Imprimer

Analyse 2021-04

Récemment, les émeutes de la place Saint-Lambert à Liège et du bois de la Cambre à Bruxelles1 ont mis une forme de violence contestataire sur le devant de la scène médiatique. La première répondait à l’interpellation musclée d’une aide-soignante, cinq jours auparavant sur cette même place, la seconde à la dispersion par les forces de police d’une fête sauvage contrevenant aux mesures sanitaires. Ces évènements ont donc en commun d’être survenus en réaction, avec ou sans délai, d’une action policière. Or c’est précisément la police qui était la première cible de ces exutoires, de même qu’à travers elle l’État.

Nous souhaitons analyser ces évènements en termes politiques. Il n’y a en effet pas lieu de chercher des explications dans la démographie2 (l’émeute de Liège était le fait de groupes de casseurs mal identifiés, intervenus après la dispersion d’une manifestation de la communauté congolaise ; la fête sauvage de Bruxelles se déroulait dans un lieu proche du campus universitaire et semble avoir notamment réuni des jeunes issus des quartiers Sud, où résident des Bruxellois de classes moyenne et supérieure), et nous pensons qu’attribuer un caractère spontané et ponctuel à ces mobilisations, en évoquant l’émotion causée par l’arrestation brutale d’une femme noire dans le contexte des mobilisations Black Lives Matter ou l’exaspération de la population face à la durée et au manque de clarté des mesures sanitaires, amènerait à méjuger une tendance de fond3.

Qu’expriment-ils, les jeunes, sur la marche du monde ?

Une première étape pour comprendre le point de vue des émeutiers est de rechercher la colère que leur génération exprime non pas en actes, mais en mots. C’est là une tâche compliquée, et il est sûr qu’en leur cherchant des porte-paroles, nous excluons une partie de ces foules. Ce qu’on gagne en clarté, on le perd en nuance ; ce qui suit n’a donc d’autre prétention que de servir de piste. Il ne sera pas question ici de textes publiés de manière irréfléchie — tels que des « statuts » sur les réseaux sociaux, qui peuvent être écrits sur le coup de la colère —, ni d’un registre d’écriture comme le rap, dans lequel des extraits glorifiant la violence pourraient procéder d’une logique purement conventionnelle. Les exemples sur lesquels la présente analyse entend s’appuyer sont issus de deux œuvres de poésie contemporaine, en l’occurrence les derniers recueils publiés par Aurélien Dony et Roland Devresse4, deux auteurs belges de moins de trente ans.

Dony est une jeune voix importante de nos Lettres nationales, primée dès 2013 par l’Académie royale. Dans Du feu dans les brindilles, il s’interroge longuement sur les formes les plus extrêmes des mouvements sociaux, qu’il soutient mais auxquelles il ne s’assimile pas. « Complice qu’à l’heure des vers », il écrit : « Ô les autres, ô les foules, ô vous barbares en lutte, ô vous les barricades ! Je vous observe de loin. Je vous aime quelque part entre le silence et le stylo5 ». Plus loin, il doute d’être lui-même capable de lancer un pavé sur les forces de l’ordre. Devresse, proche du milieu zadiste6, évolue davantage dans des sphères littéraires alternatives. Son dernier recueil, Au confinement des mondes, prend par endroits des airs de manifeste insurrectionniste : il y appelle à la fin des mauvais jours (une référence probable à La Semaine sanglante, une chanson sur la Commune de Paris) et aux « gestes barricades » (jeu de mot dérivé des gestes barrières prônés comme mesure sanitaire)7.

Chez ces deux auteurs, nous trouvons exprimé le sentiment que les troubles revêtent un caractère historique. Devresse écrit carrément que l’« histoire se construit autour des agressifs8 ». Tous deux recourent à l’image poétique de l’incendie, qui parait à la fois admis comme inévitable et désiré, presque fascinant9. À les lire, la participation à ce soulèvement relèverait d’un devoir personnel. Il faudra se battre, dit l’un ; ne pas en être serait trahir, semble répondre l’autre10. Voilà donc un premier indice : chez certains de ces jeunes, la fureur émane de l’engagement. Mais un engagement en faveur de quoi et — surtout — contre qui ?

