Analyse 2012-10

Longtemps, l’amour a été le sujet de prédilection des poètes, philosophes et psychologues. Aujourd’hui, la science s’en mêle et fait exploser les idéaux romantiques. Le sentiment amoureux ne serait qu’une histoire de phéromones et d’odeurs, l’être humain ne serait programmé que pour aimer trois ans, le temps de faire un enfant. Explications, analyse critique et pistes.

 

L’amour est la notion la plus universelle qui soit. Pourtant, les questions qui l’entourent sont multiples. D’où vient-il ? Comment fonctionne-t-il ? Dure-t-il toute une vie ? Quelle est sa place dans la société contemporaine ? Autrefois, le romantisme prônait le culte du chagrin d’amour, des passions destructrices et impossibles. Les mariages duraient toute une vie, car les époux subissaient les décisions de leurs familles. Aujourd’hui, face à une société de plus en plus hostile, froide et déstabilisante, l’individu rêve d’un amour tendre et caressant [1].


Paradoxalement, les couples qui durent se font de plus en plus rares. La probabilité de divorce est en hausse depuis plusieurs décennies. En 1960, elle ne s’élevait encore qu’à 6,7%. En 2009, les statistiques indiquaient qu’1 mariage sur 2 (50,6%) célébré en Flandre se terminerait par un divorce avant le 50ème anniversaire de mariage et que ce chiffre serait de presque 2 mariages sur 3 (64,3%) en Wallonie [2]. Le divorce a la cote. La simplification de la procédure de divorce en 1994 et la réforme du divorce en 2007 y contribuent certainement [3].

 

Le couple, ce produit de consommation

 

« Avec l’apparition d’Internet, des chats, forums, blogs et autres réseaux sociaux, une logique de consommation s’est développée », explique le sociologue Jean-Claude Kaufmann. « Dans cet hypermarché de l’amour, l’individu essaye alors de trouver le meilleur ‘produit’ possible. » Il est vrai que des sites de rencontre tels que ‘Meetic’ ou ‘rendez-vous.be’ poussent les internautes à croire qu’il est possible de trouver l’âme sœur en un simple clic. Le partenaire n’est plus qu’une marchandise. Il définit ses attentes, trie, jette, évalue. À force de comparer les partenaires de façon rationnelle, il rend, en fait, toute forme d’engagement impossible. Avec une offre aussi abondante, comment ne pas intégrer l’idée qu’il sera toujours facile de trouver mieux ailleurs [4]?

 

Le couple n’est pas un conte de fée

 

Les procédures de divorce s’étant allégées et l’offre de partenaires potentiels étant plus large, de nombreux couples démissionnent à la première difficulté. Ils se séparent sans apprendre à gérer les moments critiques, oubliant que les conflits surmontés développent, en fait, la complicité entre l’homme et la femme. Croire au conte de fée revient à se bercer d’illusions et d’attentes impossibles à combler. Le couple n’est pas une aventure simple. Il constitue un organisme vivant et nécessite des soins. La vie à deux propulse les partenaires sur des chemins chaotiques, l’amour étant un périple toujours incertain. Penser que l’amour seul permettra de surmonter tous les obstacles est une idée erronée. L’amour ne se suffit pas à lui-même. Un couple se tricote, maille par maille. L’amour est l’objectif du couple, non sa base.

 

L’amour dure 3 ans : le point de vue de l’écrivain Frédéric Beigbeder

 

Aujourd’hui, la science investit le domaine de l’affect. Un nouveau concept scientifique est ainsi venu pulvériser tous les idéaux amoureux et romantiques : d’après certains neurobiologistes, l’amour ne durerait pas plus de trois ans. L’homme serait programmé pour aimer le temps de faire un enfant et de l’élever. Selon cette théorie, l’amour ne serait donc qu’un processus chimique qui ne dure pas, un mécanisme du cerveau ancré dans les gènes. Son but ? Assurer la reproduction de l’espèce et permettre aux parents de rester ensemble pour la survie de leur enfant [5]. L’amour ne serait qu’une question de phéromones et d’ocytocine. L’ocytocine (l’hormone de l’amour) maintiendrait l’individu dans un état illusoire, lui  permettrait de ne pas voir les défauts de l’autre, et l’aiderait ainsi à créer rapidement un sentiment d’intimité avec lui, le temps d’avoir un enfant.

