Analyse 2020-19

sororité solidarité

Le mot « sororité » revient petit à petit au goût du jour. Ce terme ne date pourtant pas d’hier. Il provient du latin soror ce qui équivaut à « sœur » ou « cousine ». Il s’agit en quelque sorte de la fraternité, au féminin. Quelle est l’histoire de ce mot chargé d’une aura solidaire ?

Au Moyen-Âge, une sororité désignait une communauté de religieuses. À la fin du XIIe siècle, les Béguines, des femmes non religieuses, se rassemblaient dans des petites maisons autour des chapelles. La formation d'une communauté solidaire permettait à ces femmes – souvent veuves ou célibataires – d'échapper  à  un (re)mariage non désiré. Ainsi, de véritables petites cités furent créées et devinrent indépendantes, ce qui ne plut pas aux dirigeants, ni à l’Église. Les répercussions furent dramatiques. La notion de sororité disparaît avec les Béguines.
Le concept réapparaît à la fin du XIXe siècle, parmi les universités américaines. Ces établissements sont réputés pour leurs confréries où des liens ainsi que des apprentissages entre étudiants se forment. Toutefois, les femmes n’y sont pas admises. En réponse à cette exclusion, les étudiantes ont créé leur club ; la première confrérie, ou sisterhood1, ayant vu le jour se nommait « Gamma Phi Bêta ». Dans un même temps, le mot sororité est apparu dans le scoutisme, qui s’est alors ouvert aux filles mais avec des restrictions de genre. Les filles ne se sont pas laissées faire : elles ont malgré tout enfilé des shorts elles aussi, et elles grimpaient aux arbres, tout comme les garçons !

C’est durant les années 1970 que le terme sororité prend tout son sens : repris par les mouvements féministes américains, la sororité symbolise la solidarité entre femmes. Ainsi ce mot désigne les liens qui se créent suite à des affinités ou à des vécus partagés qui trouvent la condition féminine comme origine. Il faut attendre les années 1980 pour que « sororité » entre dans le dictionnaire. Le boom médiatique de la sororité se déroule à partir des années 2000, notamment en France où la devise « Liberté, égalité, fraternité » est remise en question, car porte la marque symbolique de l’oubli des femmes. L’enjeu n’est pas de s’attaquer à la fraternité, mais de faire sororité avec elle, cela donnerait naissance à l’adelphité. L’objectif est de rendre l’universel véritablement universel.

Une lutte commune

La solidarité féminine va de pair avec l’empowerment. Cet empowerment est un concept qui lui-même amène des notions essentielles. Il est apparu afin de revendiquer un discours d’émancipation. Former une communauté permet de représenter un pouvoir qui a la possibilité de se mobiliser, dans le but d’accéder à des droits. L’idée n’est pas d’attendre que les pouvoirs déjà mis en place par d’autres communautés fassent bouger les choses, mais bien de prendre en main leur propre pouvoir. D’où le slogan du mouvement de libération des femmes lors des années 60-70 : « Ne me libère pas, je m’en charge2 ! » L’empowerment peut jouer un rôle individuel, sur notre propre construction identitaire, tout comme il le fait de façon communautaire. Le but est de faire évoluer ce qui nous opprime dans cette société. Bien souvent, ce sont les minorités qui font preuve d’empowerment, afin d’écouter et de faire entendre la voix de ceux qui n’en avaient pas le pouvoir à l’origine. C’est là que le discours « Pouvoir être soi » prend tout son sens : l’égalité entre les femmes et les hommes, le refus des assignations étriquées, l’encouragement aux femmes de s’accepter telles qu’elles sont, etc. L’objectif est de permettre aux femmes de participer aux changements.

La mission des mouvements de femmes, c’est de faire évoluer notre société ensemble, en mixité, femmes et hommes sur le même pied d’égalité. Pourtant, dans certaines situations, il arrive que le besoin de se rassembler en non-mixité se fasse ressentir. Que cela soit du côté des hommes ou des femmes. Parfois, pour aborder des sujets sensibles, une non-mixité temporaire est une solution pour libérer la parole. Si la sororité doit bien combattre quelque chose, ce sont les stéréotypes et le sexisme ordinaire. Par son essence, la solidarité féminine se confronte aux représentations des femmes se « crêpant le chignon ». On parle même du « syndrome de la reine des abeilles ». De quoi s’agit-il au juste ? Cette métaphore nous laisse entendre qu’une femme en position de force se conduirait durement auprès des autres femmes3. Cela nourrit le stéréotype selon lequel les femmes de pouvoir sont pires que les hommes, sans pitié, que les femmes entre elles sont cruelles. Ce « syndrome » s’explique pourtant facilement : le fait est que les réactions des femmes envers les autres femmes sont stigmatisées. Si une femme s’affirme ou montre sa colère vis-à-vis d’une autre femme, les perceptions erronées nous dirigent vers la croyance qu’elle serait hargneuse, jalouse de la concurrence. Des tensions existent dans certains cas, évidemment, l’idée ici est de réaliser que les réactions sont souvent mal interprétées.

