Analyse 2012-32

Les examens prénataux permettent de déceler les éventuelles anomalies présentes chez le fœtus. Or, ces examens prénataux ne comportent pas que des avantages. Le dépistage qu’ils permettent est parfois porteur de risques pour l’enfant à naître et de stress chez la mère, sans oublier qu’il suscite un questionnement éthique.


Qu’est ce que le diagnostic prénatal?


Si le désir d’enfanter est commun à une grande partie de l’humanité, l’inquiétude que la grossesse peut engendrer et le souci des parents de mettre au monde un enfant sain, correspondant à leurs idéaux, le sont tout autant. Afin de remédier à cette inquiétude, la médecine n’a de cesse de se perfectionner. C’est dans ces conditions que le diagnostic prénatal voit le jour, dans le but de réduire l’inquiétude des parents en permettant aux médecins de déceler les anomalies au stade fœtal.


Ce type d’examen médical comporte en effet plusieurs avantages. Il permet notamment de s’assurer que tout est en ordre au niveau du placenta car, si ce dernier est mal placé, il risque de provoquer la mort de la mère lors de l’accouchement. Le test prénatal, en révélant cette anomalie, donne la possibilité au médecin de remédier au problème et de sauver ainsi à la fois la vie de la mère et celle de l’enfant.


De plus, il arrive également que le bébé subisse un arrêt de croissance au sein de l’utérus de la mère, ce qui provoque la nécrose de certaines cellules cérébrales et la destruction de différents organes comme les intestins. L’examen prénatal, en révélant cette interruption dans la courbe de croissance de l’enfant, prévient ces risques et si le développement du bébé a atteint un stade suffisant, il est possible de le faire naître avant terme afin qu’il poursuive sa croissance dans une couveuse.
Ces diagnostics prénataux, offerts en priorité aux parents « à risques », c’est-à-dire aux mères de plus de trente-huit ans ou encore aux parents ayant des antécédents de maladies génétiques ou héréditaires, se sont, petit à petit, étendus aux autres couples toujours plus soucieux du bien-être de l’enfant à naître.


Cependant, si les avantages de ces examens suscitent l’engouement et la demande de plus en plus accrue des parents, il est bon de noter que rares sont ceux qui ont conscience des risques que de tels examens peuvent engendrer. 


Ainsi, il est nécessaire de distinguer deux catégories d’examens prénataux: d’une part, ceux que l’on qualifie de non invasifs, c’est-à-dire sans risque pour le fœtus et la mère et, d’autre part, ceux qui, a contrario, sont dits invasifs et présentent, dès lors, une série de dangers pour les sujets en présence.


Parmi les examens non invasifs, on retrouve l’échographie qui permet de déterminer l’âge du fœtus et de s’assurer de son bon développement. L’échographie rend également possible le repérage d’anomalies morphologiques comme les malformations cardiaques, l’atrophie de certains membres ou encore la présence d’éventuelles tumeurs.


Un deuxième examen non invasif consiste en ce que l’on nomme l’embryoscopie. Il s’agit de l’examen endoscopique de l’embryon à travers le col de l’utérus de la mère. L’embryoscopie permet de diagnostiquer des anomalies plus graves de la tête et des membres ainsi que certaines maladies liées à l’hérédité.


Enfin, troisième examen prénatal ne comportant aucun risque, le triple test. Il consiste en l’analyse des marqueurs sériques qui permettent de révéler la présence de maladies comme la trisomie 21.


Si ces trois types d’examens donnent la possibilité au médecin de renseigner les parents en toute sécurité, ce ne sont pas les seuls tests prénataux qui sont pratiqués. Il existe en effet des examens plus risqués qui, quant à eux, permettent de détecter des pathologies de type génétique ou chromosomique.