Une rébellion ouverte contre le système politique et économique

Tant Dony que Devresse se réfèrent au mouvement social des gilets jaunes11 et empruntent à leurs revendications en faveur de plus de justice sociale12. Les nombreux griefs qui émaillent leurs textes visent en premier lieu les instances gouvernantes, dont les auteurs semblent dénier le statut représentatif. Ils établissent en effet deux collectifs étanches : la population dont ils se font des porte-paroles (ils écrivent tant en « je » qu’en « nous ») et les dirigeants qui sont désignés à la deuxième ou à la troisième personne. Dony accuse un « système » et des « messieurs » qu’il souhaite interpeller ; chez Devresse, c’est notamment le pronom indéfini « on » qui se trouve employé, de même qu’est exprimée la croyance envers une forme d’État profond13. La parole politique est dès lors traitée avec défiance, voire en anticipant d’emblée qu’elle sera trahie. « Ils nous ont dit “le monde d’après” / Bien entendu personne n’y a cru. / Eux les premiers », écrit Devresse14.

Partout dans ces vers, nous trouvons exprimé le sentiment d’une agression vécue soit par les poètes eux-mêmes, soit par de plus faibles qu’eux dont ils entendent prendre la défense. La croyance en une intentionnalité malveillante de l’État est même explicite chez Devresse, où il est présenté comme chargé d’« annuler la vie »15. L’agresseur désigné est tantôt le politique, tantôt le financier. Il est celui qui fait marcher le monde — sans la moindre concertation, à en croire les poètes. Or, c’est cette oreille sourde aux plaintes listées plus haut qui explique le recours à la violence. Martin Luther King aurait un jour déclaré qu’« une émeute est le langage des sans-voix16 » ; le livre de Devresse exprime la même inéluctabilité et, pour ce faire, recourt aux lettres capitales : « ILS NOUS ONT ACCULÉS À ÇA : LA GUERRE OU RIEN17 ». Chez Dony, comme plus haut, l’oppresseur n’est pas un « ils », mais un « vous » ; si lui n’a pas encore renoncé à l’interpellation, son ton se fait tout de même menaçant par endroits18.

Les forces de police vues comme un avatar du système honni

Nous l’avons observé, les auteurs peinent à désigner clairement les représentants du système qu’ils entendent combattre. Il en résulte un tableau manichéen : un « nous » mal défini s’oppose à un « eux » ou un « vous » tout aussi flous19. S’il y a cependant un aspect de l’appareil étatique qui est abordé de manière concrète dans ces œuvres, c’est la police. Chez Devresse, elle est même assimilée à l’État20.

Si Aurélien Dony ne sacrifie pas la nuance et fait encore du gendarme son camarade21, Roland Devresse rappelle le slogan « tout le monde déteste la police22 ». Ce sentiment a une cause bien identifiée : l’écho médiatique et populaire des violences policières. Le livre du premier évoque l’arrestation administrative, celui du second des « flics en roue libre »23… Cette haine de la police n’est donc pas monolithique : elle semble faite à la fois de révolte et de peur.

Loin des poèmes et des seuls cercles militants, elle peut s’observer au quotidien dans nos rues, par la multiplication des tags indiquant ACAB (acronyme de l’anglais « All cops are bastards », signifiant « tous les flics sont des salauds ») ou son équivalent chiffré 1312. Il apparait dès lors que c’est en même temps pour elle-même — au nom de ses bavures — et en tant que représentante de l’autorité publique que des jeunes visent la police, dans leurs discours et dans leurs actes.