Toutes les femmes n’adhèrent pas forcément au concept de sororité, il en va de même en ce qui concerne le féminisme. Par exemple, lors des polémiques « MeToo » et « BalanceTonPorc », certaines se sont montrées réticentes par rapport à ces mouvements. Selon certaines d’entre elles, ces derniers accentueraient les différences entre les femmes et les hommes, ne feraient que les éloigner davantage4. L’utilisation du mot sororité ne fait pas l’unanimité, et ce, même chez les féministes. La sororité est susceptible de concerner chaque femme, pourtant beaucoup d’entre elles ne sont pas suffisamment représentées : les femmes âgées, rondes, lesbiennes, transgenres, en situation de handicap, racisées, etc. C’est pourquoi des mouvements, comme par exemple « La coordination des femmes noires », se sont créés. On parle donc d’afro-féminisme. Le principe de sororité, c’est le lien qui unit tous les individus se désignant comme femme, partageant des vécus similaires en raison de leur condition féminine : sexisme, racisme, inégalité économique, violences, etc. Alors comment se fait-il que toutes les femmes n’y trouvent pas leur place ? L’un des arguments mis en avant serait que faire appel à la sororité confirmerait le fait que les femmes soient inférieures aux hommes : si elles éprouvent ce besoin de se rassembler, c’est qu’elles se sentent plus faibles. Ce type d’argument ne fait qu’appeler à la soumission, la résignation, l’inaction. Heureusement, pour d’autres, la possibilité pour les femmes de s’organiser politiquement est essentiel, et c’est par la sororité que les femmes ont, par exemple, obtenu le droit de vote. Si sororité il y a, c’est pour dénoncer les inégalités, se soutenir et tout faire pour obtenir des conditions de vie aussi favorables que celles des hommes.

Les sorcières, initiatrices de la sororité ?

« Sorcière » est un mot qui renvoie généralement à une image négative, et pourtant… Les sorcières n’étaient-elles pas des femmes osant s’affranchir des règles imposées par une société patriarcale ? Des femmes, faisant preuve d’originalité et de sororité, cela peut faire peur. Et si c’était la raison de cette fameuse chasse aux sorcières ? La vision binaire de l’époque – elle l’est probablement toujours aujourd’hui – séparait le « bien » du « mal », les sorcières étaient donc situées du mauvais côté, celui qu’il fallait châtier. Ainsi, des milliers de femmes se retrouvaient sur le bûcher, désignées coupables de sorcellerie. À noter que ces procès ne concernaient justement que les femmes5. Car ce sont les femmes qui défiaient les normes, face aux hommes. Et cela dérangeait l’ordre établi. Ces femmes voulaient être libres, indépendantes. Les guérisseuses, venant en aide à d’autres femmes, notamment en pratiquant des avortements, étaient particulièrement persécutées. Les femmes qui ne tombaient pas enceintes étaient également jugées, sous le prétexte que les sorcières participent au sabbat, autrement dit, la fête de l’infertilité. Celles qui osaient dénoncer leurs agresseurs étaient bien souvent dénoncées comme sorcières par ceux-ci. C’était le moyen de détourner l’accusation mais aussi de se débarrasser de celles « qui gênent ». Aujourd’hui, heureusement, les présumées sorcières ne sont plus condamnées à être brûlées vives. Par contre, les femmes qui sortent des schémas traditionnels sont stigmatisées, font face à l’intolérance. Si bien que des femmes célibataires ou plus âgées sont perçues comme des sorcières modernes6 ! L’expression « Sorcière ! » est encore utilisée en tant qu’insulte ; toutefois, certaines femmes se la réapproprient afin de manifester leurs engagements féministes.

Les sorcières, seules face au monde, se regroupaient et se montraient bienveillantes les unes envers les autres. Elles retournaient à l’essentiel, se montraient attentives à la nature qui les entourait, reprenaient le contrôle de leur corps ainsi que de leur sexualité. Comme l’indique le titre de l’ouvrage Sorcières. La puissance invaincue des femmes, de Mona Chollet, les femmes considérées comme sorcières sont des battantes7. Il serait peut-être bénéfique de profiter de leurs enseignements. La sorcière est devenue une icône féministe. Alors, sorcières ou non, certaines femmes ressentent le besoin de se rassembler, en cercle bienveillant ou encore sous la forme de manifestation, comme l’illustre si bien la journée du 8 mars. La solidarité au féminin, ça se cultive, avec une bonne dose de bienveillance8.

 

 

 

 

 


 

1. Traduction anglaise de sororité.
2. Donzel M., « C’est quoi l’empowerment ? », 06/03/17 : https://www.eveprogramme.com/ (consulté le 12/02/2020).
3. Kermarrec A.-M., « Le mythe du Syndrome de la Reine des abeilles », 08/03/19 : https://www.lemonde.fr/ (consulté le 18/02/2020).
4. « Sororité – Sisterhood ! », 07/10/18 : https://www.badassmaman.com/ (consulté le 18/02/2020).
5. MACHADO P., « Liberté, sexualité, sororité : ce que les sorcières nous ont appris », 30/10/19 : https://www.paulette-magazine.com/ (consulté le 10/03/2020).
6. PANET S., « Rencontre avec Mona Chollet : qui sont les sorcières d’aujourd’hui ? », novembre 2018 : https://www.axellemag.be/ (consulté le 10/03/2020).
7. CHOLLET M., Sorcières. La puissance invaincue des femmes, éditions Zones, 2018. 
8. Analyse rédigée par Violette Soyez.

 

 

 

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