Analyse 2025-08

En septembre 2025, l’association « Couples et Familles » annonçait la sortie de son étude intitulée : « Le transgénérationnel : héritages personnels et collectifs ». En prolongement de celle-ci, l’anthropologue Chris Paulis propose un nouvel éclairage sur la question de la transmission transgénérationnelle à travers une réflexion axée sur le clonage et l’eugénisme.
Il est très difficile de donner une définition du clonage tant cet acte est complexe. Pour ce faire, je vais partir de la définition du Larousse : « Technique permettant d’obtenir en laboratoire des lignées de cellules ou des embryons sans qu’il y ait fécondation. » et celle du Robert en ligne : « ...le clonage est une technique permettant d'obtenir un ensemble de cellules (clonage cellulaire) ou un individu (clonage animal ou végétal) identique à un original à partir d'une de ses cellules, ou encore un ensemble de cellules à partir d'une seule. »
Focus sur le clonage reproductif
Dans la réflexion qui nous intéresse ici, laissons de côté le clonage thérapeutique (clonage séquencé pour, par exemple, produire des tissus pour greffes de peau), pour nous occuper uniquement du clonage reproductif, sens unique de ces textes sur la transmission. À première vue, cela ne concerne que la transmission visible, génétique, physiologique et physique. Pour lesquelles il y a une rupture évidente dans le mécanisme courant et traditionnel de la reproduction. En effet, il n’y a pas de rapport sexuel, telle la PMA, mais en plus, contrairement à la PMA, il n’y a aucun rapport, aucun acte ni interne ni externe pour engager et remplacer le rapport sexuel reproducteur, et peu importe à qui appartient l’utérus nécessaire pour faire se développer l’embryon qui va devenir un bébé avant de naître finalement. Ce qui apporte au minimum les apports et le fruit des échanges entre la possesseuse de l’utérus et le bébé. Le clonage, par le fait de se servir des cellules et de leur ADN, va créer un nouvel individu qui ressemble physiquement et génétiquement au donneur de noyau sans être ni une copie, ni semblable. Un même. D’autant plus que l’apparence d’un individu est faite de nombreux éléments autres que son physique « naturel », telles l’alimentation, les exercices, le sport, etc., sa manière d’être, de se tenir, de dormir, le travail qu’il accomplit, le temps qu’il y passe, les congés et ce qu’il en fait, etc. Tout cela façonne son physique et l’éloigne du fantasme du clone semblable. La transmission transgénérationnelle visible est réelle et même très profonde puisque les ADN, eux, sont exactement les mêmes. Mais il y a des croyances qui avancent que les gènes recouvrent également des comportements, des attitudes, des aptitudes, des tendances, etc. Ainsi, certains scientifiques prétendent avoir trouvé le gène de l’homosexualité et d’autres le gène de la sociopathie. Alors que tout ceci relève avant tout du culturel, donc de l’acquis, or, ce qui est acquis représente les côtés de l’invisible.
Comment se fait le clonage ? Les manipulations se passent en laboratoire. Il faut prendre une cellule que l’on énucle et dans laquelle on place le noyau d’une cellule du donneur. Ensuite l’embryon qui en découle va être implanté dans un utérus naturel (d’une femme) ou artificiel (créé par les hommes) jusqu’à la naissance du bébé. Si la naissance d’un bébé provient d’une parturiente, nous sommes dans tout le système contextuel de l’accouchement. Par contre, la naissance d’un bébé qui s’est développé et a grandi dans un utérus artificiel bouleverse et remet en question les notions de parenté et de filiation, qui sont les éléments piliers de nos sociétés.
Cinq points importants
Premièrement, ce discours ne serait actuellement que de la fiction. En effet, le clonage avec des êtres humains ne serait pas pratiqué pour moult raisons que nous allons développer infra. Par contre, depuis la brebis Dolly, on a multiplié les clonages d’animaux divers, des bovins, des ovins, ainsi que des chats et des chiens pour la vente ou à la demande de particuliers qui, le plus souvent ayant perdu leur compagnon à quatre pattes, veulent le « prolonger », avec l’illusion que c’est encore leur compagnon qui est en vie.
