Analyse 2025-09

Souvent qualifiée de « maladie invisible », l’endométriose touche environ une femme sur dix en âge de procréer1. Elle se caractérise par la présence de tissu semblable à de l’endomètre (muqueuse utérine) en dehors de la cavité utérine, provoquant des douleurs pelviennes, digestives ou lombaires parfois intenses, ainsi que des difficultés de fertilité. Pourtant, ses effets dépassent l’aspect biologique, ils traversent la vie affective, sexuelle et relationnelle, mettant à l’épreuve les équilibres intimes et familiaux2.
Dans plusieurs études, il est apparu que la maladie ne se résume pas à un corps souffrant mais aussi à une épreuve du lien3. Le couple, la famille et les proches deviennent tour à tour soutien, miroir ou relais de la souffrance : « la qualité du soutien conjugal influence directement la perception de la douleur et la satisfaction relationnelle »4.
Aborder l’endométriose à travers le prisme du couple et de la famille, c’est reconnaître que la santé ne se réduit pas au médical. C’est aussi faire du vécu individuel un point d’entrée pour penser le social, le genre et la solidarité.
Quand la douleur s’immisce dans le lien
Les douleurs provoquées par l’endométriose s’invitent dans le quotidien. Elles perturbent le sommeil, le travail, la sexualité et la confiance en soi. La douleur chronique redéfinit le rapport au corps, souvent vécu comme un ennemi imprévisible5. Les femmes atteintes d’endométriose rapportent également un sentiment d’impuissance et d’isolement, renforcé par le manque de reconnaissance médicale6.
Dans la vie intime, la maladie agit comme un tiers silencieux. La dyspareunie (douleur pendant les rapports sexuels) affecte jusqu’à 90% des patientes7. Elle entraîne peur, évitement, perte de désir et frustration. Certaines femmes rapportent continuer les rapports sexuels malgré la douleur, par peur de perdre leur partenaire ou de décevoir8. Pour les partenaires, cette situation est tout aussi complexe, ils·elles oscillent entre compassion, culpabilité et frustration. Certain·es témoignent de la peur de « faire mal » ou de ne plus savoir comment aborder l’intimité9. Lorsque la communication s’interrompt, la sexualité devient source de tension et non de lien.
Pourtant, le soutien conjugal agit comme un facteur de résilience. Les couples parviennent à parler ouvertement de la maladie et à redéfinir leur sexualité autour de la tendresse, de la sensualité et du plaisir partagé rapportant une meilleure qualité de vie globale. La communication devient alors un véritable outil thérapeutique10.
Le poids du regard familial et social
La famille joue un rôle ambivalent. Dans certains cas, elle est un pilier, les mères, les sœurs ou les amies offrent une écoute et une reconnaissance, parfois elles accompagnent aux rendez-vous médicaux, et permettent à la femme de se sentir comprise11. Mais pour d’autres, la famille devient un espace de malentendus. La douleur est invisibilisée et minimisée. On entend souvent des phrases telles que « ce sont des règles un peu fortes », « toutes les femmes ont mal ». Ces propos traduisent la banalisation sociale de la souffrance féminine et le tabou persistant autour du corps menstrué12.
À cette incompréhension s’ajoute la pression liée à la maternité. L’infertilité ou la crainte de ne pas pouvoir concevoir vont confronter certaines femmes aux attentes familiales et sociétales du rôle maternel. La sociologue Shana Riethof met en avant que « la douleur de l’endométriose se double souvent d’une douleur symbolique, celle d’un corps perçu comme défaillant dans une société où la maternité reste une norme »13.
Reconnaître ces dynamiques, c’est comprendre que l’endométriose dépasse l’expérience médicale et interroge les normes de genre, le rapport au corps et la place du soin dans nos modèles familiaux. Le soutien familial et conjugal devient alors un enjeu social autant que thérapeutique.