Selon cette théorie des trois ans – défendue par l’écrivain et critique littéraire Frédéric Beigbeder dans son roman « L’amour dure trois ans [6] » et par la neurobiologiste Lucy Vincent dans son ouvrage « Comment devient-on amoureux [7] » – les amoureux passeraient par trois phases :

La première année, c’est la passion. Les partenaires ressentent une certaine excitation, provoquée par l’euphorie des premiers temps. Ils ne perçoivent pas les défauts de l’autre, ce qui favorise le processus de reproduction, et donc la préservation de l’espèce. La deuxième année, les choses commencent à changer. C’est l’année de la tendresse. La troisième année, l’ennui s’installe et une désensibilisation s’opère. L’amour atteint sa phase terminale. L’enfant a trois ans. Il marche et peut se débrouiller seul. « La troisième année, vous ne vous retenez plus de regarder les demoiselles fraiches qui éclairent la rue. Vous ne parlez plus à votre femme. Vous passez des heures au restaurant avec elle à écouter ce que racontent les voisins de table [8] », conclut Frédéric Beigbeder.

 

L’amour peut durer toujours : le point de vue de philosophes et psychologues [9]

 

D’autres ne sont pas de son avis. « L’amour peut durer toujours », affirme le philosophe Alain Badiou, « mais il ne peut pas durer tout seul. » Le couple se travaille, s’entretient. L’amour est la construction à deux d’un monde qui n’existait pas auparavant. Ce n’est pas simplement un état psychologique dans lequel nous nous retrouvons plongés. C’est une œuvre qui a pour caractéristique irréductible d’être élaborée conjointement. Et surtout pas dans le « un » fusionnel, comme la mythologie, les romans ou les séries télé tentent de nous le faire croire. Il ne faut jamais tenter non plus de la rabattre sur le huis clos de la relation. La situation du couple est ouverte, car il lui faut constamment prendre position vis-à-vis du monde extérieur : quels liens entretiendrons-nous avec nos parents, avec nos amis ? Allons-nous avoir un enfant ? Quels voyages allons-nous faire ? C’est à partir de ce tissu de décisions prises ensemble que se définit une durée, une nouvelle continuation. Mettre fin au couple, c’est ne plus pouvoir continuer à prendre des décisions ensemble.

Auparavant, le divorce était mal vu. Les époux restaient ensemble pour préserver les apparences. Il y avait les mariages de raison, les mariages arrangés. Aujourd’hui, on se met en couple parce qu’on s’aime. Et pour que ça dure, il faut être déterminé à franchir les obstacles ensemble, ce qui n’est pas toujours aisé à réaliser dans la société actuelle. L’être humain n’aime pas les difficultés et fuit la souffrance. Alors, pour ne pas souffrir, il zappe. Pourtant, pour surmonter les obstacles et grandir, un couple passe inévitablement par la douleur.

Selon Alain Badiou, le temps qui passe n’use pas le couple. Bien sûr, l’intensité est très grande au début, puis décline. Le psychologue Yves-Alexandre Thalmann compare le coup de foudre à la prise de cocaïne ou d’héroïne. La dose finit toujours par ne plus provoquer les mêmes effets. Le corps s’y habitue. L’excitation du début ne dure donc pas. Mais ce plaisir que l’on a ressenti au début de la relation se transforme et s’entretient.

