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Analyse 2023-06

En ce moment, les Drag Queen et les Drag King font l’actualité plus que jamais. On les voit à la télé et aux nouvelles : des articles fleurissent presque tous les jours, avec leur flot de commentaires incendiaires (ou pas). 

Sur la chaîne Tipik, c’est même un concours qui a été organisé : dix reines belges étaient invitées à faire preuve de toute leur créativité dans un « Talent Show mythique. » De leur côté, les spectateurs étaient sollicités pour un vote qui proclamerait la « Première Drag Queen de Belgique ». « À l’heure d’écrire ces quelques lignes, la première saison de Drag Race est donc terminée et c’est Drag Couenne qui a remporté la couronne. ‘Grâce à des looks audacieux, une attitude de reine et une belle expérience de comédienne, venant du théâtre, à seulement 24 ans, elle a su s’imposer comme la star du drag de notre pays», commente la seconde chaîne de la RTBf qui a reçu la personnalité à son antenne matinale.

Mais qu’est-ce que les Drag ?

Si vous êtes étrangers à cette culture, vous irez peut-être vous nourrir de ce que Wikipédia propose sur le sujet : « Une drag queen est une personne, généralement de sexe masculin, qui construit une identité féminine volontairement basée sur des archétypes de féminité et de rôles de genre de façon temporaire. Le monde des drag queens est généralement associé à l'homosexualité masculine, mais les drag queens peuvent être de toute identité de genre ou orientation sexuelle ».

Les drags ne sont donc pas un bloc monolithique. Leurs voix sont plurielles. D’ailleurs, plusieurs types de drags sont toujours dans l’ombre (on voit peu de personnes racisées ou autres), et pourtant il en existe. Le drag, c’est d’abord du divertissement, ce sont les créations de costumes, les maquillages plus grands que nature, de la personnification de chanteuses ou chanteurs, des blagues, de la danse, du catwalk de mannequin, et par-dessus tous ces talents artistiques, ajoutez souvent des compétences d’auto-production de spectacles, de tenancières de cabaret et d’organisations d’évènements de tout genre.

Wikipédia détaille certaines motivations et circonstances : « Une drag queen se travestit pour exprimer son identité et/ou dans le cadre de spectacle vivant, incluant souvent du chant, de la danse ou du lip-sync. Elle se représente généralement lors d'événements comme les Marches des fiertés ou les concours de beauté, ou dans des endroits comme les cabarets ou les boîtes de nuit. »

Sous les Drags se trouvent des artistes multi-talentueux qui perfectionnent leur art, souvent avec les moyens du bord. De plus, en parallèle, et souvent ne le sait-on pas car les médias ne s’y attardent pas pour préférer les shows plus démonstratifs, certain-e-s de ces drags et autres queers, prennent du temps pour venir lire des contes sur l’acceptation, l’inclusion et la diversité auprès d’enfants dans les écoles ou les bibliothèques. L’objectif n’est pas de recruter ou de pervertir les enfants, comme cela a déjà été reproché. L’intention est bien de travailler les représentations pour sortir des clichés clivants alors que, pourtant, on joue là en plein avec les stéréotypes. C’est donc bien un métier pratiqué de façon professionnelle. Pourquoi alors ces professionnels et professionnelles sont-iels de plus en plus confronté.es à des menaces, des injures, des manifestations et autres formes de violence ? Avec beaucoup d’honnêteté, il faut reconnaître ce qui dérange réellement.

Pas une déviance !

Ce qui bouscule les gens, c’est que ce soit des hommes homosexuels /queers habillés en femmes qui osent se montrer de façon extravagante, et pour d’autres c’est que ce soit des hommes homosexuels/queers habillés en femmes qui divertissent des enfants (et inversement pour les Drags Kings). C’est clairement de l’homophobie. Ce qui dérange, c’est cette façon insécure de penser qu’un homme homosexuel qui s’habille en femme, va peut-être inspirer les enfants à faire la même chose. Le pire, c’est cette peur de ne plus aimer son propre enfant s’il se met à jouer avec des habits ou des jouets que notre société hétéronormée lui refuse. Ou encore pire, c’est d’associer de façon erronée les hommes homosexuels à un pédophile qui chercherait à s’approcher sournoisement des enfants. Il semble que ce stéréotype ait la dent dure ! Être Drag Queen ou Drag King n’est pourtant pas une déviance. C’est de la création, c’est un art du divertissement qui date depuis des centaines d’années et c’est un divertissement qui plait à beaucoup de monde. Le problème n’est donc pas le divertissement et des Drag Queen qui racontent des histoires aux enfants dans les bibliothèques. Non, le problème qu’il faut sans doute identifier, c’est qu’il y a encore trop de personnes qui dénigrent et rejettent les hommes qui aiment personnifier des femmes et qui voient les gays comme des déviants ou des pervers.

