Analyse 2025-07
Le quotidien des mamans solos est parsemé de défis, cela les épuise mais leur confère aussi une force hors du commun. Pour tenir le coup, garder du temps pour soi est nécessaire. Mais dans quelle mesure est-ce possible pour ces mères aux plannings déjà bien remplis ?
« Comment garder du temps pour soi quand on est à la tête d’une famille monoparentale ? » est la question que pose Couples et Familles dans une étude parue en mars 2025. Celle-ci a été l’occasion de rencontrer les parents solos et d’écouter leur récit au cours d’ateliers d’écriture participatifs organisés dans Namur et alentours entre janvier et mai 2025. Aucun papa ne s’y étant inscrit, cette analyse se base sur les mots des mamans, retranscrits « entre guillemets »1. Ces ateliers d’expression citoyenne ont été pour elles l’occasion de revendiquer une société plus juste par une activité créatrice et régénératrice : un authentique temps pour soi. Un temps qui s’avère un enjeu central dans cette quête d’idéal sociétal.
Le temps pour soi vu par les mamans solos
Des mamans ont élaboré leur définition du temps pour soi : « Reconnexion avec soi extérieure aux frustrations, aux obligations, où l’on peut se permettre de s’exprimer de la façon adéquate à ce moment-là ; cela est propre à chaque personne ». Pouvoir se couper des exigences de la société en se réfugiant dans « une petite bulle à soi » ou « un jardin fleuri » est un besoin récurrent des mamans solos. Mais leur difficulté à le satisfaire est tout aussi récurrente.
Quand elles y parviennent, les options ne manquent pas : familiales ou solitaires, elles sont ludiques, artistiques, physiques, intellectuelles, spirituelles ou existentielles : lire un livre, regarder la télé, surfer sur internet, peindre, tricoter, prier, marcher ou même s’ennuyer. Parmi elles, les activités récréatives sont parfois réduites au rang de « petits loisirs » ou d’« amusements divers », comme s’il ne fallait pas trop s’y attarder. Toutes offrent pourtant ce « répit indispensable » tant convoité et peuvent même constituer des moments privilégiés avec les enfants. Enfin, quand les mamans se retrouvent seules, les gestes de soin, même simples comme « boire un bon thé », prennent une importance particulière.
En outre, certaines mamans distinguent temps pour soi et loisirs de consommation : « Je ne veux pas trouver le temps pour un coiffeur ou un restaurant », se méfiant des « injonctions à la mode ». Un authentique temps pour soi ne doit pas être induit ou imposé, mais synonyme de liberté.
Des obstacles au temps convoité
La difficulté la plus communément admise par les mamans participantes est le fait de « devoir tout assumer », d’avoir à endosser « deux rôles » : père et mère. Deux fois plus d’obligations, c’est deux fois moins de temps pour soi. Elles rêvent parfois d’une aide au sein de la famille, mais appréhendent les réactions. Comment responsabiliser les enfants aux tâches ménagères sans les parentifier ou risquer l’« affrontement » ? Comment convaincre la génération précédente quand elle juge que la suivante se plaint trop, que « désirer plus de congés c’est être fainéant·e » ? Solliciter les proches peut se révéler culpabilisant.
Alors vers qui se tourner ? Tout ne peut pas reposer sur l’aide sociale, d’autant que la moindre demande passe par un « labyrinthe administratif » où les informations, déplorent les mamans, ne sont pas centralisées. Tout ne peut pas non plus reposer sur les épaules des parents solos, qui subissent ce défaut de solidarité systémique. Certaines mamans regrettent l’absence d’une société où la collectivité prendrait en charge l’éducation des enfants, qui peuvent d’ailleurs aussi se sentir seuls.
Une solitude complice
La plupart des mamans présentes à une activité ouverte à la présence des enfants sont venues avec eux. Qu’il s’agisse d’un choix ou non, cela montre que les parents et acteurs sociaux composent avec eux. Les parents sont rarement seuls à proprement parler. Même absents, les enfants sont dans leur tête, dans leur chair, dans leur sillage. Cela dit, prendre du temps pour soi n’exclut pas d’être accompagné·e. Mais dès lors qu’un ou plusieurs enfants accaparent le temps dans une perspective familiale2, il n’est pas simple pour un parent de se recentrer sur soi.
L’enfant tient une place centrale et ambivalente, à la fois source potentielle d’un manque de temps pour soi et enjeu d’une quête du temps. Les mamans rencontrées font état d’un « lien unique » ou d’une « complicité » avec leur(s) enfant(s) : sentiment d’une relation privilégiée dans une solitude partagée. En effet, ce temps pour soi, elles le convoitent aussi pour « l’offrir comme un cadeau » à l’enfant, qu’elles désirent « bercer à l’infini » et protéger quoi qu’il arrive.
L’enfant est pour elles au cœur d’un « amour inconditionnel » car il est lui-même amour et espoir d’un monde meilleur. « Dans une utopie où la monoparentalité serait la norme, on vivrait dans une société matriarcale où l’enfant serait au cœur des réflexions et des investissements ».
