Analyse 2010-14

Tous les ans, l’approche des fêtes de fin d’année amène les mêmes questions : quel cadeau choisir, quel budget y consacrer, qu’allons-nous recevoir? Certains s’en réjouissent, d’autres y voient une corvée. Que signifie cette tradition des cadeaux ? Quels en sont les ressorts ? Est-il possible de modifier les pratiques ?

Pourquoi fait-on des cadeaux ?

D’une région à l’autre, d’un pays à l’autre, les habitudes de faire des cadeaux en certains circonstances varient. En Belgique, les enfants reçoivent des cadeaux surtout à la Saint-Nicolas, alors qu’en France ils sont plutôt fêtés à Noël et en Italie à l’Epiphanie. D’une famille à l’autre, les pratiques diffèrent également. Mais quelle que soit la famille ou la région, on retrouve cette habitude de faire des cadeaux.
Pour quelles raisons faisons-nous des cadeaux, en particulier à Noël ? C’est une question que l’on se pose rarement, tellement cette pratique est ancrée dans les habitudes culturelles. Faire des cadeaux est en effet une pratique très ancienne. Mauss, un ethnologue du début du vingtième siècle, a par exemple étudié la pratique du don dans les sociétés dites archaïques : les Maoris de Nouvelle-Zélande et les Kwakiutls, peuple amérindien du Canada. Par ses recherches, il a mis en évidence le fait que le don était un « échange volontaire obligatoire ». Le don est un fait social : il ne peut pas y avoir de don sans que celui à qui il est destiné l’accepte, sans qu’il y ait réception. Et recevoir oblige aussi à rendre. Ce processus de « don-réception-rendu » crée un échange et cet échange apparaît comme essentiel à la vie sociale. Selon les études de Mauss, le refus de donner, de recevoir ou de rendre mène toujours à la guerre ou en tout cas à la rupture des liens entre les personnes concernées. La pratique des cadeaux apparaît donc dans un premier temps comme une pratique sociale qui crée et manifeste des liens d’échange et de réciprocité.
Dans une approche plus individuelle ou psychologique, le cadeau peut aussi prendre des significations fort différentes. Il dit en tout cas quelque chose de celui qui l’offre comme de celui qui le reçoit.Spontanément, la première raison qui vient à l’esprit est l’attachement à l’autre. Dans la sphère privée, offrir un cadeau marque le lien affectif qui lie la personne à celle à qui elle offre un cadeau. Mais comme le font remarquer les psychologues, le cadeau n’est pas seulement une marque d’amour, il est aussi le plus souvent une demande d’amour, puisque, le plus souvent, nous attendons implicitement quelque chose en retour. Dans la sphère familiale, on fait aussi remarquer que les cadeaux sont souvent une manière de compenser, de se dédouaner, voir de se faire pardonner : le parent qui se sent coupable d’être trop peu présent à sa famille à cause de son travail aura tendance à faire des cadeaux plus importants, le père qui ne voit ses enfants qu’un week-end sur deux à cause d’une séparation fera de même, le partenaire qui se sent un peu coupable de ceci ou cela vis-à-vis de l’autre essaiera de « réparer » par un cadeau. Les cadeaux ont donc aussi d’autres fonctions dans le cadre des relations affectives et familiales.
Dans nos régions, les cadeaux de Noël sont particulièrement associés à un cadre familial. C’est à Noël que la famille se réunit et, à cette occasion, des cadeaux sont échangés. Cette réunion familiale de la Noël apparaît souvent comme incontournable, même dans les familles où les relations sont tendues voire glaciales, un peu comme le dernier rempart de l’harmonie familiale. En outre, la réunion plus ou moins obligée des protagonistes d’une famille où les relations sont difficiles accentue encore les tensions. Le psychanalyste français Samuel Lepastier fait d’ailleurs remarquer que cet échange de cadeaux se déroule dans un contexte où l’on tente d’actualiser le mythe de l’harmonie familiale, souvent mise à mal. Pas étonnant dès lors que les cadeaux se voient attribuer des missions parallèles : donner l’illusion de l’harmonie, régler ses comptes avec l’un ou l’autre, se faire pardonner.
 