La violence comme tactique réfléchie et jugée légitime

Ce que nous trouvons exprimé clairement dans la poésie de Roland Devresse, c’est finalement le refus de reconnaitre comme légitime la revendication de l’État à exercer pour son propre compte le monopole de la violence physique. Selon la définition bien connue de Max Weber, c’est parce que cette revendication est reconnue par la population comme légitime que l’État est en mesure de constituer une force publique, nécessaire pour garantir l’égalité et les droits des citoyens. L’usage légitime de la violence par les forces de police n’est pas quelque chose qui peut se décréter, il doit découler de l’adhésion de la population.

Or, chez Devresse, on observe l’idée que le pouvoir viole ses propres lois et n’est plus apte à exercer un arbitrage moral sur la question de la violence24. En renonçant à la situation de consensus décrite par Weber, il fait écho à des critiques marxistes libertaires qui ont théorisé un « droit à la violence de résistance », illégale mais légitime25. L’État étant jugé oppressif, les soulèvements auraient valeur d’autodéfense : parce qu’ils revendiquent un contrepouvoir, ils sont jugés émancipateurs26. Dès lors, la violence apparaitrait comme une nécessité. Il faut d’ailleurs noter qu’au sein des milieux activistes, il y a débat sur ce que recouvre la notion de violence de résistance. Pour certains, l’émeute ne peut être réellement considérée comme un acte de violence, en ce qu’elle vise avant tout des destructions matérielles et ne confronte la police qu’avec des moyens non létaux27. En cela, elle serait encore plus légitime.

Une culture insurrectionniste en construction

Nous ne nions pas l’effet de groupe en œuvre dans des rassemblements de jeunes tels ceux de la place Saint-Lambert et du bois de la Cambre. Il va de soi que toutes les personnes qui se sont livrées à des actes illégaux en ces deux occasions ne sont pas versées dans les théories anarchistes. Pour certaines, toutefois, ces actes ne relèvent pas d’une pulsion mais d’un projet, et nous aurions tort de sous-estimer la popularité croissante ou l’accessibilité des idées qui les motivent. À titre d’exemple, le livre Comment la non-violence protège l’État, sur lequel cette analyse s’appuie en partie, est disponible au prêt dans le local namurois d’un mouvement de jeunesse militant.

De même, loin de la théorie, une culture de la défiance et de l’insurrection se construit en Belgique francophone. Elle peut se manifester par de l’intérêt, de la solidarité et néanmoins des scrupules (chez Dony) ou sur le mode de la profession de foi (chez Devresse). Les ouvrages dont il a été question ici en sont des traces visibles parce qu’ils adoptent des formes poétiques relativement traditionnelles et s’insèrent dans le circuit de la librairie ; d’autres médias, que ce soit le clip musical ou le fanzine, véhiculent les même thèses dans des circuits plus fermés et opaques.

Pour donner un dernier exemple récent, le rappeur bruxellois Achille (qui appartient à la génération de nos deux poètes) a mis en ligne, en début de ce mois, un titre qui synthétise la plupart des éléments mis en évidence dans notre analyse. Dans Cramer ta Porsche, il se réfère explicitement aux gilets jaunes, vante l’incendie, glorifie l’émeute et la justifie en affirmant sa portée politique (il parle d’action directe), exprime un rejet très clair du système et des structures étatiques, et évoque enfin les violences policières comme justification28. De telles œuvres, plus nombreuses et mieux diffusées qu’on ne l’imagine souvent, constituent d’ores et déjà les prémisses d’une culture insurrectionniste.

La censure ne servirait à rien

L’analyse esquissée ici peut être schématisée de la façon suivante : des jeunes se trouvent frustrés dans leur quête d’alternatives aux sociétés ultralibérales29 ; ils en conçoivent du ressentiment envers l’État et ses institutions ; avec la répression des mouvements sociaux, le policier incarne le système contre lequel ces griefs s’accumulent ; la recherche de confrontations avec le système et la police prend la forme d’émeutes. Constat douloureux… Face à cela, que peut le parent, que peut l’éducation permanente ?