Quand les obstacles deviennent une force
Lorsque les mamans racontent leur expérience aux ateliers, les images et les mots s’entrechoquent en vue de fresques colorées, de proses et poésies collectives. C’est déjà l’expression d’une force constructive et solidaire face aux pressions d’une société perçue par elles comme compétitive et jugeante, qui attend d’elles (comme de toutes les mamans) d’être parfaites par essence. Leurs récits convergent : elles partagent un sentiment de solitude – voire d’abandon – et un état d’épuisement, mais aussi un besoin de s’entraider et d’adopter une posture combative pour surmonter les multiples obstacles quotidiens.
Cet état d’affrontement permanent contre la famille, l’ex-partenaire, l’administration, le regard des autres… épuise, mais aussi endurcit ces mamans « patientes et courageuses », ces « mères guerrières fatiguées de tout porter ».
L’une d’elle résume cette double contrainte : « Devoir se dépasser dans le corps d’une mère qui se sait de plus en plus amoindrie. Mais se savoir capable de belles choses ». Elles doivent être fortes et se sentir fières en dépit du manque de solidarité et de reconnaissance : « J’aimerais faire ma fabuleuse, sans être critiquée par des houleuses ». Qui plus est, le risque de « burn-out » ou de « dépression » n’est pas à prendre à la légère3. Alors elles s’encouragent, évitent au possible la stagnation et les ruminations : « Oser se regarder dans la glace et ne pas rester de glace ! ».
Ces parents virevoltants chasseurs de temps méritent d’être reconnus. Dans une lettre ouverte rédigée à l’occasion d’un atelier d’écriture organisé par Couples et Familles4, les mamans solos revendiquent la perspective d’une vie sociale, d’un travail rémunéré et d’une pension à la hauteur de leur travail de mère. Couples et Familles les soutient pleinement et rappelle qu’un statut officiel de famille monoparentale est nécessaire pour les aider selon leurs spécificités5.
Conquérir le temps
Le plus souvent prises par le temps à défaut de pouvoir le prendre, les mamans solos semblent danser dans un mouvement perpétuel, à la fois source de dépassement et d’épuisement. Passive et critique, la société les regarde tourbillonner, trébucher, se relever et tourner de plus belle, sans applaudissement. Or au-delà d’elles-mêmes, c’est la société qu’elles font tourner. Les mères au foyer, surtout, s’inquiètent de ce que leurs efforts invisibles ne leur soient jamais rendus6. Alors même que le temps peut avoir un prix : un salaire paie le temps passé au service d’autrui, et les temps de détente ou d’amusement ne sont pas toujours gratuits.
« Il faudrait optimiser, à un rythme effréné, pour profiter de ce qui est planifié… Mais je n’ai pas d’argent à dépenser ». Nos sociétés contemporaines conditionnent les parent·es à répartir leur temps entre travail, maison et loisirs, ainsi qu’à l’optimiser et à le rentabiliser. Au travail, il faut être efficace et productif·ive. À la maison, les tâches ménagères l’attendent et les enfants n’attendent pas. Déjà travailleur·euses performant·es et intendant·es bénévoles, ils et elles se doivent encore d’être des parent·es disponibles. Pour tenir le coup, chacun·e a besoin de temps pour soi. Un temps souvent fugace, parfois coûteux, après lequel on court jusqu’à l’essoufflement. Est-ce là l’essence du temps pour soi : un temps seulement mérité pour s’être épuisé·e à l’attraper en culpabilisant d’en avoir besoin ou de ne pas en avoir assez ?
Plus qu’apprendre à optimiser le temps, les mamans solos voudraient pouvoir « souffler dans la nature, la nature de l’humain » où le temps pour soi serait « une habitude par laquelle on perçoit son potentiel incroyable ». Couples et Familles rêve avec elles d’une société où garder du temps pour soi constituerait un droit fondamental à part entière. Une société où être aidé·e ne serait pas « une chance » mais la conséquence naturelle d’un mode de vie humaniste7.
1 Étude n°151 « Comment garder du temps pour soi quand on est à la tête d’une famille monoparentale ? », quant à elle, livre deux témoignages de papas solos.
2 Voir notre analyse « La famille et son rapport au temps ».
3 Voir aussi Emily Delespaux, « Épuisement parental en question », dans Comment garder du temps pour soi quand on est à la tête d’une famille monoparentale ?, étude de Couples et Familles n°151, p. 57-60.
4 « Lettre ouverte pour un soutien concret aux familles monoparentales », rédigée par les mamans solos lors de l’atelier d’écriture du 8 mai à Wépion. Publiée sur la Page Facebook de Couples et Familles le 19/05/2025.
5 Voir notre analyse « Vers un statut de famille monoparentale ? ».
6 Voir notre analyse « Le coût du travail domestique ».
7Analyse rédigée par Olivier Monseur.
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