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Analyse 2023-04

Toutes les femmes peuvent être victimes de violences de genre. Certaines femmes sont plus à risque : lorsqu’elles sont très jeunes, âgées, en période de grossesse, porteuses de handicap, dites racisées, en situation de précarité…

Dans le cadre de la migration, les femmes sont particulièrement vulnérables car elles ne parlent parfois pas la langue et disposent d’une méconnaissance des droits et des lois du pays d’accueil…

Les femmes migrantes concernées par le regroupement familial dont nous parlerons dans cette analyse sont soit des femmes qui épousent leur partenaire qui réside en Belgique soit des femmes qui viennent d’un pays étranger et qui rejoignent leur mari par regroupement familial.

Le séjour permanent peut être demandé lorsque la personne intéressée répond à certaines conditions : elle doit avoir effectué un séjour ininterrompu lors d’une période de 5 ans en Belgique sous le même toit que l’homme. Alors, lorsque le prince charmant connu dans le pays d’origine devient un tyran au sein du pays d’accueil, comment s’en sortir ?

Précisions

La procédure du regroupement familial permet à des familles de se retrouver et de vivre sur le sol belge en sécurité. La protection de l’unité familiale est un droit humain important. Cette procédure mérite sa place au sein de notre système belge. Nous ne remettons pas en cause l’existence de la procédure du regroupement familial, qui a énormément de sens pour les familles.

Il est important d’insister sur le fait que toutes les femmes migrantes ne sont pas victimes lors d’un regroupement familial. Bien au contraire. Au sein de cette analyse, nous évoquons le cas des femmes migrantes violentées par des hommes qui usent de la procédure pour pouvoir les dominer ainsi que de l’urgence de permettre à ces femmes d’être protégées de la violence d’hommes mal-veillants par l’amélioration de nos structures.

Des rapports inégaux au sein du couple

Tant notre contexte politico-médiatique est entaché par les discours de détournement des procédu-res de mariage dans l’unique but d’obtenir le séjour, le travail législatif a pour objectif de définir « la bonne famille », « les non profiteurs », « la bonne migrante », « le couple qui s’aime vraiment, qui se rejoint par amour (et surtout pas pour les papiers) »,
Pour prouver la véracité du couple, des vérifications du maintien affectif et du maintien matériel sont organisées : les couples doivent apporter la preuve de l’amour et de la cohabitation pendant 5 années après la délivrance du premier titre de séjour.
Ce dernier peut être retiré lorsque l’une de ces deux conditions est interrompue, amenant alors une dépendance entre conjoints. Le conjoint national dispose d’un grand pouvoir puisqu’il permet d’ouvrir à l’autre le droit au séjour. De ces rapports inégaux de domination découlent souvent de la violence1.

Qui sont-ils ?

Les femmes peuvent autant subir des violences par des étrangers naturalisés belges, que par des hommes nés en Belgique de parents étrangers que par des Belges nés de parents belges que par des personnes étrangères résidant légalement en Belgique. Ils peuvent être de couleur ou être blancs, de toute classe sociale.
Le point commun de ces hommes violents est la tradition patriarcale qui perpétue les systèmes de domination de l’homme envers la femme, les rapports inégaux au sein du couple, la reconfiguration des rôles masculins et féminins au sein du foyer. La femme devrait être au service de l’homme qui aurait le droit de contrôle sur sa femme…
Aussi, ces hommes connaissent la loi d’immigration, et en profitent pour soumettre leurs femmes à leurs exigences par diverses stratégies. Il arrive aussi que l’auteur violent ne dispose pas de la même origine que sa femme. Dans ce cas, les violences peuvent s’associer à une domination racialisante de mémoire coloniale2.

Mariages gris, mariages noirs

Les services administratifs traquent les « mariages gris » qui représentent une union où l’étranger a abusé de son conjoint national, naïf et innocent, en dissimulant sous de l’amour ses fins migratoires3. Les mariages gris, contrairement à ce que les préjugés pourraient en dire, ne sont pas nombreux. L’argument des mariages gris est souvent utilisé pour accuser les véritables mariage d’amour d’être frauduleux, par la volonté de refuser des étrangers sur le sol belge, ou par discrimination.
Et enfin, les « mariages noirs » affectent majoritairement les étrangères primo-arrivantes. En effet, il s’agit d’une union où un conjoint profite de son statut pour exercer une forme de violence sur sa conjointe. Ces hommes connaissent le fonctionnement inégal de la loi belge et abusent de ses failles pour mener au chantage leurs conjointes étrangères4.