Tout d’abord, nous pensons qu’il est important de ne pas discréditer les productions artistiques à portée politique, même immatures à nos yeux. D’aucuns pourraient juger que leur poursuite est dangereuse, mais elles constituent au contraire des soupapes essentielles. Du reste, quelle que soit leur forme, ces productions constituent des analyses politiques, par le biais desquelles l’auteur appréhende la société qui l’entoure et apprend à se positionner vis-à-vis d’elle. Via le débat et tous les autres outils de l’éducation permanente, nous pouvons encourager les jeunes à affiner leur grille de lecture, mais les dissuader de produire de tels discours serait extrêmement dommageable.

Car la politique est l’affaire de tous, nous ne pouvons opérer un tri dans les productions critiques à l’égard de nos sociétés, et ce, quels que soient les codes qu’elles empruntent ou la radicalité qu’elles expriment. Notre désapprobation ouverte ne supprimera en rien ces sentiments ; tout au plus mènera-t-elle à leur dissimulation, or cette mécanique dite « de la cocotte-minute » se résout tôt ou tard en explosant dans l’agression ou en implosant dans la dépression30. Nous devons nous rappeler les mots attribués à Luther King : l’émeute est le langage des sans-voix. Bornée jusqu’il y a quelques années au périmètre des quartiers défavorisés, il est à craindre qu’elle s’exprime à l’avenir de manière plus généralisée dans les tranches jeunes de notre société. C’est que la jeunesse, de nos jours, devient un groupe social de plus dont on ignore les craintes et les aspirations.

Il faut viser plus de participation citoyenne

Outre de laisser ces colères s’exprimer artistiquement ou via des discussions dans la sphère familiale, il serait utile de promouvoir largement ces productions des générations Y et Z. Le concept sociologique de sous-culture jeune, qui a progressivement gagné les conceptions courantes depuis les années 1950, a cela de pernicieux qu’il semble valider une ségrégation des discours selon l’âge de leurs producteurs et du public qu’ils visent. S’il est émancipateur pour les jeunes qu’ils puissent se construire une identité fondée sur le look ou la musique indépendamment de leur univers familial et du reste de la société, il importe que leur construction politique ne se fasse ni ne s’exprime entièrement en vase clos. Pour dépasser notre simple consentement et nos encouragements, nous pourrions donc entreprendre une promotion active de ces productions littéraires et artistiques.

C’est que, nous le savons bien, la rancœur se nourrit de l’entre-soi. Il faut donc à tout prix éviter la ghettoïsation de ces espaces de production, et ce, même s’il serait également dangereux de laisser s’exprimer toute opinion sans garde-fou. Il va de soi que, dans un contexte de lutte contre les discours complotistes, certaines œuvres juvéniles (telles les thèses soutenant l’existence d’un État profond, évoquées plus haut) doivent faire l’objet de commentaires ou d’une mise à distance. On ne peut de même faire abstraction du cadre légal31. En dépit de ces obstacles, des auteurs comme Dony et Devresse gagneraient à être plus souvent accueillis dans le cadre de rencontres littéraires, un rappeur comme Achille à être diffusé sur une radio publique. D’une telle manière, les angoisses et colères des tranches les plus jeunes de notre population seraient mieux entendues et comprises.

Cependant, l’on ne pourrait s’engager à seulement entendre : il convient aussi d’écouter, puis de nouer un dialogue. La solution la meilleure mais la plus difficile à mettre en œuvre serait donc d’inclure davantage ces tranches d’âge dans nos institutions, non plus via leur représentation par des politiciens professionnels (tels ceux s’étant succédés au ministère de la Jeunesse) ou des organisations liées aux partis, mais sur le mode de la participation pleine et entière, par exemple par le biais de tirages au sort32.

