Analyse 2012-29

Le traditionnel discours de Noël du Roi, qui évoquait le danger des discours populistes, a provoqué des remous. Comment les familles peuvent-elles éduquer leurs enfants à une approche de la réalité qui évite le rejet de l’autre ?


Une polémique qui ouvre à réflexion


Comme chaque fin d’année à l’occasion des fêtes, le Roi s’est adressé à la population . Son discours n’est pas passé inaperçu. Les uns y ont vu une démarche d’humanisme, là où les autres  ont vu une volonté de stigmatisation. C’est dire qu’il a touché des sensibilités différemment réceptives aux mêmes affirmations.


Il n’entre pas dans les intentions de « Couples et Familles » d’entrer dans cette polémique, mais bien, à l’occasion de ces débats et même parce qu’ils ont été suscités par un seul paragraphe de ce discours, d’analyser en quoi et comment, au sein des démarches d’éducation familiale, il importe de traquer sans cesse les stigmatisations que l’on fait à propos d’autrui.


Qu’a dit le Roi en ce cinquième point de son discours  incriminé par d’aucuns ?


« En ces temps perturbés que nous vivons, soyons vigilants, et montrons-nous lucides face aux discours populistes. Ils s’efforcent toujours de trouver des boucs émissaires à la crise, qu’il s’agisse de l’étranger ou des habitants d’une autre partie de leur pays. Ces discours existent aujourd’hui dans de nombreux pays européens et aussi chez nous. La crise des années 30 et les réactions populistes de cette époque ne doivent pas être oubliées. On a vu le mal que cela fit à nos démocraties. »


Le virus des identités meurtrières


C’est bien sûr la crise des années 30 qui a été le contexte générateur des événements dramatiques qui l’ont suivie, et les populismes  qu’elle a générés en ont été le terreau que l’on sait. Toutefois, c’est dans les peurs souvent égoïstes ou à tout le moins égocentriques des populations que les populismes fermentent,  des peurs qui se répandent comme des épidémies infectieuses, infectant une partie de plus en plus significative des personnes, et qui risquent dès lors de faire basculer les majorités démocratiques dans des sociétés d’exclusion et d’identités meurtrières comme les a qualifiées Amin Maalouf.


Les maladies infectieuses peuvent certes se soigner quand les premiers symptômes se manifestent. Encore faut-il un juste diagnostic, des antibiotiques adaptés et suffisamment efficaces pour les combattre et aider celles et ceux qui en sont atteints, mais aussi des mesures prophylactiques  d’hygiène adéquates pour l’ensemble de la population. Peut-être est-ce à cela qu’a songé le Roi avant de prononcer son discours. Mais y a-t-il maladie ? Etait-il temps d’intervenir à un niveau prophylactique ? Ce n’est pas à nous d’en juger ici.


Par contre, ce dont l’association « Couples et Familles »  est convaincue, c’est qu’une vaccination préventive est bien plus susceptible d’éviter les épidémies, que le contexte soit de crise ou non. C’est en effet dans les zones obscures de chacune et de chacun que se logent l’intolérance et l’appropriation égoïste, source de  ces populismes démagogues qui menacent toute démocratie : la peur de l’autre et la recherche d’un pouvoir identitaire avec pour objectifs prétextés d’éradiquer cette peur en soumettant tout qui ne se courbe pas sous son joug.


Ce vaccin préventif et efficace, c’est l’éducation aux autres, et c’est d’abord dans la famille que cela s’apprend.


L’autre sexué


Il y a, d’abord et avant tout peut-être, parce qu’y contrevenir pèse sur les relations dans toutes les familles, dans tous les groupes sociaux et sur l’ensemble de la Société, l’égale dignité et l’égale citoyenneté de tout humain, quel que soit son sexe ou son orientation sexuelle.


Eduquer à cela, au sein des familles comme des établissements scolaires à tous les niveaux, peut nous sembler chose acquise dans notre pays, puisque ces principes sont inscrits dans la loi. Est-ce aussi évident dans le vécu des personnes  ?


Il est vrai que dans nombre de familles, aujourd’hui bien plus qu’hier, le travail professionnel comme les travaux domestiques sont l’apanage des hommes comme des femmes. Toutefois, et dans un pan encore trop important de la population, les hommes partagent encore l’opinion, quand ce ne sont pas les femmes elles-mêmes, que les hommes sont d’une manière ou l’autre supérieurs aux femmes. Même si c’est de l’ordre de l’intime conviction plus que d’un raisonnement basé sur des éléments et des faits tangibles, c’est encore ce qui imprègne le quotidien de bien des femmes. Si nombre d’exemples pourraient illustrer cet écart entre l’esprit des lois et les inégalités toujours prégnantes entre femmes et hommes, les  phénomènes récurrents de femmes battues au sein même des familles, ou encore de mariages forcés dans certaines couches de la population, soulignent de manière particulièrement dramatique les efforts encore à réaliser.


D’une manière peut-être plus large encore, une sexualité qui n’est pas naturellement orientée vers le sexe opposé est considérée comme déviante ou anormale. Si la reconnaissance de l’homosexualité est aujourd’hui, chez nous, un fait de droit contrairement à la plupart des pays encore, les mentalités n’ont que peu évolué en conséquence. Il ne s’agit pas de prétendre que l’homosexualité ne pose aucune question, mais les personnes qui se vivent telles n’ont pas à souffrir de ce qu’elles ressentent comme étant leur être profond, quelles qu’en soient les causes.