Les cadeaux, une bonne affaire commerciale

Le secteur commercial prend appui, bien sûr, sur toutes ces motivations plus ou moins inconscientes pour inciter à l’achat. Selon un étude récente du CRIOC[i] les consommateurs consacrent en moyenne un budget de 82 € à l’achat de cadeaux de Noël, dépenses auxquelles il faut encore ajouter celles liées aux activités. Malgré la crise, ces dépenses semblent rester assez stables, puisqu’elles sont passées d’un budget moyen de 137 € en 2005 à 133 € en 2009 (cadeaux et activités). On peut donc dire que les cadeaux de Noël constituent un secteur économique important.
Pourtant, les cadeaux ne font pas toujours que des heureux, et le nombre de cadeaux remis en vente sur ebay dès le lendemain ne cesse d’augmenter. C’est qu’il n’est pas toujours facile de faire mouche et de trouver ce qui fera plaisir à l’autre, surtout quand la recherche s’apparente à une véritable course de dernière minute dans des magasins encombrés d’acheteurs impatients d’en finir. C’est sans doute la raison du succès grandissant des chèques cadeaux et bons d’achat de toutes sortes qui se sont multipliés et diversifiés ces dernières années. Selon une enquête française du cabinet d’audit Deloitte[ii], 45% des Français souhaitent recevoir ces titres de crédit que l’on échange contre des marchandises. « Avec des chèques-cadeaux, les gens sont sûrs de ne pas être déçus par ce qu’on va leur offrir, puisqu’ils seront libres d’acheter ce qui leur plaira.[iii] » Selon l’enquête du CRIOC pour la Belgique, 33% des cadeaux offerts à des adultes sont des bons cadeaux, pour 40% de cosmétiques et parfum. La proportion de bons cadeaux ne fait qu’augmenter d’année en année.Ce glissement vers les chèques-cadeaux révèle aussi l’émergence de besoins plus égoïstes, liés à l’évolution d’une société plus individualiste, selon la psychanalyste Pascale Hébel, directrice du département consommation du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc[iv]). « Avec un chèque cadeau, on cache l’aspect trop matériel du cadeau, on dématérialise le don d’argent. Ce type de présent se répand, avec la multiplication des ’listes’ de PACS, de retraite ou d’anniversaire, conçues sur le modèle des listes de mariage. Les invités achètent un objet, dont le prix est public, et le destinataire est libre de respecter ce choix ou de convertir leur participation monétaire. Plutôt que de se retrouver avec vingt carafes, il préférera forcément choisir un fauteuil. La relation aux cadeaux a bougé, il y a moins de freins moraux.[v] »
 
Des alternatives

Les chèques cadeaux constituent certainement des alternatives à la corvée que représente pour certains l’achat de cadeaux de Noël et cela permet aussi d’éviter un certain gaspillage, puisque tout le monde ne franchit pas encore le pas de remettre en vente le cadeau reçu mais qui ne plaît pas, fait double emploi ou paraît vraiment superflu.D’autres initiatives plus novatrices et socialement engagées tentent également d’occuper le créneau des cadeaux, en particulier pour les fêtes de fin d’année. La première a été mise sur pied par l’ONG Oxfam. Sous l’appellation « Oxfam s’emballe »[vi], l’association propose aussi une forme de chèque cadeau. Mais ici, celui à qui on offre le chèque n’est pas le bénéficiaire du cadeau. C’est un peu le principe des messages que l’on trouve parfois sur les faire-parts de mariage, lorsque les futurs époux suggèrent de convertir les fleurs ou le cadeau qu’ils avaient l’intention d’acheter en un versement d’argent au profit d’un projet social ici ou ailleurs. Ici, vous pouvez manifester à celui à qui vous aimeriez faire plaisir que l’argent a été versé pour un projet de développement dans le Tiers-Monde. Pour 15€ par exemple, vous pouvez lui annoncer qu’il vient d’offrir (on est deux dans ce cas à offrir) deux lapins à une famille congolaise, pour 33 € qu’il participe à la formation d’un agriculteur, et pour 146 € qu’une famille disposera dorénavant d’une vache, cadeau vachement plus utile qu’un gadget, comme le fait remarquer la présentation du projet. On peut dire qu’il s’agit d’une manière citoyenne et solidaire d’actualiser l’habitude de faire des cadeaux.
Une autre pratique pourrait également se développer, surtout dans l’univers familial, si l’on veut mettre un certain frein à la surconsommation et à la monétarisation des pratiques de cadeaux et retrouver le sens du don. On offre ici des cadeaux gratuits, soit sous forme de promesse de service ou sous forme d’un cadeau réalisé soi-même, en fonction de ses talents particuliers. Dans l’un et l’autre cas, on donne peut-être davantage de soi que lorsque l’on met la main au portefeuille. Le papa pourra ainsi offrir à son fils une chasse au trésor, un bon pour la construction d’une cabane dans le jardin ou un bon pour lui apprendre à jouer aux échecs. A sa femme, il pourra faire le présent d’un petit déjeuner au lit et à sa belle-mère de l’initier à la pratique du courrier électronique. On peut aussi offrir à la génération des jeunes parents de garder leurs enfants pendant tout un week-end, histoire qu’ils puissent prendre un week-end en amoureux. Dans la gamme des cadeaux faits soi-même et selon les talents, on trouvera le pull tricoté à la main, les confitures ou un album reprenant les photos de toutes les générations de la famille. Les possibilités sont infinies.
Bref, sacrifier à l’habitude de faire des cadeaux parce que le don et l’échange ont un sens profond n’oblige pas nécessairement à consentir à une frénésie consumériste. Avec un peu d’imagination, le sens profond d’un cadeau s’en trouvera même davantage rejoint[vii]. 

 



[i] Fêtes de fin d’année, CRIOC, décembre 2010.

[ii] Citée dans Des chèques cadeaux dans la hotte du Père Noël, Le Monde du 22 décembre 2010.

[iii] Selon Antoine de Ridmatten, du cabinet Deloitte.

[v] Antoine de Ridmatten, in Le Monde du 22 décembre 2010.

[vii] Analyse rédigée par José Gérard

 

 

 

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