 

 

  

 

 

 


1 Survenues réciproquement le 13 mars et le 1er avril 2021.

2 En revanche, est nécessaire un débat sur la différence de ton des réactions politiques et médiatiques, qui semble directement dépendre du contexte démographique. À ce sujet, voir K.F., « “Cohue”, “émeutes”, “fêtards”, “racailles”,  rassemblement” : quand le vocabulaire suite aux incidents du Bois de la Cambre suscite le débat », sur le site internet de la RTBF, 2 avril 2021 (page consultée le 8 avril 2021) : « Trois parlementaires bruxellois, Leila Agic, Jamal Ikazban et Ridouane Chahid, tous les trois Molenbeekois ou ex-Molenbeekois pointent la différence de vocable, entre deux épisodes de violences urbaines, que ce soit dans les mots du Georges-Louis Bouchez ou dans ceux des médias […]. »

3 De même, des soupçons se font jour aujourd’hui sur une possible instrumentalisation des fêtards du bois de la Cambre par des professionnels du monde de la nuit (voir Patrick Michalle, « Une “Boum 2” annoncée au Bois de la Cambre, les organisateurs invitent la ministre de l’Intérieur à l’encadrer », sur le site internet de la RTBF, 7 avril 2021, page consultée le 8 avril 2021 : « Une fois encore, difficile de ne pas voir les mains expertes d’organisateurs de “rave-party” et autres codes propres aux “events” dans les grandes Villes »). À nouveau, c’est un facteur que nous faisons le choix de ne pas traiter ici.

4 Le recueil de Devresse comporte une postface au statut ambigu, signée Jean Sans Terre. Le « je » qui s’y exprime pourrait aussi bien être l’auteur qui adopte le pseudonymat pour se prémunir de poursuites, un nom de plume sous lequel s’exprime unanimement un collectif, ou une tierce personne. Par facilité, les extraits cités ci-dessous sont référencés via le seul nom de l’auteur principal. Notons donc que les citations issues des pages 71 et suivantes ne sont pas assumées par le poète en son nom propre.

5 Aurélien Dony, Du feu dans les brindilles, Dinant, éd. Bleu d’Encre, 2019, p. 54.

6 Il est présenté comme « l’une des figures de la Zablière » dans « Arlon. “La ZAD en tant que mouvement continuera d’exister” », sur TVLux, 15 mars 2021 (page consultée le 8 avril 2021). Sur le milieu zadiste, lire notre analyse Phénomène des “zones à défendre” : des jeunes face à la marginalité.

7 Roland Devresse, Au confinement des mondes, Bruxelles, éd. du Sapin, 2021, p. 58 : « Mais qui proclamera la fin des mauvais jours ? / […] De quel côté de notre corps social reviendra le désir d’orgie ? / Quand retrouverons-nous enfin les gestes barricades ? / Demain, peut-être. »

8 Ibid., p. 14. Il écrit aussi (ibid.) : « L’excès est le nom qu’il faut donner à cette petite part de l’histoire que les humains font entièrement. » Dony, de son côté, professe (op. cit., p. 53) : « Je me veux du grand cataclysme / De la marche / De cette marche qui ne s’arrête pas et qui ouvre les portes fermées des palais / Qui bouleverse l’ordre des choses »

9 Dony, op. cit., p. 52 : « Il nous fallait du feu / Du feu dans les brindilles / Pour que nos incendies / Prennent dans nos jardins » Le long poème qui clôt son recueil (p. 53-65), dont le sujet principal est le mouvement des gilets jaunes, s’intitule d’autre part Incendie. Devresse, op. cit., p. 67 : « Allons Allons — tout est au feu ! / Toi qui fais semblant / Tu ne trompes que toi même. / Car tes yeux sont l’aveu / malgré ton visage blême / Qu’il reste peu de temps / si peu de temps avant le feu »