Il s’entend dès lors que le mode de relation des parents, comme les comportements envers et au sein des fratries influenceront les perceptions des enfants. C’est toute la « culture familiale », car c’est bien d’un regard culturel dont il est question, qui s’imprègnera de ce vécu quotidien et qui inspirera toutes conversations et commentaires autour de ces thèmes, de même que les comportements des membres de la famille à l’extérieur.


L’autre handicapé


Il y a ensuite la perception de ce qu’est la normalité. C’est convaincu de l’efficacité pédagogique de l’approche par la déconstruction du concept de normalité qui nous fait écrire cela. C’est en effet dans les multiples  caractéristiques qui nous différencient que peut être perçu l’égale dignité d’aimer et d’être aimé qui habite chacune et chacun de nous.


Nous sommes plus petits ou plus grands, blancs, basanés ou noirs de peau, myopes, dyslexiques, droitiers ou gauchers… les exemples sont à l’infini de caractéristiques qui nous conviennent et dont nous sommes même fiers sans que nous en ayons pourtant le moindre mérite, ou qui nous contrarient ou même nous affligent.


Même quand la famille n’est confrontée en son sein à aucune caractéristique plus pesante, une telle approche des différences permet d’aborder autrement la question des handicaps, qu’ils soient de naissance ou d’accident.


Ne pas y être confrontée aujourd’hui ne lui est en effet pas garant qu’elle ne le sera jamais. Que survienne l’inattendu qui fait mal, et bien que lourd à porter, le handicap qui survient ne sera pas reçu comme une perte de dignité.


Par ailleurs, même exempte de toute confrontation à des handicaps sévères, la « culture familiale » s’imprègnera de cet autre regard sur le « différent », qui ne privera en rien de sa digité d’aimer et d’être aimé.


L’autre qui est d’ailleurs


De la même manière, la « culture familiale » sera fécondée par sa façon d’appréhender les différences de langue et de culture, et elle influencera le regard porté sur qui parle et sur qui pense autrement.


Une famille où il est de bon ton de stigmatiser qui parle, qui pense ou qui vit autrement cultivera, sans le savoir peut-être, les germes de populisme qu’évoque le discours royal. Le populisme se construit en effet d’abord sur une perception identitaire de ce que nous sommes et dont les autres sont exclus. Que le contexte sociétal se fasse plus difficile et dès lors plus controversées les politiques à mener, et le terrain est préparé pour cette autre caractéristique du populisme : rechercher hors de soi les responsables de ces difficultés. Suivant les cultures identitaires inoculées par l’éducation, et donc dans les familles, ce « bouc émissaire  » se trouvera dans « l’autre », qu’il soit l’étranger, celui de l’autre classe sociale, celui de l’autre religion ou encore celui de l’autre langue.


Au contraire, la famille au sein de laquelle s’exerce une conscience critique qui analyse les causes des événements et des comportements, et qui cultive la perception des richesses de partages et de rencontres que constituent les relations avec des personnes d’autres langues, d’autres convictions ou d’autres cultures, génère un regard ouvert sur l’autre. Une telle famille fera siennes et se reconnaîtra par exemple dans les paroles de la chanson de Maxime Leforestier « Être né quelque part » , dans laquelle il affirme :


« Etre né quelque part
Etre né quelque part
Pour celui qui est né
C'est toujours un hasard »,


conviction qui conduit à une autre prise de conscience :
« Est-ce que les gens naissent
Egaux en droits
A l'endroit
Où ils naissent ? » 


L’autre semblable à moi


Eduquer à regarder l’autre dans son être profond, unique et irremplaçable comme l’est chaque humain qui voit le jour, c’est aussi prémunir contre toute dérive sociale qui cherche ses appuis sur le rejet quand ce n’est pas dans la haine de l’autre.


L’Europe, construite pour coaliser ces différences au sein du vieux continent, ne peut retrouver souffle que dans de tels regards.


De ce 28 décembre au 2 janvier 2013,  la 35e rencontre européenne de Taizé a lieu à Rome. Il est de coutume à cette occasion, que de nombreux chefs d’Eglises et responsables politiques envoient un message aux participants. Herman van Rompuy, président du Conseil européen, n’y a pas dérogé et, dans son message, il a souligné combien, pour lui, «  c’est en réalité lorsque nous perdons nos croyances que commence notre foi, une foi qui nous lie, qui nous re-lie à l’Autre et aux autres, au « frère-étranger », différent de nous en tant qu’autre, irréductiblement ».


Les paroles et Maxime Leforestier et celles d’Herman van Rompuy : deux beaux thèmes de partage en famille, deux références pour une « culture familiale » d’accueil de l’autre et d’écueil pour les populismes qui auraient tendance à refaire surface et à réveiller des souvenirs de fort triste mémoire .

 


 

[1] < http://www.monarchie.be/frt >
[2] Bien que le concept de populisme soit parfois mis à toutes les sauces, et souvent comme synonyme de démagogie, il faut l’entendre ici dans le sens de visées politiques qui, bien que prétendant rendre le pouvoir au peuple sous prétexte qu’il serait accaparé par ceux qui gouvernent, cherchent à accaparer ce pouvoir de manière autoritaire, en supprimant les structures intermédiaires - président de république, roi, parlements … - souvent en faveur d’un parti, voire d’une personnalité sensés représenter la véritable sensibilité et les véritables intérêts de la population.
[3] Qui préserve la santé de tout ce qui pourrait lui être nuisible
[4] le mécanisme du « bouc émissaire »  consiste en l’accusation d’un individu ou d’un groupe minoritaire d’être la cause des maux dont souffre la société dans son ensemble.
[5] < http://www.paroles-musique.com/imprim.php?id=14902 >
[6] Analyse réalisée par Jean Hinnekens.

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