Stratégies tyranniques

Ces hommes usent de plusieurs stratégies violentes. Ils frappent, mais sans jamais faire de marques. Dans ce cas, on peut évoquer les violences sexuelles (viol conjugal, pratiques sexuelles non consenties…), économiques (la femme peut être privée d’être détentrice d’un compte en banque par exemple), psychologiques (dévalorisation de l’autre…), racisme (insultes et domination racialisante de mémoire coloniale…), séquestration (la femme est empêchée de sortir du domicile conjugal ou enfermée dans une pièce…), chantage au papier (l’homme peut confisquer ses papiers, la dénoncer à l’Office des Étrangers via des fausses informations), destruction ou envoi d’objets (qui sont pourvus de la valeur sentimentale, ou alors, juste pour exprimer sa violence), forcent à l’isolement (l’homme fait en sorte que la femme ne suive pas de formation, n’ait pas de travail)… Ou alors, ils frappent et laissent des traces mais dans ce cas, ils les forcent à ne pas quitter le domicile, et surtout pas à l’hôpital. En fait, ils font en sorte qu’il n’existe aucune preuve face aux violences subies afin qu’elles ne puissent pas porter plainte.

Dans ce contexte migratoire, les femmes ont peur de dénoncer le comportement de leur conjoint à la police car elles angoissent à l’idée d’être dénoncées à l’Office des Étrangers qui pourrait leur retirer leur titre de séjour. Deux options s’offrent à elles : quitter le domicile conjugal et vivre dans la clandestinité ou rester auprès de leur bourreau pendant 5 années, le temps d’obtenir leur séjour permanent.

Aussi, lorsqu’une femme décide de quitter son conjoint violent, des situations de stigmatisation sociale pourraient se présenter au sein de son pays d’origine… Puisque le mariage n’a pas fonctionné, elle doit forcément être « une mauvaise femme ». Au sein de certaines cultures, être une femme séparée nuit fortement à la réputation.

Violence administrative

Il arrive aussi que le conjoint les tue administrativement. Lorsque les agents de quartiers cognent au domicile, il arrive au bourreau d’affirmer ne pas être marié avec la dame, ou affirmant qu’ils sont séparés et qu’ils n’habitent plus sous le même toit. Alors qu’en fait, la femme était juste en train de faire les courses. Dans ce cas, la police raye l’acte conjugal. La commune envoie un courrier au domicile leur faisant part du futur retrait de séjour de la femme. Parfois, tout cela se déroule sans que la femme n’en soit réellement avertie car l’homme se sert de l’administration pour dominer sa victime. Et puis ?

Lorsque les femmes entrent dans la clandestinité, elles ne peuvent plus bénéficier d’une allocation du CPAS et n’ont donc plus accès aux centres d’hébergement classiques. Les femmes vivent donc dehors, dans l’insécurité du monde de la rue, s’exposant à d’autres types de violences. Il est également possible pour elles de se diriger vers les centres accessibles pour les personnes sans papier en Belgique.

La protection des victimes migrantes, ça existe ? Oui mais…

La Convention d’Istanbul concernant la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, ratifiée et entrée en vigueur par la Belgique en 2016 dispose de 4 piliers5 : la prévention, la protection des victimes, les poursuites des auteurs et les politiques intégrées. Elle propose d’inscrire les violences conjugales dans le contexte des violences de genre6.

Elle introduit « la possibilité d’accorder aux femmes migrantes qui sont victimes de violences domestiques et dont le statut en matière de séjour dépend de celui de leur époux ou de leur partenaire, un permis de séjour propre lorsque la relation cesse7. »

Plusieurs éléments de la loi ne sont pas encore suffisamment divulgués au grand public et sont donc méconnus par les victimes. Il s’avère cependant que la loi ne protège pas toutes les femmes et impose des conditions difficiles à remplir. Pour palier cela, la présence des associations disposent d’une grande importance.

Le retrait du titre de séjour n’est pas enlevé avant 30 jours après avoir reçu le courrier. Ce délai est très court pour faire valoir ses droits. Puis, le courrier ne mentionne pas les clauses de protection. Alors que pendant ce temps, il est possible d’être accompagné par des membres d’association, des assistantes sociales qui permettront gratuitement à la femme de rassembler les preuves de violence et de se présenter à la commune pour être entendue, et de ne pas perdre son titre de séjour.

