception de la famille ?

De plus en plus de couples d’hommes ont donc recours à la gestation pour autrui (GPA), une technique finalement assez ancienne, qui consiste à demander à une femme tierce de porter le fœtus d’un couple. Dans le cas des couples d’hommes, l’embryon est formé par l’ovocyte d’une donneuse (de préférence différente de la « mère »8 porteuse) et le spermatozoïde de l’un des pères. Il n’est pas rare que deux embryons soient implantés dans l’utérus de la femme porteuse : cela permet à chacun des pères d’être le géniteur d’un des deux jumeaux, même si in fine le lien biologique n’a pas d’impact sur la relation père-enfant. D’autre part, cela permet de ne pas entamer une nouvelle fois les démarches dans le cas où le couple désire deux enfants. Ainsi, la GPA est le seul moyen pour les couples gays « de fonder une famille nucléaire avec deux parents et des enfants reliés génétiquement à au moins un des deux parents ». D’une certaine manière, « [l]e recours à la GPA, plutôt qu’à l’adoption ou à la coparentalité, rapproche les familles homoparentales de leurs homologues hétéroparentales », puisqu’il démontre l’envie des couples gays de se conformer à ce que signifie, dans notre société, un projet parental idéal, à savoir « un projet de nature conjugale avec au plus deux parents de préférence génétiques pour élever l’enfant9 ».

Mais qui dit GPA, dit polémique… Au sein du couple homoparental, il s’agit déjà d’une grande décision, qui se discute et s’anticipe. En général, les couples gays considèrent d’autres solutions avant de se tourner vers la GPA, car celle-ci fait l’« objet dans leurs représentations de réticence et de désapprobation dans la société, voire chez eux-mêmes »10, sans parler de l’absence de cadre légal pour la pratiquer en Belgique et des questions éthiques que soulèvent le recours à la GPA à l’étranger en termes de marchandisation du corps de la femme11.

Pression sur le couple homoparental

Les critiques de l’entourage ou de la société sur le choix de la procréation médicalement assistée (aussi bien l’IAD que la GPA) peuvent faire naître chez les homoparents le sentiment que leur désir d’enfant manque de légitimité : comme il n’existe pas de « droit à procréer » en tant que tel et que l’intérêt supérieur de l’enfant prime toujours12, certains doutent de la légitimité d’une naissance « programmée ». Pourtant, il est important de rappeler qu’aujourd’hui, la plupart des naissances sont bel et bien voulues et programmées ! Et que, si le désir de mettre un enfant au monde dans un couple hétérosexuel est tout à fait légitime, y compris en passant par la PMA, le leur l’est tout autant13.

On sait toute la pression qui s’exerce d’ordinaire sur les parents. Elle est d’autant plus forte sur les parents homosexuels. Imprégnés de leurs préjugés, l’entourage et les personnes extérieures peuvent douter de la capacité des homoparents à élever leurs enfants comme il faut, à leur fournir l’attention nécessaire, attendent en quelque sorte des preuves qu’ils ou elles sont bel et bien de « bons parents ». Hormis le fait que cette dernière expression ne veut en réalité pas dire grand-chose, ce jugement peut être très difficile à vivre. Ainsi, un homme témoigne dans la Lettre d’information n° 20 de l’Autorité centrale communautaire (l’institution compétente en matière d’adoption en FWB) : « Au quotidien, nous avons parfois l’impression de devoir prouver que, parce que nous sommes un couple atypique, nous devons faire mieux que les autres. Nous avons le sentiment de devoir démontrer, face aux regards dubitatifs, que nous sommes au moins aussi aptes que des couples hétéros à élever un enfant (…)14. » En plus de faire un « coming out permanent15 », les homoparents ont également souvent l’impression de devoir expliquer le pourquoi de leur parentalité.

Répercussion sur les enfants

Contrairement à ce que de nombreux homophobes voudraient faire croire, ce n’est pas le fait d’avoir deux parents de même sexe qui pose un problème pour le développement de l’enfant, mais plutôt les remarques, les malaises, voire les discriminations que celui-ci doit subir au quotidien et qui lui rappellent sans cesse qu’il est « atypique », que ce soit par rapport à son mode de conception, à son adoption ou tout simplement à l’orientation de ses parents. Tout comme les enfants de divorcés à l’époque, le stigmate de leurs parents peut peser très lourd sur les épaules des enfants. Cela a heureusement évolué pour les enfants de divorcés, à quand un changement de mentalité concernant les familles homoparentales ?

En fait, les inquiétudes, les peurs à la base de ces stéréotypes et de ces remarques sont erronées. D’aucuns pensent qu’avec deux papas, les fonctions « maternelles » ne seront pas assurées et que l’enfant aura un manque. Mais qu’est-ce au juste que les fonctions « maternelles » ou « paternelles », sinon des représentations sexistes ? Dans les couples hétérosexuels aussi, ces fonctions dépassent le sexe, et donc à plus forte raison dans les couples homosexuels16. Le chemin vers une meilleure inclusion des familles homoparentales passe nécessairement par la déconstruction de ce genre de stéréotypes. De nombreuses recherches, dont certaines toujours en cours, poursuivent justement cet objectif : elles démontrent que les enfants élevés par des couples homosexuels ne se développent pas différemment des autres. Au contraire, ils évolueraient même dans une parentalité plus positive et bénéficieraient d’une éducation plus égalitaire, précisément parce que les couples homosexuels se répartissent en général mieux les tâches17.

