Analyse 2012-33

Les parents se posent souvent la question : est-il bon ou faut-il éviter de se montrer nu face à ses enfants ? Une question qui se pose différemment selon les âges mais qui ne peut de toute façon pas faire abstraction de la société dans laquelle on vit et de la manière dont le corps y est considéré.


La nudité militante

Dans les années septante et celles qui ont suivi, la nudité avait quelque chose de militant. Dans la foulée de la libération post soixante-huitarde, après des décennies de pudibonderie et de diabolisation du corps et de la nudité, les jeunes parents voulaient se libérer des carcans du passé et se montrer modernes et décomplexés. Se souvenant de l’ambiance souvent lourde dans laquelle ils avaient grandi vis-à-vis du corps et de la sexualité, ils voulaient  considérer le corps comme quelque chose de naturel plutôt que de honteux et se montrer nu devant ses enfants était considéré comme un acte éminemment éducatif par certains, même s’ils se sentaient d’ailleurs parfois obligés de se forcer un peu. Certains voyaient dans la nudité en famille une manière d’éduquer les enfants à aborder le corps sans complexes et à prendre conscience des différences entre garçons et filles de manière naturelle.


Cette volonté de libérer le corps qui se manifestait dans la vie familiale était d’ailleurs un phénomène largement répandu dans la société occidentale. C’était l’époque où les comédies musicales, les pièces de théâtre et les films qui se voulaient « dans le vent » se devaient de montrer l’une ou l’autre scène de nudité, plus ou moins indispensable selon les cas. On se souvient aussi des grands festivals de musique où l’on voyait des jeunes se promener nus ou presque dans la campagne de Woodstock ou d’ailleurs. Tout cela avait l’allure d’une joyeuse libération des corps après une longue période où l’on avait plutôt eu tendance à s’en méfier.
Les enfants qui ont grandi dans cette ambiance n’en gardent pas nécessairement un excellent souvenir et, devenus parents à leur tour, ils se demandent quelle attitude adopter. Ils ne souhaitent pas en revenir à une censure de la nudité, mais ils veulent éviter à leurs enfants les moments de gêne qu’ils ont le souvenir d’avoir ressentis dans leur enfance.


La nudité naturelle


La plupart des parents comme des spécialistes s’accordent pour considérer que la nudité est naturelle et ne pose pas de problème particulier dans les premières années de la vie d’un enfant. Il est normal pour l’enfant de voir le sein de sa maman qui le nourrit et il est tout autant normal de prendre un bain en sa compagnie.
Mais il s’agit là de moments de la vie quotidienne où la nudité s’impose presque d’elle-même. On ne prend pas un bain en maillot à la maison et il est difficile de donner le sein sans le dénuder.


Dès que l’enfant atteint quatre ou cinq ans , les avis sont plus partagés. C’est à ce moment que le petit garçon et la petite fille prennent conscience de la différence sexuelle. Il peut se trouver gêné face à la nudité du sexe opposé. Certains parents affirment que dès qu’ils perçoivent que leur enfant est gêné par leur nudité, ils adoptent une attitude plus réservée, mais l’enfant n’a pas nécessairement une conscience claire de ce qui le gêne et ne l’exprime pas toujours facilement. Mieux vaut donc pour les parents adopter une certaine discrétion, sans non plus faire un drame si l’enfant voit un de ses parents nu sous la douche ou entre dans la chambre quand il s’habille.


À partir de huit ans et pendant la préadolescence, l’enfant prend conscience de la réalité de la vie sexuelle. C’est à cette époque que les enfants commencent à s’enfermer dans la salle de bain et à devenir plus pudiques. Il ne s’agit pas à ce stade de son évolution de renforcer cette pudeur qui se manifeste mais de la respecter en ne le forçant pas à se montrer nu s’il ne le souhaite pas et en ne lui imposant pas non plus la nudité de ses parents. Si une maman souhaite bronzer seins nus sur la plage, elle demandera peut-être à son enfant si cela ne le gêne pas, surtout s’il est avec des copains. Mais s’il a eu l’habitude, dans cette circonstance particulière de la plage, de voir sa maman seins nus au soleil, probablement n’y trouvera-t-il rien à redire.