Comme l’explique le psychologue Yves Dalpé dans son livre « La puissance des amoureux de longue durée [10] », l’amour c’est aussi le plaisir de voir l’autre, l’envie d’être ensemble, d’échanger, de se comprendre. « Faire durer une histoire d’amour demande des efforts », explique Yves Dalpé. « Mais l’effort ne doit pas être permanent, et, surtout, nous devons en être les premiers bénéficiaires ! Il faut considérer que l'on est plus gagnant que perdant. Selon moi, rester longtemps en couple est un acte d’égoïsme. On reste parce qu’on se fait plaisir avant tout, pas pour faire plaisir à l’autre ! [11] » L’amour est une transformation. Voilà pourquoi il convient de se redéclarer sans cesse à l’autre, réaffirmer la force de l’aveu de notre amour au moment de la rencontre. Dire à l’autre : « je t’accepte tout entier tel que tu es et j’accepte de te laisser entrer dans ma vie. »

Lorsque l’histoire du couple évolue (on change de profession, on fait un enfant, on déménage), il va falloir ré-accepter l’autre. Car l’autre est étrange. On n’a jamais fini d’en faire le tour. Lors de chaque nouvelle situation de vie, il va falloir reconfirmer que c’est bien lui que nous avons pris dans notre vie, et personne d’autre.

 

Faire durer son couple : quelques pistes [12]

  • Se parler. Pour faire durer l’amour, il faut communiquer régulièrement, tranquillement, sans acrimonie. Pouvoir exprimer en toute franchise ses désirs. En couple il faut pouvoir demander, donner, recevoir et refuser.
  • Avoir une bonne image de son couple, et faire fructifier le positif de la relation. Lors des conflits, les émotions négatives ne doivent pas prendre le dessus. Ne pas considérer les obstacles comme des sujets de conflits, mais comme des nœuds à résoudre. Même en colère, il faut tenter de ne pas oublier qu’en face de soi se trouve la personne qu’on aime, et qui nous aime en retour. La réussite du couple doit être un objectif et pour cela, il faut y mettre du sien tous les jours.
  • Une sexualité épanouie. Pour faire durer l’amour, il convient de garder du contact, de l’intimité. De s’embrasser souvent et de se prendre dans les bras.
  • Ne pas s’oublier. Pour faire durer l’amour, mieux vaut ne pas être dépendant de son histoire d’amour. A vouloir trop plaire, on finit par s’oublier. On aime ce que l’autre aime, on accepte l’inacceptable pour ne pas créer de conflit. Conséquence : on devient sans saveur, sans relief. Vivre en couple, c’est apprendre à faire cohabiter deux intimités. Une intimité commune et partagée, une intimité personnelle et réservée.
  • Préserver sa liberté et en octroyer à l’autre. Pour se supporter jusqu’au bout, il faut pouvoir se séparer un peu, laisser sa liberté à l’autre et s’en accorder à soi aussi. La longévité du couple dépend de la qualité de vie personnelle de chacun des conjoints. Pour entretenir le désir pour l’autre, il est important de conserver une vie à soi, des projets personnels, des amis. Tout cela nourrit la relation.
  • Ne pas demander à l’amour de tout réparer [13]. Le couple permet de panser bien des plaies, mais il ne peut pas tout guérir. Ce n’est pas sa fonction première. Si l’un ne va pas bien et ne compte que sur l’autre pour réparer ses problèmes affectifs passés, cela ne peut pas marcher. Très vite, celui qui est trop sollicité va se sentir étouffé [14].
  • Privilégier le don de soi. La logique de l’amour, c’est le don de soi, explique Jean-Claude Kaufmann. Pour être heureux, il faut savoir cultiver le beau et le positif en toute chose : apprécier ce qu’on a et s’avoir s’abandonner. Une attitude en totale contradiction avec le modèle actuel qui pousse à la performance : on veut ce qu’il y a de mieux pour soi, on formule des attentes et l’on renonce si le conjoint ne se montre pas à la hauteur de nos exigences. La solution se trouve certainement dans l’art du dosage : savoir s'abandonner tout en gardant une vision critique pour ne pas s'enfermer dans une relation frustrante et insatisfaisante [15].
  • Une routine bien dosée. Trop de routine tue le couple. Mais la routine est aussi totalement indispensable, car elle simplifie la vie. C'est un système, un ensemble d'habitudes que l'on met en place au début d'une relation et qui fait que cela roule tout seul. La routine, c'est reposant mentalement pour le couple. Le problème, c'est quand il n'y a plus rien d'autre, quand on a l'impression de ne plus exister, de n'être qu'un rouage de la machinerie quotidienne. Il n'y a alors plus de place pour l'aspect vivant du couple : la communication, la complicité, les surprises...
  • Avoir une vision à long terme. Pour faire durer l’amour, il faut au préalable penser que son couple va durer et développer des projets d’avenir. Ce peut être un voyage, l’achat d’une maison, l’envie de faire un enfant, de développer ensemble un projet professionnel, de repeindre les murs de son appartement.