10 Devresse, op. cit., p. 44 : « Je pleure et je sais, que bientôt je n’aurai plus le droit de pleurer. / Il faudra se battre. / C’est tout » Dony, op. cit., p. 53 : « Et oui, aujourd’hui, ne pas être du tout du dehors, ne pas être du cri, du pas, du chant du dehors c’est trahir, oui, c’est trahir la marche des Hommes, des Femmes, c’est s’extirper à tort du monde et de son grand cataclysme moderne »

11 Dony, op. cit., p. 62 : « Et puis je me ranime à la vue de ces femmes et ces hommes aux ronds-points de leur lutte » ; Devresse, op. cit., p. 63 : « Je peux […] affirmer que désormais nous sommes toutes et tous devenus des gilets jaunes. »

12 La postface d’Au confinement des mondes est particulièrement explicite à ce sujet. Devresse, op. cit., p. 80-81 : « Je suis gilet jaune / Parce que les profs, l’école, le tri social — le sentiment d’être bon à rien. / Parce que tu as mal au dos, aux épaules, aux mains. / Parce que tu as bien mérité d’arrêter de bosser. / Parce qu’elle a dû choisir entre la bouffe et les médocs. / Parce qu’il a même peur d’aller se soigner à l’hosto. / Parce que tout le monde déteste les huissiers. / Parce que ça me fait de la peine de te voir bosser pour étudier, étudier pour bosser. / […] Parce que merde, en fait, on traite pas les gens comme ça. »

13 Dony, op. cit., p. 33 : « Vous nous direz aussi / Que tout est sous contrôle / […] Vous soutiendrez, messieurs : / Le système a le vent / Dans ses poumons d’acier / Nous relançons l’emploi / Nous gérons l’immigré / […] Mais sur les murs construits / Le soleil vous dessine / Une ombre de bourreau » Devresse, op. cit., p. 73 : « Ici, ON gouverne, même sans gouvernement. / Ici, ON a fait de la vie une affaire courante. / Ici, même une crise de régime n’entraine plus la chute du régime. / Le gouvernement est invisible. »

14 Ibid., p. 62.

15 Ibid., p. 56 : « Je dérive dans Saint-Gilles. Saint-Gilles aux gyrophares bleus. Tout est suspendu, sinon les terrasses de cafés. / Méthodiquement le pouvoir tente d’y annuler la vie » ; p. 85 : « On murmure que l’État ne serait qu’une certaine manière d’empêcher le bon déroulement de la vie. »

16 Propos rapporté dans Stephen d’Arcy, Le langage des sans-voix. Les bienfaits du militantisme pour la démocratie, Montréal, éd. Écosociété, 2016.

17 Devresse, op. cit., p. 74. La même formule est ensuite répétée : « PUTAIN PUTAIN PUTAIN : LA GUERRE OU RIEN »

18 Dony, op. cit., p. 43 : « Nous ne nous taisons plus / […] Au présent nos menaces / Au présent nos colères / Au présent notre marche / Sur vos palais modernes / Et vos tours de cristal / Nous ne reculons plus »

19 Nous n’excluons pas que les auteurs étudiés ici soient à même de produire une analyse concrète et nuancée des luttes sociales qu’ils observent et auxquelles ils prennent part. Nous notons simplement que les formes poétiques, de par leur dimension lyrique, tendent à essentialiser les groupes.

20 Devresse, op. cit., p. 56 : « Qui peut douter encore que la police soit devenue le régime ? »

21 Dony, op. cit., p. 59 : « Et si, camarades gendarmes, / Vous étiez du côté / De la femme insurgée qui marche dans frémir / Si vous étiez vous-mêmes / Solidaire du drame »

22 Devresse, op. cit., p. 56 : « Mais Saint-Gilles est jaune et les murs en témoignent. / Ils crient “insurrection” aidés par ces balcons qui oscillent entre Adil [un jeune mort renversé par un véhicule de police] et la Santé en Lutte. / Mais Saint-Gilles est jaune et les corps en témoignent. / Ils murmurent “tout le monde déteste la police” aidés par ces agents qui oscillent entre Adil et la matraque qui chute. »