C’est à partir de douze ans et de la puberté qu’il faut être le plus respectueux encore de l’intimité de l’enfant. Le corps de l’adolescent se transforme et il ne se sent pas toujours fort à l’aise face à ces transformations. Il sent apparaître en lui les premiers bouillonnements du désir dont il ne sait que faire. Il est en outre très jaloux de son territoire qu’il essaie de marquer en se séparant de l’univers de ses parents. Pour son corps qui se transforme comme pour toute sa vie intime ou intérieure, il est important que les parents respectent le territoire de l’adolescent. Une attitude qui cherche trop à savoir ce qu’il vit ou à l’inciter à se montrer nu sera vite considérée comme une intrusion.  


Pour la psychanalyste Isabel Korolitski, « A cet âge où les changements du corps déstabilisent et complexent, le corps adulte dans sa nudité est vécu comme une agression. Sans compter que pour se développer dans une certaine tranquillité psychique, l’adolescent a besoin que soit respectée la différence des générations. » La nudité parentale risque d’être vue comme une volonté des parents d’affirmer, inconsciemment sans doute,  « qu’on est tous pareils » et de nier ainsi la différence des générations, ce qui est très difficile à vivre par l’adolescent qui cherche à se construire une identité dans la différenciation par rapport à eux.


Entre hypersexualisation et pudeur


Le problème aujourd’hui est que l’on vit dans une société hypersexualisée. La publicité, la télévision, internet déversent quotidiennement tout un tas de messages et d’images à caractère sexuel. Les corps sont exposés, la sexualité également. Les enfants grandissent dès leur plus jeune âge dans ce contexte et si l’on disait hier qu’il avait besoin d’une période de latence, pendant laquelle il ne se préoccupait pas des questions d’ordre sexuel pour pouvoir se consacrer à d’autres apprentissages, il est bien difficile aujourd’hui pour les enfants de ne pas se sentir sollicités. Cela amène d’ailleurs à certaines dérives, lorsque l’on voit des petites filles de 10 ans s’habiller de manière hypersexy, à l’image de leurs stars préférées.


Il est donc sans doute plus important que jamais d’adopter en famille une attitude décomplexée mais respectueuse et de donner toute sa valeur à la pudeur. Françoise Dolto rappelait notamment aux mamans qu’il n’y avait aucune raison de changer son enfant en public s’il y avait moyen de le faire à l’écart. Si les chiens et les chats vivent nus et ne se cachent pas pour s’accoupler, il n’en est pas de même des êtres humains.


Il est vrai que la pudeur est une notion éminemment culturelle. Jean-Claude Bologne, par exemple, après avoir écrit en 1986 une « Histoire de la pudeur  », vient de compléter ses recherches par la publication de « Pudeurs féminines. Voilées, dévoilées, révélées  » en 2011. Il y rappelle que la pudeur évolue considérablement selon les époques et les cultures, mais qu’elle consiste toujours à voiler ce que l’on considère comme une fragilité ou un élément essentiel de notre personnalité. Cette pudeur est en tout cas toujours l’objet d’une codification assez stricte. Le débat sur le voile l’a rappelé récemment et a démontré à quel point la demande de conventions collectives était forte.


Et les parents


C’est dans ce contexte que les parents ont à éduquer leurs enfants, entre leur propre vécu passé ou présent, avec ses souffrances et ses libérations, des approches psychologiques qui étudient le développement de l’enfant et attirent l’attention sur les précautions nécessaires, et une évolution de la société dont le moteur n’est pas tellement l’éducation des enfants mais l’utilisation du corps comme un produit de consommation.


Cela montre à quel point le métier de parent, vis-à-vis du rapport au corps, à la nudité et à la sexualité est délicat et demande sans cesse d’être remis en question. Les échanges avec d’autres permettent en tout cas de relativiser d’une certaine manière ses propres normes, de porter un regard critique sur l’environnement et d’offrir à l’enfant les meilleures conditions pour s’épanouir dans son corps, sans exhibition ni diabolisation .

 


[1] Voir à ce propos 3-5 ans. Nudité : attention vos enfants vous regardent !, in Le Ligueur du 24 octobre 2012.
[2] Bologne Jean-Claude, Histoire de la pudeur, Paris, Olivier Orban, 1986.
[3] BOLOGNE Jean-Claude, Pudeurs féminines. Voilées, dévoilées, révélées, Paris, Le Seuil, 2010
[4] Analyse rédigée par José Gérard.

 

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