Analyse 2012-24

Benoit XVI a récemment mis en cause l’éducation contemporaine. En tant qu’association d’éducation permanente aux origines chrétiennes, Couples et Familles souhaite réagir à cette vision et préciser la manière dont elle conçoit son rôle éducatif.


Plus de place, ni pour Dieu, ni pour la vérité ?


Dans son  récent message de Noël, le Pape Benoît XVI a affirmé en substance que comme nous sommes totalement remplis de nous-mêmes, il ne reste aucun espace pour Dieu. Nous nous rendons ainsi maîtres du bien et du mal et nous nous enfermons dans « l’orgueil et la présomption d’agir par soi-même ». Quel espace alors pour les autres  ?


Pour « Couples et Familles », association qui considère l’ensemble des valeurs transmises par l’Evangile comme un fondement de ses références et de ses critères de réflexion, de telles paroles ne peuvent qu’interpeller. Or, d’autres paroles récentes de Benoît XVI avaient également interpellé. Le 13 décembre en effet, s’adressant à des ambassadeurs près le Saint-Siège, le Pape avait centré son discours sur ce qu’il considérait comme défauts dans les systèmes éducatifs contemporains. Jetant un regard critique sur l’éducation de notre époque, il avait affirmé : « L’autorité des enseignants est remise en cause, la famille et l’école ne semblent plus être le terreau fertile et naturel où les jeunes générations puisent la sève nourricière de leur existence. La compétence de certains enseignants n’est pas exempte de partialité cognitive et de carence anthropologique, excluant ou diminuant la vérité sur la personne humaine. L’école et l’université semblent être devenues incapables de projets créateurs portant en eux une téléologie transcendantale. » Il avait encore insisté sur le fait que, « De nos jours, dire le vrai est devenu suspect, vouloir vivre dans la vérité semble suranné et la promouvoir semble être un effort vain » .


Comment entendre de telles exhortations, voire de telles mises en cause ?


Qui est visé ?


Nous pouvons évidemment ressentir ces exhortations comme destinées « urbi et orbi » - à la ville et au monde -, et donc nous estimer assez proches, et nos lecteurs avec nous, de l’institution ecclésiale pour ne pas nous sentir concernés. Ces paroles ne s’adresseraient en quelque sorte qu’à celles et à ceux qui sont étrangers au monde catholique, ou peut-être à l’ensemble du monde chrétien.


Mais nous sentons-nous vraiment à ce point proches de l’Institution, notamment dans toute une série de ses positions relatives aux couples et aux familles ? Souvent, nous sommes critiques vis-à-vis de ce qu’elle considère comme allant de soi, et il arrive régulièrement que nous ne partagions pas ses prises de position. Le risque n’est peut-être pas absent alors de rejeter en bloc tout ce qui vient d’elle. Nous ne croyons pas tomber dans ce piège. Nous ne reprochons même pas à l’Institution ecclésiale de croire en ce qu’elle croit, de le rappeler et d’argumenter sa position. Gaston Falisse, une des chevilles ouvrières de l’association dans les années 50 - l’association portait alors nom de « Feuilles Familiales » -, croyant fervent et catholique pratiquant, disait qu’il ne refusait pas au Pape le droit de s’exprimer, mais qu’il ne lui permettait pas de refuser à Gaston Falisse le droit de parler ensuite. Une manière sans doute d’affirmer ce que le Concile Vatican II formulera quelques années plus tard, lorsqu’il précisera théologiquement, dans « Dignitatis Humanae »  le concept de liberté religieuse.