En effet, récolter des preuves des actes de violence dans le but de prouver l’existence du processus de domination conjugale s’avère complexe pour les victimes, d’autant plus pour des femmes migrantes. Il est important de porter plainte sur les violences vécues (enregistrement, SMS, appui médical, exemples concrets prouvant la violence instrumentale…). Il est utile d’ajouter que la plainte peut être rédigée à l’avance avec l'aide d'une assistance sociale avant d'être présentée à la police.

Grand hic, la loi belge prévoit que les victimes de violences doivent justifier de revenus pour garder leur séjour en Belgique, ce qui n’est pas du tout en adéquation avec la situation de violence que vivent ces femmes, souvent dépendantes économiquement de leur conjoint.

Lorsqu'une personne sans papier subit des violences, elle a droit à deux choses : l’aide médicale urgente et le droit à porter plainte, deux valeurs fondamentales.

La peur de la police et du système administratif est entièrement légitime tant ces acteurs ont contribué à les persécuter lors de leur parcours personnel. L’agent de police est obligé de recevoir la plainte d’une victime et d’en assurer le suivi nécessaire. Dans le cas où il refuse, il est nécessaire de déposer une plainte écrite au procureur du Roi8. Dans ce cas, la plainte parviendra dans les mains d’une personne qui la traitera gratuitement. Il est également possible de saisir le Comité P9 qui se chargera d’entamer des enquêtes de terrain concernant les dysfonctionnements dans un service de police. Il est insultant qu’à l’heure actuelle, pour être entendue, une femme doit « avoir la chance » de tomber sur un policier bienveillant. Trop d’acteurs de première lignes méconnaissent les enjeux de la violence conjugale (et encore moins, en situation migratoire). En effet, il arrive que les femmes subissent des préjugés car du fait même d’être étrangères, elles sont suspectées de se marier pour obtenir des papiers et, ensuite, de prétendre des violences pour conserver leur titre de séjour malgré la rupture. Seulement, la victime devrait être accueillie comme telle. Le monde associatif ne fait que le répéter... Quand est-ce que les services de police disposeront-ils de formations en continu, notamment sur l'accompagnement des victimes ?

Plus d’écoute des victimes

Les violences que les femmes subissent sont non négligeables. Elle impactent leur estime de soi, dévorées par un sentiment de culpabilité envers leur famille d’origine qui a investi leur mariage. Leurs pensées sont envahies par l’angoisse, la honte et la méfiance envers les hommes10.
Il est important que l’on prenne le temps d’écouter les femmes. Les femmes migrantes en situation de violence sont très isolées socialement. C’est pour cela qu’il est utile de permettre des espaces de libération de la parole partout. Par exemple, lors d’une visite médicale, il est possible, en tant que personnel médical, de prendre à part une femme lorsque l’on prend sa tension et de discuter avec elle, de lui poser des questions, de lui offrir une porte de sortie même si elle ne le demande pas : lui proposer un prospectus qui évoque les violences conjugales, entourer les salles d’attente d’affiches variées évoquant qu’il est possible de trouver de l’aide lorsque l’on vit des situations de violence11… Je me rappelle d’une ostéopathe qui m’avait glissé un prospectus pour violence conjugale après une séance car j’étais couverte de bleus après un accident de vélo. J’ai trouvé qu’elle avait fabuleusement fait son travail. Mieux vaut se tromper et ouvrir un possible dialogue que ne pas vouloir se mêler de la vie personnelle des autres car cela « ne nous regarde pas ». La violence nous concerne tous et toutes, et ouvrir des portes de dialogue, c'est réalisable avec de petites attentions12.

 


 

1 Odasso, L. (2019). Des « mariages noirs »: Les violences conjugales et le contrôle de la migration familiale en Belgique. Recherches familiales, 16, 87-101.

2 Ibid.

3 Ibid.

4 Ibid.

5 Convention d’Istanbul: Lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique par le Conseil de l’Europe

6 Thévenot, A. & Metz, C. (2019). Introduction: Les femmes et les violences conjugales. Recherches familiales, 16, 83-85.

7 Ibid.

8 Pour porter plainte au procureur du Roi

9 Le Comité P = Comité permanent de contrôle des services de police

10 Odasso, L. (2019). Des « mariages noirs »: Les violences conjugales et le contrôle de la migration familiale en Belgique. Recherches familiales, 16, 87-101.

11 Ibid.

12 Analyse rédigée par Amandine Bernier

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