Parmi ceux-ci, on réfère notamment la choriocentèse. Cet examen consiste à effectuer un prélèvement dans la double enveloppe protectrice qui entoure l’enfant dans l’endomètre. Ce prélèvement permet au médecin de se procurer une petite quantité d’ADN du bébé, grâce à laquelle il vérifie si l’enfant est ou non porteur d’anomalies chromosomiques. C’est notamment par le biais de la choriocentèse que certaines maladies de sang et d’autres maladies héréditaires sont diagnostiquées. Cet examen permet également de déterminer à l’avance le sexe du bébé. Cependant, s’il paraît intéressant à divers points de vue, il faut également préciser qu’il n’est pas sans risque puisqu’il arrive que la choriocentèse soit suivie d’une fausse couche dans 1% des cas.


L’amniocentèse est un deuxième examen invasif. Il consiste à prélever un peu de liquide amniotique et s’effectue toujours sous contrôle échographique. C’est un examen qui est souvent conseillé aux femmes dont la grossesse est tardive (après trente-huit ans) et aux parents ayant des antécédents familiaux ou dont les premiers examens non invasifs ont révélé des anomalies. Comme dans le cas de la choriocentèse, le risque d’interruption de grossesse tourne aux alentours des 1% à 2%.


Bien que ce pourcentage ne semble pas très élevé, il faut cependant garder à l’esprit que, étant donné le nombre croissant de demandes de diagnostic prénatal de la part des parents, « on voit mourir deux à trois enfants [« normaux »] au cours d’une fausse couche due à l’amniocentèse [ou la chorio-centèse] pour un seul enfant [« anormal »] dépisté ».(TOUSSAINT Renée, « Diagnostic prénatal : quelle finalité? »)


Plus encore, le risque est non négligeable car le nombre d’enfants sains évalués positifs lors du dépistage s’élève à 5% et à la suite de ce diagnostic erroné, une mère peut demander une interruption de grossesse pour un enfant qui en réalité est en parfaite santé, ce qui d’un point de vue éthique est loin d’être évident.


Enfin, il existe encore un autre examen invasif qui s’effectue au stade prénatal. Il s’agit de la cordocentèse. Cet examen consiste en un prélèvement sanguin à même le fœtus, et ce, via le cordon ombilical. Grâce à ce test, il est possible de détecter des altérations chromosomiques, des maladies de peau mais aussi les cas d’hémophilie ou d’hépatite, la rubéole ou encore la toxoplasmose (maladie bénigne essentiellement liée aux excréments de chats ou de lapins mais qui, chez la femme enceinte, peut provoquer la mort de l’enfant), le VIH et les infections congénitales. Comme pour les examens précédemment décrits, le risque de perte du bébé s’élève à 2%.


Le stress parental et le devoir de « bien faire »


Nous pouvons donc nous en rendre compte, le diagnostic prénatal n’est pas sans risque et peut causer la perte de l’enfant. D’autant que s’il permet de prévenir les maladies et de traiter certaines d’entre elles in utero, la plupart des anomalies détectées sont inopérables et entraînent souvent une interruption de grossesse.


En effet, lorsque les examens prénataux se révèlent positifs et qu’il n’existe aucune possibilité de traitement pour les pathologies dépistées, les parents sont confrontés à un choix délicat qui provoque inévitablement un stress difficilement surmontable chez la femme enceinte.


Deux possibilités s’offrent aux parents: soit ils décident en connaissance de cause de garder leur enfant malgré les problèmes médicaux que cela risque d’entraîner, ou bien ils se préparent à interrompre volontairement la grossesse et se résignent alors à perdre définitivement l’enfant à naître.


Pour les parents, l’idée même de passer le test, alors qu’ils n’ont pas encore pris connaissance des résultats, est déjà en soi, porteuse d’une augmentation du niveau de stress et ce, plus particulièrement chez la mère. Ce stress se compose à la fois de la peur qui précède souvent une intervention médicale, mais aussi de l’incertitude quant aux résultats à venir. Le doute qui s’immisce dans l’esprit des parents quant à la « normalité » de l’enfant à naître, couplé au danger de perdre l’enfant à la suite d’une mauvaise réaction à l’examen ou encore à l’éventualité de devoir prendre une décision radicale si les résultats du test se révèlent positifs, constituent une augmentation inévitable de leur anxiété.