De la douleur au partage : la parole comme soin
Un élément central ressort des études, la parole a un pouvoir réparateur14, 15. Dire la douleur, exprimer la honte ou la colère, raconter son vécu permet de rompre l’isolement et de redonner sens à l’expérience. Pourtant, cette parole reste difficile. Les patientes hésitent à évoquer leur souffrance, craignant d’être jugées ou incomprises. Ce silence s’enracine dans des siècles de tabous autour du corps féminin et de la sexualité16.
Afin de remédier à cette invisibilité, les associations jouent un rôle concret. L’ASBL Toi Mon Endo, basée à Enghien, travaille actuellement à la création d’une « Safe-Place », un lieu pensé pour offrir du soutien et du répit ainsi qu’un lieu d’accueil pour les crises d’endométriose. Toi Mon Endo organise régulièrement des groupes de parole thématiques, des ateliers (yoga doux, cuisine anti-inflammatoire, atelier photos pour renouer avec son corps, etc.), et des événements mensuels où les personnes concernées peuvent se rencontrer, échanger. Ces espaces sont décrits comme bienveillants, inclusifs, résilients, porteurs d’entraide, et offrent ce soutien indispensable que beaucoup de patientes disent attendre. Ces rencontres permettent de déposer ce qui est difficile, de partager des stratégies pour mieux vivre le corps, d’apprendre des techniques d’apaisement, et surtout se sentir moins seule dans la douleur17. Ces initiatives, qu’elles soient individuelles ou collectives, ouvrent la voie à une réflexion plus large sur ce que signifie ‘prendre soin’ dans nos relations et nos institutions.
Repenser le soin par le lien
Pour améliorer la qualité de vie des personnes atteintes d’endométriose, il semble essentiel de penser les solutions à la croisée du soutien relationnel, de la reconnaissance institutionnelle et de la transformation sociale. D’abord, le dialogue conjugal et familial apparaît comme un levier fondamental. Les couples qui parviennent à échanger ouvertement sur la maladie développent une forme de résilience commune et une meilleure adaptation face à la douleur18. Ce dialogue nécessite parfois un accompagnement notamment via des ateliers relationnels, des groupes de parole mixtes ou encore des formations à la communication bienveillante qui peuvent aider à redéfinir la place de chacun dans la relation. Les associations sont bien placées pour proposer ces espaces, où la parole circule et où le vécu corporel devient une expérience partagée plutôt qu’un fardeau solitaire.
Sur le plan professionnel, il est nécessaire de renforcer la formation à l’écoute et à la reconnaissance du vécu. L’errance de diagnostic et la banalisation de la douleur féminine témoignent encore d’un manque d’attention envers la parole des femmes19. Accueillir la souffrance sans la minimiser, aborder la sexualité et le plaisir sans tabou, constituent déjà des gestes de soin20. L’éducation passe également par ce changement de regard, en sensibilisant les futur·es praticien·nes au biais de genre en santé et à l’importance de l’empathie dans la relation d’aide.
Le recours à un·e sexologue peut également jouer un rôle d’accompagnement vers une sexualité réinventée. Loin de se limiter aux aspects techniques, la sexologie propose des outils pour retrouver la confiance corporelle et le plaisir partagé via la redécouverte sensorielle, le toucher bienveillant ou encore l’exploration du désir hors pénétration21. Ces pratiques contribuent à replacer le corps dans le champ du possible, plutôt que dans celui de la douleur. Intégrer la sexologie dans les parcours de soin, notamment en proposant des sexologues dans les hôpitaux disposant d’un service dédié à l’endométriose, permettrait d’assurer un suivi plus global et central de la maladie.22
Agir sur les représentations sociales demeure également indispensable. L’endométriose révèle le poids des normes de genre qui traversent la société qui valorise la performance, la maternité ou encore la disponibilité du corps féminin23. Créer des espaces de débat, de sensibilisation et de témoignages permet l’accès au changement. En valorisant les initiatives citoyennes, à l’image de l’ASBL Toi Mon Endo, et en promouvant la reconnaissance des vécus corporels féminins, nous ouvrons la voie à une société plus inclusive et solidaire, où la douleur ne se tait plus mais devient une voie d’émancipation24.