Toutefois, il me paraît juste de préciser que, cette année, la Chine a annoncé avoir réussi le clonage du premier être humain1. Intox? Réalité ? Personne ne sait, vu la façon dont toutes ces recherches sont protégées, cachées, tenues secrètes. Toujours est-il que, en décembre 2002, les raéliens2 ont annoncé la naissance d’une petite fille issue du clonage. Mais les scientifiques et les politiques du monde entier sont restés d’autant plus sceptiques devant cette annonce qu’aucune explication et aucune publication scientifiques n’ont - jamais - étayé cette déclaration. En 2003, Clinaid a prétendu avoir créé un bébé par clonage, mais l’absence de théories scientifiques a permis de réfuter cette allégation.
Deuxièmement : l’éthique. Il a fallu prendre position vis à vis du clonage des êtres humains. Ce qui fut fait en 2005. La Belgique et la France notamment se sont positionnées en interdisant tout clonage d’êtres humains. Après discussions et argumentaires, tous les scientifiques du monde entier s’étaient mis d’accord pour refuser le clonage des êtres humains. Pourquoi ? Tout d’abord au nom du respect de la dignité des personnes. Ensuite, pour éviter tout usage forcé exagéré et dangereux du clonage à des fins politiques. Par exemple, il faut éviter le risque qu’une ou l’autre puissance ne décide de produire des centaines d’individus pour composer une armée, renouvelable à l’envi. Et il faudrait lutter contre la stigmatisation des personnes clonées qui, en nombre, seraient vite reconnues comme issues du clonage vu leur ressemblance évidente, c’est-à-dire de conception anormale, et inférieure donc discriminatoire. Il y aurait également le risque qu’un individu se fasse ou soit cloné des dizaines de fois, ce qui est absolument impossible avec la reproduction naturelle. Il faut éviter aussi le risque de voir grossir une classe sociale plutôt qu’une autre, en l’occurence, plus élevée, qui, grâce à ses moyens financiers, pourrait se payer, à titre privé, autant de clonages qu’elle le désire. Séparation des classes. Ou, au contraire, voir les classes supérieures multiplier les personnes des classes sociales les plus basses en utilisant le clonage, pour multiplier les forces manuelles et faire les métiers dits les moins nobles, avec une population doublement infériorisée, une fois par leur création, une deuxième fois par la classe sociale dont elles sont originaires. Et cela sans aucun remord ni culpabilité de classes puisqu’il s’agirait de pauvres ou de personnes de classes inférieures.
Troisièmement : réalité ou fiction ? En utérus artificiel, créé au départ pour aider les bébés prématurés, certains foetus sont arrivés à plus de 22 semaines. Des scientifiques, dans divers laboratoires et dans différents pays, pratiquent l’ectogenèse. Or, on considère que le bébé est viable dès 24 semaines. Parfois 23 voire 22 semaines. Ceci se passait il y a 10 ans, il est certain que, aujourd’hui, les 24 semaines peuvent être atteintes. D’ailleurs, Rhiannon Jones n’a-t-elle pas déclaré dans un podcast pour My Weldest Predictions3, que dès 2040 les utérus artificiels transformeront radicalement le système de reproduction humaine, et ils seront banalisés, du moins chez les femmes riches vu l’énorme coût financier exigé par ce système.
Quatrièmement, évoquons le clonage de mammifères. De nombreux mammifères sont aujourd’hui clonés dont des chats et des chiens stigmatisés parce qu’ils ont, majoritairement, un œil affaibli ou une oreille défaillante. Ainsi l’individu issu du clonage humain est en incertitude concernant sa viabilité, en effet il y a plus de mortalité infantile chez les animaux issus du clonage que chez ceux issus des modalités naturelles, et, concernant l’intelligence et le mental, on ne sait rien. Après Dolly, des ovins et des bovins, il n’y a qu’un pas pour passer aux mammifères humains.