Le choix est, en effet, ardu et ne peut que tourmenter les parents tiraillés entre leur amour naissant pour l’enfant à venir et leur sens du devoir « bien faire » afin d’éviter ses souffrances futures. Les parents confrontés à ce genre de situation se posent de nombreuses questions: ont-ils le droit de donner naissance à un enfant destiné à souffrir toute sa vie? Destiné peut-être à mourir jeune? Ont-ils une capacité financière suffisante pour élever un enfant dont le traitement nécessitera de nombreux soins, de multiples interventions médicales? Ont-ils l’endurance nécessaire pour souffrir et voir souffrir celui qu’ils aimeront plus que tout au monde? Toutes ces questions vont aiguiller leur choix quant à la poursuite ou à l’interruption de la grossesse. Mais les parents, quelle que soit la solution pour laquelle ils optent, devront également se préparer à la culpabilité qui les rongera inévitablement, et ce , quelle que soit leur décision.


S’ils tranchent en faveur de l’avortement, ils doivent dès lors vivre avec la mort de leur enfant sur la conscience. Au contraire, s’ils décident de garder l’enfant envers et contre tout, ils doivent se préparer à l’arrivée d’un bébé en mauvaise santé. Les parents doivent s’accoutumer au fait qu’ils seront en quelque sorte responsables des souffrances de l’enfant à venir, du possible rejet de la société dont il sera victime, etc.


La culpabilité ressentie par les parents est donc double tout d’abord lorsqu’ils décident de passer ou non le test prénatal, et par la suite lorsqu’ils détiennent le pouvoir de vie ou de mort sur leur enfant.


Pour cette raison, il est indispensable que les médecins, avant toute procédure, fournissent toute l’information nécessaire aux parents, afin que ces derniers puissent prendre leur décision en connaissant à la fois les avantages et les risques liés aux examens prénataux, mais aussi les cas où il est possible d’intervenir in utero et ceux où rien n’est envisageable pour soigner l’enfant. Il leur faut connaître les contraintes et les conséquences que les résultats positifs pourront éventuellement entraîner, que ce soit au niveau du stress engendré ou du poids des décisions à prendre. Ce n’est qu’en étant entièrement renseignés que les parents pourront s’accorder librement, et (en toute connaissance de cause) le choix de consentir ou non aux examens prénataux.


Les enjeux éthiques: peut-on envisager un nouvel eugénisme?


Si le diagnostic prénatal pose question au niveau médical et engendre du stress chez les parents, il est aussi au coeur d’un questionnement éthique sur l’acceptation de l’anormalité dans notre société occidentale contemporaine.


En effet, si l’examen prénatal a pour fonction initiale de déceler les anomalies du bébé en vue de préparer les parents à la situation, elle provoque souvent l’interruption de la grossesse sur laquelle plane un doute quant à la « normalité » du fœtus.


Aujourd’hui, nous vivons dans une société où, malgré les diverses avancées scientifiques et sociales, malgré l’ouverture d’esprit de plus en plus grande qu’on ne cesse de prôner, la normalité et l’idéal de beauté règnent en maîtres absolus. Notre monde est gouverné par les stéréotypes et les préjugés. Quel que soit son degré d’intensité, le handicap est une anomalie de plus en plus mal acceptée. Mal acceptée d’abord car elle est porteuse d’une différence, parce qu’elle représente une insulte au culte que notre société voue à la beauté; mal acceptée ensuite pour des raisons économiques, car la prise en charge des personnes handicapées coûte cher à l’Etat sur le plan de la santé mais également au niveau de l’aide sociale à apporter à la personne porteuse de déficience.


A ce titre, le diagnostic prénatal semble être devenu un outil de prévention servant à lutter, ou du moins, à minimiser la naissance d’enfants handicapés, mal acceptés socialement mais servant également à réduire les coûts de l’Etat.


Mais peut-on réellement accepter cette dérive? Peut-on vraiment concevoir qu’un examen médical, initialement prévu pour sauver des vies, en vienne à devenir un outil de sélection, l’instrument d’une société qui exclut tout ce qui déroge de près comme de loin à la normalité devenue la norme mondiale?! Là se situe tout l’intérêt d’un questionnement éthique autour du diagnostic prénatal.