 

Conclusion

 

Auparavant, le domaine de l’affect, des sentiments, de l’amour et de la passion était réservé aux poètes, aux philosophes et aux psychologues. Aujourd’hui, la science s’en mêle et affirme que l’amour est implacablement condamné par le temps. Peut-on réellement prédire à l’amour une durée de vie fixe ? Certains couples durent trois mois, cinq ans, d’autres restent ensemble toute une vie. N’est-ce pas la preuve que l’humain échappe à un déterminisme biologique simple ? Selon la science, le couple ne serait qu’une construction biologique et sexuelle. Mais qu’en est-il de la construction affective et sociale ? De la notion d’attachement ? La théorie des trois ans ne confond-elle pas « amour » et « passion » ? L’amour n’est-il pas aussi, et surtout, question de décisions, d’éducation, d’entourage familial, d’idées reçues et de statuts ? N’existe-t-il pas une différence entre l’état amoureux et l’amour. Aimer, n’est-ce pas simplement avoir envie de construire [16] ?

 


[1] Jean-Claude Kaufmann, sociologue sur http://www.aufeminin.com
[2] http://statbel.fgov.be
[3] http://www.belgium.be/fr/actualites/2011/news_divorces.jsp
[4] http://www.aufeminin.com/psy-psychologues/interview-kaufmann-jean-claude-amour-d7996c156180.html
[5] http://www.psychologies.com/Couple/Vie-de-couple/Amour/Interviews/Pourquoi-l-amour-dure-trois-ans
[6] Adapté au cinéma en 2012 par Frédéric Beigbeder
[7] Lucy Vincent, Comment devient-on amoureux ?, Ed. Odile Jacob, 2004.
[8] Frédéric Beigbeder, L’amour dure trois ans, Ed. Grasset, 1997.
[9] http://www.psychologies.com/Couple/Vie-de-couple/Au-quotidien/Articles-et-Dossiers/Faire-son-bilan-de-couple/Il-faut-regulierement-se-redeclarer-a-l-autre
[10] Yves Dalpé, La puissance des amoureux de longue durée, Quebecor, 2010.
[11] http://quoi.info/actualite-societe/2012/08/28/lamour-dure-t-il-vraiment-trois-ans-1118903/
[12] http://www.psychologies.com/Couple/Vie-de-couple/Au-quotidien/Articles-et-Dossiers/Faire-son-bilan-de-couple
[13] Lire à ce propos le livre de Rose-Marie Charest, La dynamique du couple, Albin Michel, 2011.
[14] http://www.leparisien.fr/une/comment-faire-durer-son-couple-les-cinq-regles-d-or-14-02-2011-1314618.php
[15] http://www.aufeminin.com/psy-psychologues/interview-kaufmann-jean-claude-amour-d7996c156175.html
[16] Analyse rédigée par Isabelle Bontridder.

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