1 Maillard, C., Squifflet, J., Jadoul, P., & Luyckx, M. (2023). Actualités sur l’endométriose. Medi Sphère, 740, 16. http://hdl.handle.net/2078.1/278740
3 Louis, L. (2025). Endométriose et sexualité : vers une prise en charge plus globale?. Mémoire réalisé dans le cadre du Master de Spécialisation en Sexologie et Clinique des Sexualités – ULB.
4 Guillemot, C., Klinkenberg, J., & Sordes, F. (2023b). Vécu psychologique de la sexualité chez les patientes endométriosiques douloureuses. Psychologie Française, 68(3), 345-358. https://doi.org/10.1016/j.psfr.2023.04.002
5 Wallenberger, M., (2016). Les cellules voyageuses Comment j’ai rencontré mon endométriose. Z : Revue itinérante d’enquête et de critique sociale, 10(1), 176-179. https://doi.org/10.3917/rz.010.0176.
6 Leroy R., Desimpel F., Ombelet S., De Jaeger M., Benahmed N., Camberlin C., Christiaens W., (2024) Comment améliorer la prise en charge de l’endométriose en Belgique ?. Health Services Research (HSR). Bruxelles. Centre Fédéral d'Expertise des Soins de Santé (KCE). KCE Reports 378BS. DOI : 10.57598/R378BS.
8 Gehenne, L., Parent, A., Christophe, V., & Rubod, C. (2021). Vécu de la sexualité des patientes atteintes d’endométriose et de leurs partenaires : une étude qualitative en population française. Gynécologie Obstétrique Fertilité & Sénologie, 50(1), 6974. https://doi.org/10.1016/j.gofs.2021.10.007
9 Law, C., Hudson, N., Mitchell, H., Culley, L., & Norton, W. (2024). ‘You feel like you’re drifting apart’ : a qualitative study of impacts of endometriosis on sex and intimacy amongst heterosexual couples. Sexual & Relationship Therapy, 124. https://doi.org/10.1080/14681994.2024.2306316
10 Pluchino, N., Wenger, J., Petignat, P., Tal, R., Bolmont, M., Taylor, H. S., & Bianchi-Demicheli, F. (2016). Sexual function in endometriosis patients and their partners : effect of the disease and consequences of treatment. Human Reproduction Update, 22(6), 762-774. https://doi.org/10.1093/humupd/dmw031
12 Millepied, A. (2024). Composer avec l’endométriose. Parcours de femmes et travail médical aux prises avec une entité problématique. HAL Open Science, 1, https://theses.hal.science/tel 05006509v1
13 Riethof, S. (2023) . Distribuer l’espoir, préparer le deuil. Réajustements des attentes procréatives face à l’échec de la FIV dans une clinique de fertilité belge. Revue française des affaires sociales, (2), 263-280. https://doi.org/10.3917/rfas.232.0263.
15 Schmitt, C., deMalartic, C. M., Morel, O., & Ramseyer, F. (2021). L’évaluation de la santé sexuelle femmes porteuses d’endométriose. Sexologies, 30(3), 180-188. https://doi.org/10.1016/j.sexol.2020.12.009
16 Millepied, A. (2024). Composer avec l’endométriose. Parcours de femmes et travail médical aux prises avec une entité problématique. HAL Open Science, 1, https://theses.hal.science/tel 05006509v1
17 Toi Mon Endo. (2025). L’association Belge Experte En Endométriose. Consulté le 2_18 octobre 2025, à l’adresse https://www.toimonendo.com/
24 Analyse rédigée par Lucie Louis.



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