Analyse 2013-02

  En décembre 2012, Marion Larat accuse la pilule d’avoir provoqué son accident vasculaire cérébral quelques années plus tôt et de l’avoir rendue lourdement handicapée. Elle décide de saisir la justice et porte plainte contre la société pharmaceutique qui produit sa pilule ainsi que contre l’Agence française du médicament (ANSM) [1]. Plusieurs autres femmes, victimes elles aussi de leur pilule décident de suivre Marion et entament une démarche judiciaire. Le débat est ouvert… la pilule est au centre.

 

La pilule en question…4 générations plus tard !


La pilule contraceptive a fêté il y a peu son cinquantième anniversaire aux Etats-Unis puis en Europe. Les milieux politiques, les mouvements féministes se félicitaient alors du succès de cette révolution. Depuis les années 1960, les femmes ont une grande maîtrise de leur maternité. Non seulement la pilule a permis de réduire fortement le nombre de grossesses non désirées, mais elle a aussi changé la vie sexuelle des femmes.


Il existe deux types de pilule : les pilules progestatives ou minipilules, sans œstrogène et les pilules combinées. La plupart des pilules prescrites sont celles dites « combinées » car elles sont plus efficaces et leur usage est moins contraignant. Elles associent deux hormones, un œstrogène et un progestatif. Ces pilules sont réparties en quatre catégories. Le type de progestatif utilisé détermine la génération de la pilule.


La première génération de comprimés n’est encore que très rarement prescrite. Les pilules de deuxième, troisième et quatrième génération représentent la grande majorité des prescriptions contraceptives. En Belgique, environ un million de femmes utilisent la pilule comme contraception. Dans plus de 75% des cas, il s’agit d’une pilule de troisième ou quatrième génération [2], apparues sur le marché respectivement dans les années 90 et 2000.


Si aujourd’hui les bienfaits de la pilule semblent admis par une majorité de la société, il faut veiller à ce que son usage ne soit pas banalisé. La pilule contraceptive est un médicament et comme tout médicament, elle peut avoir des effets secondaires. Depuis leur existence, on sait que les pilules combinées sont associées à un risque accru de thrombose veineuse ; en particulier durant les trois premiers mois d’utilisation. Elles peuvent également provoquer une augmentation de la pression artérielle, accroissant ainsi légèrement le risque d’accident vasculaire cérébral et d’infarctus du myocarde. Dans une étude récente, l’Agence européenne des médicaments (EMA) relevait les chiffres suivants [3] :

  • le risque d’accidents thromboemboliques veineux est de 5 à 10 sur 100.000 femmes non enceintes et ne prenant pas la pilule ;
  • ce même risque est de 20 sur 100.000 femmes prenant une pilule de deuxième génération,
  • de 40 sur 100.000 femmes prenant une pilule de troisième ou quatrième génération
  • et de 60 sur 100.000 femmes étant enceintes.


Le risque d’accident est augmenté avec les nouvelles générations de pilules. Il est deux fois plus élevé pour les pilules de deuxième génération et trois à quatre fois plus élevé avec celles de troisième et quatrième générations. Cependant, cela reste nettement inférieur au risque encouru lors d’une grossesse.


De l’importance du médecin et de l’anamnèse


Prendre la pilule n’est donc pas un geste anodin : il existe plusieurs types de pilules, tous les types ne conviennent pas à toutes les femmes. Ce n’est pas parce que votre sœur, votre copine ou votre maman prend telle pilule que celle-ci vous convient forcément. C’est là que la prescription médicale prend tout son sens. Le médecin ou gynécologue prescripteur tient un rôle essentiel dans le choix de la contraception qui convient le mieux à sa patiente. Sachant les risques que peut entraîner la pilule combinée sur le système vasculaire, avant de prescrire ce type de contraception, le médecin doit procéder à une anamnèse scrupuleuse. Certains antécédents médicaux comme l’hypertension artérielle, les anomalies de la coagulation, les phlébites, le diabète mal contrôlé, le tabagisme sont autant de contre-indications à la prescription d’une pilule combinée à plus forte dose de progestatif (troisième ou quatrième génération). Il est primordial d’établir une communication franche entre le médecin et sa patiente afin de déceler le plus précisément possible les facteurs qui pourraient augmenter les risques d’accident liés à la prise de la pilule.


Que disent les autorités ?


En Belgique, l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS) est chargée de veiller à la qualité, la sécurité et l’efficacité des médicaments. Elle assure aux citoyens le bénéfice optimal de ceux-ci. En France, son homologue est l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Ces agences ainsi que les divers maillons de l’industrie pharmaceutique et les professionnels de la santé participent, pour tout médicament, au plan de pharmacovigilance. Une fois qu’un médicament est mis sur le marché, le plan de pharmacovigilance consiste en diverses mesures de collecte d’informations concernant l’utilisation du médicament. Cela permet de relever les effets secondaires connus ou non encore connus et d’évaluer la balance bénéfice/risque du médicament. Ce sont les agences qui jugent si la balance bénéfice/risque est positive ou négative et si un médicament peut ou non rester sur le marché. A charge ensuite aux médecins de déterminer la balance bénéfice/risque individuelle de chaque patient avant de prescrire.