Croire aux « croyants autrement »


Revenant sur l’importance de ce concept, le théologien jésuite français Kristof Théobald  précisait très récemment à son propos que « L’obligation morale ne porte donc pas immédiatement sur l’adhésion à la vérité catholique, mais sur la recherche responsable de la vérité. Comment chercher la vérité de manière responsable, dans le dialogue et le débat avec l’autre, dans un régime politique qui l’imposerait toute faite ? La « liberté religieuse » est définie par le Concile comme « immunité de toute contrainte », que cette contrainte soit imposée par la société, par telle communauté ecclésiale ou par telle religion. Elle est la marque la plus grande de la « dignité humaine » et la condition de toute vie religieuse et de toute foi authentique. Les conséquences d’une telle affirmation dans les relations des chrétiens avec les « croyants autrement » et pour la vie quotidienne dans la société moderne sont considérables  ».


Se poser les bonnes questions


Par ailleurs, les objectifs de l’association sont d’abord d’éducation permanente au service des couples et des familles, et donc d’apporter aux personnes, aux conjoints et aux parents, non pas des injonctions ou des recettes, mais des analyses qui leur permettent de se poser les bonnes questions, et des éléments susceptibles d’y répondre en meilleure connaissance de cause. Cette démarche, si elle se réfère à une perception de l’humanité en lien avec un sens qui la transcende, et qui trouve une déclinaison dans le message évangélique, n’est pas et n’a pas à être une démarche de transmission de cette conviction.


L’espace « pour  les autres » est dès lors une préoccupation qui imprègne tant que faire se peut les outils, études et analyses, que produit « Couples et Familles » au fil des ans. La relation et la communication forment les thèmes essentiels de notre action. « L’autre », c’est celui avec qui et grâce à qui je suis ce que je suis, que ce soit dans le couple, au sein des familles comme dans la confrontation de ces cellules de vie avec le monde qui les entoure.


« Dieu, personne ne l’a jamais vu » affirme St Jean , et il poursuit «  le Fils unique, qui est dans le sein du Père, c'est lui qui a conduit à le connaître ». Jésus a en effet introduit, dans la réflexion humaine sur la transcendance et sur le sens de la vie, cette foi en un Dieu, qui est Père aimant. Il est vrai que ce n’est pas rien de nous considérer comme né pour aimer et pour être aimé. Voilà de quoi regarder la vie avec d’autres yeux. Mais cela dit, qui pourrait dire « la vérité » sur Dieu ?


Quand Dieu se cherche – ou se perd ? – dans les grammaires


Il est à ce propos piquant de relever la polémique théologico-grammaticale que vient de soulever en Allemagne la suggestion de la ministre de la Famille, Kristina Schröder, d'accorder à Dieu une neutralité grammaticale plutôt que le genre masculin. A l'hebdomadaire « Die Zeit » qui lui demandait comment elle expliquait à sa fille le recours à l'article masculin "der" pour désigner Dieu, elle avait en effet répondu que l'article n'avait pas d'importance, et elle avait ajouté qu'on pouvait se servir tout aussi bien du "das" neutre. Cela a provoqué une polémique. Certains se sont dits consternés. Christine Haderthauer, la ministre des Affaires sociales du land de Bavière, pourtant du même parti que Kristina Schröder, a même parlé de « sottise intellectuelle qui laisse sans voix ». Par contre, Steffen Seibert, porte-parole de la chancelière Angela Merkel, également du même parti, a dit que pour qui croit en Dieu, l'article n'a pas d'importance et que les prières seront exaucées quelle que soit la manière dont on s’adressait à Lui.


Pas certain que c’est ce type « d’espace pour Dieu » auquel pensait Benoît XVI lorsqu’il prononçait son message de Noël. Il a dû toutefois réagir culturellement autrement que les francophones, et donc latins que nous sommes, qui ne connaissent pas, comme l’allemand et d’autres langues germaniques, un article qui désigne personnes ou objets qui ne sont pas attribuables à un genre donné. Ainsi, près de nous, chez nos concitoyens néerlandophones, l’article « het », qui peut sans polémique, que nous sachions, parler de «  het God », le Dieu, comme on parle de « het Kind », l’enfant.