Les enfants victimes de remarques homophobes (sans être eux-mêmes homosexuels, ils sont parfois assimilés à la minorité sexuelle du fait de l’orientation de leurs parents), ou témoins du rejet de leurs parents, peuvent développer des problèmes de comportement : hyperactivité, manque de confiance en soi, détresse psychologique, stress des parents communiqué aux enfants18

Le soutien de l’entourage, des amis, les relations positives au sein de la famille, sont autant d’éléments importants pour permettre aux familles homoparentales d’endurer les coups durs fréquents. Créer une ambiance inclusive à l’école, notamment en abordant l’homosexualité (aussi l’homoparentalité, l’adoption homoparentale et la procréation médicalement assistée), et en sensibilisant tous les élèves aux conséquences dramatiques de l’homophobie, est également essentiel pour le bien-être des familles homoparentales19. Plus globalement, ce sont nos représentations rétrogrades et sexistes de la « bonne » parentalité qu’il est urgent de changer20.

 

 

 

 

 

 


 

1. La loi du 13 février 2003 a ouvert le mariage à des personnes de même sexe et la loi du 18 mai 2006 a permis l’adoption par des couples homosexuels. 
2. « France : débat sur les formulaires scolaires où l’on remplace "père et mère", par "parent 1 et parent 2" », 14/02/2019 : https://www.rtbf.be/ (consulté le 28/02/2020).
3. Loi du 18 décembre 2014.
4. FRANCŒUR M.-Cl., Structures familiales et vécu parental dans les familles homoparentales. État des recherches, Ministère de la Famille, Québec, 2015, p. 29 : https://www.mfa.gouv.qc.ca/ (consulté le 14/01/2020).
5. MESSINA R. et D’AMORE S., « Être un couple gay et adopter un enfant : l’expérience des parents homosexuels en Belgique », Enfances. Familles. Générations. Revue interdisciplinaire sur la famille contemporaine, 29, 2018 : https://journals.openedition.org/ (consulté le 02/03/2020).
6. « Nos Familles sont diverses » : https://www.homoparentalites.be/ (consulté le 14/01/2020).
7. D’après les recherches de l’anthropologue David Schneider, cité par COURDURIÈS J., « Désirer, concevoir, faire naître, élever, être parent. Les attributs parentaux au prisme de la gestation pour autrui », intervention lors du colloque Les Nouvelles Familles nées par la GPA, Université Libre de Bruxelles, 12/11/2019.
8. Certains auteurs, médecins, sociologues, psychologues, etc. préfèrent utiliser l’expression « femme porteuse » plutôt que « mère porteuse », puisque le projet parental est bien absent du chef de celle-ci. 
9. GROSS M. (e. a.), « Paternité gay et GPA : entre lien génétique et lien affectif », Enfances. Familles. Générations. Revue interdisciplinaire sur la famille contemporaine, 31, 2018 : https://journals.openedition.org/ (consulté le 14/01/2020).
10. Ibid.
11. Voir à ce sujet « Gestation pour autrui : faut-il légiférer ? », analyse 2016-15 de Couples et Familles. 
12. MATHIEU G., « Quand les désirs font désordre », 23/09/2016 : https://www.lalibre.be/ (consulté le 04/03/2020).
13. VILAIN-LEPAGE Y.-M., « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup… de mal à avoir des enfants », Le Ligueur, 3, 05/02/2020.
14. « Témoignage d’un homo-papa », Lettre d’information n° 20, Direction de l’adoption - ACC, mars 2017 : http://www.adoptions.be/ (consulté le 14/01/2020).
15. DISENHAUS D., « L’homoparentalité en Belgique », Éduquer, 91, juin 2012, p. 29-30 : http://la-ligue.be/ (consulté le 14/01/2020).
16. 
« Les enfants de couples homosexuels », 15/06/2019 : https://www.yapaka.be/ (consulté le 14/01/2020).
17. 
D’AMORE S. et MOUTON B., « Le développement des enfants nés par GPA : l’effet de la coparentalité et de la discrimination vécues par leurs parents », intervention lors du colloque Les Nouvelles Familles nées par la GPA, op. cit.  
18. 
FRANCŒUR M.-Cl., op. cit.
19. 
Ibid., p. 30.
20. 
Analyse rédigée par Sigrid Vannuffel.

 

 

 

Antoine Martinez Julian
Merci pour cet article riche en informations et espérons que le futur offre plus de chances aux couples homosexuels masculins et, surtout, moins de discrimination.
Couples et Familles
Bonjour,
Votre commentaire nous fait plaisir. Nous espérons aussi que la société de demain sera plus inclusive et nous œuvrons pour, à notre niveau !
Belle journée,
L'équipe de Couples et Familles

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