Les différentes communautés LGBTQIA+ ont longtemps été les exclues ou les boucs émissaires des problèmes de la société. Cela se ressent encore énormément sur les réseaux sociaux où les commentaires haineux sont légions. Les minorités ou les personnes minorisées en souffrent. On peut se poser la question du pourquoi tellement d’incompréhension, tellement de peur face à ce qui est différent. Avec un peu d’empathie, on pourrait pourtant changer les choses. Et se dire qu’on peut préférer une chose à une autre, sans sentir le besoin de rabaisser ou détruire ce qu’on apprécie moins. Parce qu’au final, derrière les Drags, derrière les personnes homosexuelles, ce sont des êtres humains, à part entière !

Ce qui explique sans doute l’opposition radicale d’une certaine frange de la population à l’égard de cette minorité, c’est la crainte d’une déconstruction de la « binarité de genre »… du moins est-ce ainsi que s’exprime une certaine droite soucieuse, notamment aux États-Unis (mais pas que), de l’éducation donnée aux petits enfants dans les écoles. La binarité de genre, c’est « une conception traditionnelle de la diversité des genres humains selon laquelle seuls deux genres existent, homme ou femme, deux précisément et invariablement, distincts et déconnectés. Le concept de binarité de genre, (aussi appelée binarisme de genre, bicatégorisation ou genrisme), a aussi un impact sur celui d'identité de genre1».

C’est ignorer ou faire fi de ce que les Sciences sociales aujourd’hui ont intégré la non-binarité en la définissant comme suit : « Ce terme générique qui englobe plusieurs réalités. Selon Matsuno et Budge, elle inclut les personnes qui s'identifient en dehors des identités masculine et féminine ou qui s'identifient comme ayant une identité de genre située entre ces deux points, mais aussi les personnes qui s'identifient soit homme soit femme à des périodes différentes, ainsi que les personnes qui rejettent toute identité de genre voire qui ne ressentent aucune identité de genre. Il ne s'agit pas d'une définition exclusive2».

Chez l'être humain, il existe une dynamique multifactorielle complexe, pour asseoir son orientation sexuelle. Ce sont divers facteurs (génétiques, biologiques, apprentissages, socialisation, représentations…) qui se combinent, pour aboutir au développement de préférences sexuelles. Dans la majorité des sociétés actuelles, où existent une culture hétérosexuelle dominante et une culture homosexuelle plus marginale, la majorité des personnes développent des préférences globalement hétérosexuelles, et une minorité des préférences homosexuelles, bisexuelles ou asexuelles.

Les données des neurosciences récentes concernant les préférences sexuelles ne font pas encore consensus au sein de la communauté scientifique et ne sont pas encore intégrées par la culture contemporaine, raison pour laquelle le concept d'orientation sexuelle est ainsi principalement utilisé dans le domaine des sciences sociales.

Entrer en débat

C’est donc une option de programmation intéressante — et pour certains, audacieuse — pour laquelle a opté la télévision belge de Service publique, en choisissant d’organiser, puis de diffuser en prime time (certes sur la seconde chaîne et non la première) une émission de divertissement qui sensibilise à l’identification de cette communauté de genre. Couples et Familles ne peut que pointer favorablement cette initiative qui invite le grand public, de surcroît à une heure de grande écoute, à entrer en débat. Un débat susceptible de se dérouler en famille, où dans le monde scolaire où les séances d’EVRAS (l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle) ont mission d’ouvrir les esprits à la diversité tout à fait respectable de genre, et au droit individuel à une orientation sexuelle librement assumée3.


 1 « Binarité de genre » 

2 Emmie Matsuno et Stephanie L. Budge, « Non-binary/Genderqueer Identities: a Critical Review of the Literature », Current Sexual Health Reports, vol. 9, no 3,‎ septembre 2017, p. 116–120 (ISSN 1548-3584 et 1548-3592, DOI 10.1007/s11930-017-0111-8, lire en ligne [archive, consulté le 12 juillet 2021), cité dans Wikipédia dans la bibliographie de l’article « non-binarité ».

3 Analyse rédigée par Vinciane Fastré et Michel Berhin.

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