Cinquièmement, qu’en est-il de l’immortalité ? C’est un leurre ou une erreur de croire que le clonage permettrait à un individu d’acquérir l’immortalité par le fait de perpétuer le même, puisque le clonage ne rend pas la même personne que l’individu cloné. Certes les ADN sont les mêmes mais les histoires et les trajets de vie diffèrent. De plus, les clonages de clonages ne sont pas encore suffisamment pratiqués pour avoir le recul nécessaire qui permettrait de savoir avec certitude ce que cela donnera. Et rappelons-le, les clones sont asexués.
Ainsi la transmission transgénérationnelle subit une rupture visible même si l’ADN est commun avec la personne clonée, donc donneuse.
Une question importante reste sans réponse aujourd’hui encore, celle de la parenté. Quel statut familial possède l’individu issu du clonage ? Quand un bébé est issu de relations sexuelles, la parenté est très facile et évidente, le bébé est simplement le fils ou la fille de ses géniteurs. Dans l’adoption, en Belgique il faut 15 ans de plus que l’adopté, pour imiter la nature, cela a été établi par les hommes, dans des lois. Et les parents sont le, la ou un couple d’adoptants. C’est-à-dire qu’il y a deux générations avec certitude. Les plus âgés étant les parents les plus jeunes les enfants. Ces derniers sont un mélange des deux géniteurs tant au niveau physique qu’en ce qui concerne l’ADN. Mais tout est différent en ce qui concerne les individus clonés. Ceux-ci sont issus d’un seul ADN. Celui qui provient du donneur de noyau. Il n’y a donc pas de lien de filiation classique. Il y a une seule personne au lieu de deux géniteurs. Et l’individu cloné, stigmatisé par sa parenté unique, est-il réellement l’enfant du donneur vu qu’il a exactement le même ADN ? On devrait plutôt parler de frère ou de sœur, jumeau, comme le sont les vrais jumeaux homozygotes. À la différence que, donneur et cloné, ils sont de deux générations différentes. C’est un vrai casse-tête que la société devra résoudre. Ainsi, le clonage va déconstruire toutes les constructions sociales de la parenté, qui sont établies avant tout sur les liens du sang et la transmission sexuée soit un individu masculin et un individu féminin, et sexuelle par l’intermédiaire d’une relation. Les transmissions transgénérationnelles dans ce type de clonage sont complètement hors normes et anormales pour le sens commun. Du point de vue visible, l’héritage transmis ne venant que d’une personne, on pourrait rapprocher ceci des cas de PMA, dans l’insémination artificielle avec donneur connu issu de la fratrie maternelle, avec renforcement de l’image maternelle. L’embryon ne relève pas non plus d’un acte sexuel mais il est le fruit d’une rencontre entre le masculin, le sperme, et le féminin, l’ovocyte. Ce qui donne à l’embryon puis au fœtus et ensuite au bébé un ADN mixte composé du masculin et du féminin. Ce qui lui enlève toute visibilité unique, univoque et unilatérale. Quant à l’invisible, le culturel, il s’apprend de la même manière que pout tout embryon naturel ou artificiel. Ainsi tout se joue uniquement sur la question de la transmission transgénérationnelle visible et sur la filiation.