Pour certains, cet eugénisme médical qui vise à éviter les souffrances de l’enfant cache un eugénisme plus grand et plus destructeur qui viserait à éradiquer le handicap.


Peut-on aujourd’hui accepter la naissance d’un enfant qui, non seulement ne correspond pas à l’idéal fantasmé mais qui, plus encore, est un être « imparfait » dans une société où toute imperfection est irrecevable? Interrompre une grossesse sous prétexte que l’enfant à naître ne sera pas l’enfant rêvé, sous prétexte qu’il sera atteint d’une déficience le rendant différent par rapport aux autres membres de la société, est-il un acte acceptable? Interrompre une grossesse pour cause d’une anomalie rendant l’enfant différent, n’est ce pas une atteinte à ceux qui, vivant avec leur handicap, se battent chaque jour pour être acceptés, intégrés? N’est-ce pas une façon de déclarer à ces personnes qu’ils auraient mieux fait de ne pas venir au monde?


Toutes ces questions sont complexes et il y a controverse au sein de la société. D’une part, certains voient le diagnostic comme une aide aux parents et à l’enfant atteint, alors que d’autres perçoivent l’examen prénatal comme un outil menant à l’euthanasie médicale de fœtus handicapés. Pour les parents concernés par le choix délicat de vie ou de mort sur l’embryon, la pression est encore plus grande car ils doivent choisir entre la prévention d’une grande souffrance future pour leur enfant et l’irresponsabilité dont ils seront accusés par la société s’ils décident de mettre au monde un enfant handicapé.


L’inquiétude des gens et leur tourment face aux différentes questions abordées témoignent de leur peur d’une telle dérive vers l’intolérance collective envers les personnes déficientes. Le simple fait que les gens envisagent un débat autour de ce sujet délicat laisse supposer une rébellion contre cette forme de discrimination sociale et démontre qu’il existe une volonté collective de réfléchir sur ce thème et de prendre conscience des différents enjeux qu’il peut entraîner. Nous sommes donc, heureusement, loin de l’eugénisme pur et dur et bien qu’elle soit mince, la frontière entre la prévention et la sélection reste néanmoins marquée dans l’esprit de la population. Les décisions que prennent les parents ont certes un impact individuel sur leur propre vie et sur celle de l’enfant à naître. Mais elles ont aussi des répercutions collectives puisqu’elles engagent l’avenir de la société et l’éventuel développement d’une intolérance sociale à la différence. En ce sens, il est intéressant de susciter et de suivre le débat autour du diagnostic prénatal afin de voir la direction qu’il prendra dans les prochaines années[1].


Pour aller plus loin :
•CREUM, « Les ateliers de l’éthique », v.2, n° 2, été 2007.
•KRAMAR, Giulia, « Le diagnostic prénatal: enjeux éthiques individuels et collectifs du progrès de la biomédecine, Bioethica forum, V.1, n° 2, 2008. URL: http://www.bioethica-forum.ch/docs/08_2/2_08_S112-114_Focus.pdf
•« Le diagnostic anténatal », Institut de formation soins infirmiers, Cannes, 2003. : URL: http://www.infirmiers.com/pdf/diaanteeth.pdf . Page consultée le 23/11/12.
•MOYSE, Danielle, « Le diagnostic prénatal, quelle “sécurité”? », Ceras-revue Projet n° 293, Juillet 2006. URL: http://www.ceras-projet.com/index.php?id=983 . Page consultée le 23/11/12.
•TOUSSAINT, Renée, « Le diagnostic prénatal et pré-implantatoire », Institut européen de bioéthique, juin 2012. URL:http://www.ieb-eib.org/en/pdf/etude-dpn-renee-toussaint.pdf . Page consultée le 24/11/12.
•TOUSSAINT, Renée, « Diagnostic prénatal: quelle finalité? » in Génétique.org, mars 2010. URL : http://www.ieb-eib.org/en/pdf/etude-dpn-renee-toussaint.pdf . Page consultée le 23/11/12.

 


[1] Analyse rédigée par Marion Quentin.

 

 

 

 

 

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