Fausse querelle qui réduit Dieu à un article, mais qui montre aussi que les questions de langues et donc de cultures peuvent induire un mode de penser spontanément différent, même si elles laissent intactes les questions fondamentales. Car si l’on pousse plus loin la réflexion sur ce neutre des articles qui n’existe pas dans les langues latines, c’est que, en français par exemple, le « il », pronom personnel masculin, est en fait un masculin et un neutre à la fois. En effet, pas plus qu’en néerlandais le mot « enfant » ne permet de savoir s’il s’agit d’une fille ou d’un garçon. Et « il » quand on parle de Dieu alors ? Comme quoi, si les grammaires, de quelque langue qu’elles soient, peinent à traduire des vérités ‘éternelles’, ce n’est pourtant que dans les différentes cultures qui sont les leurs que l’homme et la femme peuvent tenter de rendre leur  vérité communicable à autrui.


Une recherche collective et responsable de la vérité


Que ce soit aux catholiques et aux chrétiens du monde entier, aux associations proches de l’Eglise catholique, ou à tous les humains « par la ville et le monde » qu’il s’est adressé, Benoït XVI se place-t-il bien dans la ligne de ce que Christoph Theobald appelle cette « recherche responsable de la vérité » à laquelle Vatican II appelait toutes les femmes et tous les hommes ?


Nous osons croire que telle était son intention. Mais s’il s’inclut, et donc l’Eglise catholique avec lui, dans son affirmation selon laquelle Dieu vient « nous sauver surtout du mal profond, enraciné dans l’homme et dans l’histoire », et peut-être sommes-nous toutes et tous d’une manière ou l’autre sous l’emprise de ce mal, pourquoi alors stigmatiser de manière extérieure un « on » collectif qui remettrait en cause l’autorité des enseignants, qui ferait en sorte que la famille et l’école ne seraient plus « le terreau fertile » pour les jeunes générations, ou pour qui « le vrai » serait devenu suspect et « la vérité » surannée ? Pourquoi suspecter la compétence de « certains enseignants » et jeter sur eux l’opprobre - et qui sont-ils donc ? -, ou dénoncer ce qui serait « l’incapacité » de l’école et de l’université d’envisager encore une recherche de sens qui ne soit pas confinée en l’humain ?


Comme association d’obédience chrétienne, « Couples et Familles » se sent concernée et interpellée lorsque l’Institution se fait attentive aux manques évidents de nos sociétés, et qu’elle les dénonce «  Urbi et Orbi ». Toutefois, il lui manque souvent d’entendre cette Institution porter sur elle-même un regard pareillement critique et déceler également, dans l’esprit du Concile Vatican II,  les volontés « de recherche vraie et responsable de la vérité » qui œuvrent dans le monde, au sein comme en dehors de L’Eglise catholique, au sein comme en dehors du christianisme, au sein comme au dehors des religions. Si le Dieu de tendresse dont Jésus-Christ est venu témoigner existe, il l’est pour tous les humains de tous les lieux et de tous les temps, et c’est dans une alliance bienveillante et solidaire avec eux tous qu’il nous faut affronter nos manquements. C’est  ce à quoi s’engage « Couples et Familles » année après année .

 

 


[1] < http://fr.radiovaticana.va/articolo.asp?c=549442 >
[2] < http://info.catho.be/2012/12/13/severe-requisitoire-du-pape-contre-leducation-contemporaine/ >
[3] < http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_decl_19651207_dignitatis-humanae_fr.html >
[4] Jésuite. Titulaire d'un doctorat de l'Université de Bonn en 1986. Il enseigne depuis 1981 la théologie et la dogmatique au Centre Sèvres à Paris. Voir sa bibliographie sur < http://www.centresevres.com/upload/file/Bibliographie_complete_de_Christoph_Theobald_sj.pdf >
[5] Voir l’ensemble de l’article sur < http://www.croire.com/Definitions/Vie-chretienne/Vatican-II/Les-grandes-avancees/L-enjeu-de-la-liberte-religieuse >.
[6] Jn 1, 18
[7] Analyse rédigée par Jean Hinnekens.

 

 

 

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