23 Dony, op. cit., p 56 : « Les colsons aux poignets trop serrés, l’interdiction d’aller pisser et l’impossibilité de joindre ses enfants » ; Devresse, op. cit., p. 73. Plus loin, la postface d’Au confinement des mondes liste des reproches précis (ibid., p. 78) : « Squats expulsés. / Mawda [Shamden] assassinée. / Gilets jaunes perquisitionnés. / Militantes féministes tabassées [probable allusion à la marche du 8 mars 2020] »

24 Devresse, op. cit., p. 64 : « [Le pouvoir] sait qu’il peut impunément violer ses propres lois / Il s’est fait agent de circulation. / Le rire pervers d’un commissaire fait désormais office de constitution. »

25 On trouve notamment cette idée chez le philosophe Herbert Marcuse, dans son livre La Fin de l’utopie (Paris, éd. du Seuil, 1968, p. 49-50) : « La violence a ainsi deux formes très différentes : la violence institutionnalisée de l’ordre dominant et la violence de la résistance, nécessairement vouée à rester illégale en face du droit positif. […] Ces deux formes remplissent donc des fonctions opposées. Il y a une violence de l’oppression et une violence de la libération ; il y a une violence de la défense de la vie et une violence de l’agression. Ces deux formes de violence ont été des forces historiques et le resteront. »

26 Peter Gelderloos, Comment la non-violence protège l’État. Essai sur l’inefficacité des mouvements sociaux, Herblay, éd. Libre, 2018, p. 63 : « Dans le monde d’aujourd’hui, les gouvernements et les entreprises possèdent le monopole du pouvoir, dont la violence est une des principales formes. À moins que nous ne changions les relations de pouvoir (et, de préférence, que nous ne détruisions l’infrastructure et la culture du pouvoir centralisé qui permettent la subjugation du plus grand nombre par une poignée d’individus), ceux qui bénéficient de cette violence structurelle […] continueront à dominer. »

27 Francis Dupuis-Déri, « Violence et Politique », préface à Peter Gelderloos, op. cit., p. 30-31 : « l’universitaire brésilien Pablo Ortellado considère que la tactique du Black Bloc s’inscrit dans la tradition de la désobéissance civile non violente, puisqu’elle consiste à transgresser publiquement la loi pour attirer l’attention des médias et du public, mais sans recours à des armes et sans chercher à tuer l’ennemi. »

28 Achille, Cramer ta Porsche, 7 avril 2021 (paroles reproduites telles qu’elles sont indiquées dans la description de la vidéo YouTube, page consultée le 7 avril 2021) : « Pavé dans vitrine, / Si y a une charge, gros / Paré, j’anticipe / Paraît qu’j’amplifie / La puissance j’parle de GJ [= gilets jaunes] / On va cramer ta Porsche, j’ai dit / J’dédie quelques lignes à l’action direct [sic] / Parce qu’on dirait, / pas qu’on disait / sérieusement qu’on veut pas d’ton système / Ils comprendront que le bâton dit vrai / Ils retiendront que le bâton dit vrai / Vos violences policières / C’est pas des bavures / Tu l’as matraqué au sol, oups, j’ai pas vu / J’nique vos structure étatique [sic] »

29 Leur vision de ces sociétés est bien synthétisée par la formule « TRAVAILLE CONSOMME ET FERME TA GUEULE » (Devresse, op. cit., p. 79).

30 Thomas d'Ansembourg, Cessez d’être gentil, soyez vrai !, édition illustrée par Alexis Nouailhat, les éditions de l’Homme, 2014, p. 37.

31 L’incitation à la violence est sanctionnée par l’article 66 du code pénal et par la loi du 25 mars 1891 portant répression à la provocation à commettre des crimes ou des délits.

32 Analyse rédigée par Julien Noël.

 

 

 

 

 

 

 

Masquer le formulaire de commentaire

1000 caractères restants