En Belgique, le Centre belge d’information pharmacothérapeutique (CBIP) est chargé d’apporter des informations neutres sur les médicaments au monde médical. Dernièrement [4], il recommandait explicitement de privilégier la prescription de pilules à faible dose d’œstrogène qui allient tolérance et efficacité et contiennent certains types de progestatif, bref : des pilules de deuxième génération. Il justifie cette prise de position en indiquant qu’à ce jour, aucune étude clinique n’a démontré les avantages suggérés des contraceptifs de troisième et quatrième générations sur la qualité de vie des patientes. En France, la Haute autorité de santé (HAS) tient la même position. Lorsqu’elles ont implanté le marché avec les pilules de troisième et quatrième générations, les sociétés pharmaceutiques se targuaient d’avoir développé des contraceptifs avec moins d’effets indésirables pour les patientes. Certes, le risque thromboembolique était plus élevé, mais ces nouveaux produits promettaient une meilleure tolérance (règles moins abondantes, diminution des céphalées, limitation de la prise de poids, acné, hyperpilosité,…).


De son côté, l’AFMPS ne déconseille pas la prescription de ces pilules. La grande majorité des patientes sous pilules combinées (75%) seraient concernées par des mesures aussi restrictives et l’AFMPS ne veut pas les pénaliser. Cependant, l’agence recommande aux médecins la plus grande prudence. Quant à l’ANSM, en France, elle suit l’avis de l’HAS et déconseille la prescription des pilules de troisième et quatrième générations. D’ailleurs, la France a désormais supprimé le remboursement de ces types de contraceptif afin d’inciter leurs utilisatrices à réviser leur prescription auprès de leur médecin.


Le cas particulier de Diane 35


Dans le cas de la pilule Diane 35 (Bayer) et de ses génériques, l’ANSM va plus loin encore et annonce la suspension prochaine de leur mise sur le marché [5]. Pourquoi ? En réalité, Diane 35 n’est pas un contraceptif ! Sa mise sur le marché a été autorisée comme traitement contre l’acné. Il s’agit en fait d’une pilule combinée à base d’œstrogène et d’acétate de cyprotérone comme progestatif. L’acétate de cyprotérone augmente significativement le risque de phlébite et d’embolie. Au cours des 25 dernières années, l’ANSM a relevé quatre décès dus à une thrombose veineuse liée à Diane 35. De plus, une réévaluation récente de la balance bénéfice/risque de Diane 35 en tant que traitement contre l’acné s’est avérée pencher davantage vers le risque. La balance est désormais négative, juge l’ANSM ; d’où sa décision de retrait.


En Belgique, point de retrait du marché pour aucune pilule, même Diane 35. Mais, de nouveau, un appel à la prudence et à un examen minutieux des facteurs de risques chez les patientes afin de déterminer la contraception qui leur convient le mieux.


Et moi dans tout ça : je prends la pilule ou je ne la prends pas ?


En matière de médicament et de santé, il est fort appréciable de voir que le plan de pharmacovigilance reste vigilant ! Cependant, on peut se demander si les décisions prises par l’ANSM sont réellement motivées par des questions de sécurité et de santé publique. Devant la menace d’une affaire judiciaire, l’agence n’a-t-elle pas pris des mesures excessives pour devancer toute critique ? L’ombre du scandale Mediator [6] ne plane-t-il pas sur les autorités de santé en France ?


Dans ce tohu-bohu médiatique, qu’en est-il des patientes ? Les titres alarmistes des journaux ont pu pousser des femmes à stopper leur contraception, quitte à s’exposer à une grossesse non désirée. Encore aujourd’hui, la contraception a du mal à s’imposer dans les mentalités en raison de croyances ou de conjonctures socioculturelles. L’actualité récente n’a fait qu’ajouter de l’eau au moulin des détracteurs de la pilule. Aujourd’hui, les associations et plannings familiaux doivent redoubler d’efforts pour informer les femmes. Certes il existe un risque lié à l’utilisation de la pilule. Mais ce risque est limité et bien inférieur à celui auquel les femmes sont exposées en cas de grossesse. La fédération des centres de planning familial clame le message suivant : « Arrêtons de diaboliser la pilule et ses effets ! Exigeons la transparence sur les produits pharmaceutiques. Misons sur la mise à disposition d’informations claires pour les prescripteurs et les utilisatrices. Facilitons le choix éclairé des femmes pour se protéger d’une grossesse non désirée. [7] » [8]

 

 


 

[1] « Alerte sur la pilule de 3e et 4e génération », in www.lemonde.fr, 14/12/2012.
[2] J. DELVAUX, « Les pilules sous la loupe », in En marche, n°1489, 24/01/2013.
[3] « Risque de thromboembolie veineuse avec les contraceptifs estroprogestatifs contenant du désogestrel, de la drospirénone ou du gestodène: aucune raison de paniquer ? », in www.cbip.be, 16/01/2013.
[4] Idem.
[5] « La France suspend la vente de la pilule Diane 35 », in www.lesoir.be, 30/01/2013
[6] Du nom du médicament développé et commercialisé par les laboratoires Servier. Mediator est un antidiabétique utilisé aussi comme coupe-faim. Les premières alertes concernant Mediator apparaissent dans les années 1990. Un nombre important d’accidents cardiaques, entraînant parfois la mort, sont survenus chez des patients consommateurs de Mediator. Le médicament est alors retiré des marchés successivement dans tous les pays d’Europe. Seule la France continue d’accepter sa commercialisation. Ce n’est qu’en 2009 que la France décide de retirer Mediator du marché.
[7] « Pilules : réagir, sans diaboliser ! », communiqué de presse de la Fédération des centres de planning familial, 31/01/2013, disponible sur www.planingsfps.be.
[8] Analyse rédigée par Laurianne Rigo.

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