Eugénisme
Quant à l’eugénisme, que le Larousse en ligne définit comme « Théorie cherchant à opérer une sélection sur les collectivités humaines à partir des lois de la génétique », et, dans le Robert, comme une « Étude et mise en œuvre de méthodes ayant l'ambition d'améliorer l'espèce humaine par une sélection génétique », il me met très mal à l’aise pour en parler, notamment par les ambiguïtés qu’il présente. En effet, il y a diverses manières de pratiquer l’eugénisme. Toutefois il ne concerne pas que la transmission transgénérationnelle visible. Si le travail sur l’apparence est évident, le travail sur la culture l’est aussi au vu des croyances multiples qui entourent la génétique. L’eugénisme signifie travailler directement sur les embryons pour éliminer les moins beaux, les moins bons, des moins fiables aux plus fragiles, et d’autre part, implanter des embryons forts susceptibles de s’accrocher dans l’utérus, de nidifier et de se développer pour donner un bébé sain et vigoureux. Puis il y a le fait de travailler sur les embryons pour éliminer tous ceux qui présentent des risques de handicap, des enfants à ne pas venir. Et enfin il y a le fait de travailler sur des embryons pour les améliorer. Mais que signifie améliorer, sinon vouloir imposer à la vie et à son mystère sa propre vision de ce qu’est le bien être selon une idéologie monocorde, univoque et avant tout personnelle. La transmission transgénérationnelle démarre dès la naissance de l’enfant, autant visible, par le travail direct sur les embryons qu'invisible par le fait de mêler des connaissances acquises à des états génétiques, c’est associer la culture à des gènes. Toutefois, il est très facile de voir tout de suite les déviances suggérées par ce système. En effet, par rapport à la transmission visible, le travail sur ou plutôt contre la trisomie 21 par exemple appauvrit les richesses des populations. Et le bien-être dans ce cas est social et non personnel, cette confusion permet de tricher avec l’eugénisme. Ainsi au début du 20e siècle, des centaines de pauvres aux Etats-Unis ont été stérilisés de force au nom d’une non belle vie. On pratique déjà en quelque sorte l’eugénisme dans la PMA, pour les « Fivetes », lorsqu’on sélectionne les embryons les plus vigoureux, formés en laboratoire et de manière courante voire banale. Puis, certaines personnes jouent déjà sur la couleur des yeux, les couleurs de peau ou tout simplement sur le sexe de l’enfant futur. Ce qui partant du choix d’individus privés pourrait rapidement devenir une démarche politique extrêmement dangereuse. Il suffit d’avoir quelqu’un de très avide par exemple pour qu’on utilise l’eugénisme dans le but de ne faire que des garçons futurs guerriers.
Il est nécessaire de délimiter exactement ce qui est permis et interdit. Or dans la transmission invisible, il y a une multitude de possibles. Du fait de vouloir travailler sur le gène de l’homosexualité, en l’éradiquant, ou sur le gène de la sociopathie, pour le supprimer, c’est dans le premier cas, confondre une attirance, une identité sexuelle, et dans le second une attitude contextuelle, avec du physique et du génétique. Le gène apporte une part héréditaire mais ne contient pas la culture qui reste de l’acquis. Les transmissions transgénérationnelles ont donc un rôle certain mais pas ultime. Et le plus grand risque avec la confusion entre le bien-être personnel, qui dépend ou renvoie à soi, et le bien-être social qui dépend des autres, tant par les lois créées que par leurs attitudes et leurs comportements, est que toute personne pourra un jour ou l’autre être considérée par d’autres comme en non bien être, tels les roux et les rousses qui ont parfois été associés à la sorcellerie et qui ont subi toutes les infamies de l’inquisition. Et ainsi soit être soi-même pourchassé, extradé, banni du groupe social décisionnaire, soit être stérilisé afin de ne pas avoir une descendance qui subirait, à son tour, cet ostracisme à cause de sa ressemblance avec ses parents ou géniteur-trice-s, transmission du visible, ou par le fait d’avoir des attaches et des points de raccords avec ces géniteurs, transmission de l’invisible. Raison pour laquelle l’eugénisme serait pratiqué sur leurs embryons afin d’assurer ce que les décideurs considèrent être le bien-être4.
1 Journal parlé du 5 mai 2025.
2 La secte raelienne annonce la naissance du premier clone humain, in Le Monde en ligne, le 27 décembre 2002. La secte raélienne, dirigée par le gourou Raël, existe depuis 1975. Le gourou prétend avoir des affinités avec le clonage.
3 Jones Rhiannon, L’utérus artificiel : une révolution dans la reproduction d’ici 2040 ? in Profession Sage femme, 2024. Online.
4 Analyse rédigée par Chris Paulis, docteur en anthropologie, membre de l’assemblée générale de l’asbl Couples et Familles, en prolongement de l’étude « Le transgénérationnel : héritages personnels et collectifs » (Dossier de Couples et Familles n°153 - septembre 2025).
Sources : - Atlan Henri, Augé Marc et alii, Le clonage humain, Paris, Seuil, 1999.
- Jordan Bertrand, Le clonage. Fantasmes et réalités, Paris, les éditions Milan, 2004.
- Robert Odile, Clonage et OGM, Paris, Petite encyclopédie Larousse, 2010.



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