Analyse 2013-05

  La gestion et le tri de nos poubelles n’est pas seulement une question pratique. Elle interroge aussi la conception que l’on se fait du fonctionnement de la société et des familles.


Quand la philosophie se cache où nous ne le pensions pas


Il aura fallu quelques années pour que nous nous organisions, individuellement et collectivement, pour trier intelligemment nos poubelles. La Belgique, car ce sont à la fois les Belges que nous sommes et les institutions à tous les niveaux – et Dieu sait si nous en avons –, a acquis la réputation d’être un pays assez performant en matière de tri des déchets [1].


C’est dire aussi que nous sommes concernés comme citoyens et comme consommateurs, comme individus et comme collectivités. Et la famille en est une.


Introduite comme cela, la question de la récupération intelligente des déchets dans le cadre d’une société qui cherche des modes de vie plus durables, revêt des accents très modernes, « post-modernes » dirions-nous même si nous cherchions à souligner que la question de la gestion de nos poubelles se hausse aujourd’hui au niveau des interrogations philosophiques.


Comme toutes les questions philosophiques, sans en avoir l’air, elle concerne le « pourquoi » et les « comment » de notre existence comme personne et comme société. La gestion des rejets des activités humaines a en effet dû occuper l’esprit des humains depuis l’origine, ne serait-ce que celle de leurs excréments. La question n’est toujours pas close d’ailleurs. S’il nous suffit aujourd’hui de « tirer la chasse » sans jamais penser au chemin que cela prend ou aux fins dernières de nos déjections, bien des gens conscientisés se penchent sur le mode de traitement de cet aspect le plus immédiat de nos rejets. Leurs interrogations portent sur le fait de savoir si cette invention qui date du 16e siècle, et qui équipe aujourd’hui de nombreux endroits, ne contrevient pas à nos préoccupations d’un monde « durable ». Les recherches, conférences et animations sur les « toilettes sèches » en sont les témoins. Voyez par exemple la notice « toilettes sèches » sur Wikipédia [2] et vous serez, sinon convaincus, à tout le moins édifiés.


Et même l’archéologie


Les archéologues sont eux aussi friands de cavités ou de tumuli de déversement des déchets des civilisations les plus anciennes. Ce sont souvent pour eux des réservoirs particulièrement riches en enseignement sur leur mode de vie comme sur les avancées technologiques qui étaient les leurs.


Récemment, ils s’interrogeaient à propos de l’appartenance des vestiges d’une citadelle dans un des déserts d’Israël : était-elle égyptienne ou israélite ? Ce n’était pas rien, car ces vestiges témoigneraient ou non de l’existence d’un royaume d’Israël au temps de David et donc, d’une certaine véracité de textes de la Bible. Ce sont les multiples os découverts dans un des déversoirs de cette citadelle qui leur fournirent la réponse. Ne s’y trouvaient que des mâchoires et des dents de moutons et de chèvres. Aucune trace de porc. Or, les Egyptiens mangeaient le porc, alors que cet animal était exclu de la nourriture des Israélites. Tout cela datait du 10e ou 11e siècle avant notre ère. C’est dire si ces traces étaient « durables ».


Producteurs de matières premières


Mais si, Belges, nous étions effectivement dans le peloton de tête des pays trieurs des déchets, ce n’est pas pour le plaisir de les séparer en poubelles de couleurs différentes ou de vérifier l’état de notre vision quant à ses capacités de distinguer le verre blanc du verre foncé. Tout ce que nous prenons la peine de séparer se trouve pouvoir être recyclé d’une manière ou d’une autre. Le ramassage de nos déchets coûte, et nous le savons bien puisque nous le payons, et cher parfois quand notre famille est grande. Mais le ramassage des déchets bien triés rapporte. Nos détritus deviennent, en quelque sorte, des matières premières au second degré.


Ne vaut-il pas la peine d’y réfléchir un peu ?


Si c’est un phénomène aussi vieux que les humains, il évolue aussi au fil du temps. Les plus anciens parmi nos lecteurs se souviendront des ramasseurs de « peaux de lièvre et de peaux de lapin », ou encore des chiffonniers et des chiffonnières [3] qui parcourraient en criant les rues de leur enfance. Ils achetaient chiffons et métaux pour quelques sous. Les coiffeurs vendaient aux plafonneurs, qui s’en servaient pour lier leur plafonnage, les cheveux qu’ils coupaient en quatre sur la tête de leur clientèle. Aujourd’hui encore, les videurs de greniers et les acheteurs de « métaux de toute nature » ne sont-ils pas dans les bottins téléphoniques ? Et à tout prendre, nos brocantes et autres échoppes de seconde main ne jouent-elles pas un rôle assez semblable.


Des ressources insoupçonnées ?


Ce qui est notre « propriété » et dont nous souhaitons nous débarrasser n’a pas perdu pour autant toute valeur. Nous ne jetons pas sans espoir de retour les bouteilles consignées et le ramassage sélectionné, même contre rémunération nous l’avons vu, pourrait fort bien s’imaginer sur des matières très utilement transformables si… elles étaient triées plus spécifiquement encore. Des études sont menées en ce sens et sur le plan de la faisabilité. L’intérêt individuel (comme pour les bouteilles consignées) ou collectif, au niveau de copropriétés par exemple, pourrait être un incitant non négligeable.


Que dire d’ailleurs aussi des immenses déchetteries des banlieues des grandes métropoles de certains pays du Sud, sur et avec lesquelles survivent comme ils le peuvent les chiffonniers, tels ceux du Caire, dont Sœur Emmanuelle, qui était allée vivre à leur côté, nous a donné à mieux prendre conscience de l’existence innommable.


Dans l’espace et dans le temps, les gestions des déchets que nous produisons sont omniprésentes. D’autre part, plus nous sommes et plus nous consommons, plus ces gestions se font complexes et problématiques. C’est au point que des scientifiques s’y penchent de plus en plus sérieusement. Il en est même un qui a donné à cette préoccupation le nom très sérieux de durologie. Contrairement à ce que l’on pourrait croire à première vue, ce terme ne doit étymologiquement rien à la durabilité de nos modalités d’existence, mais vient du mot latin « durus », qui signifie… « déchet ».


En quoi est-ce notre affaire ?


Mais pourquoi nous en préoccuper en tant qu’association qui s’intéresse, même si c’est de manière large, aux couples et aux familles ? Hormis le fait qu’il importe, comme citoyennes et citoyens, de nous préoccuper de suivre au mieux les dispositions requises par les autorités publiques dans ce domaine, en quoi cela nous regarde-t-il ?


Cela nous concerne d’abord, comme éducateurs. Apprendre à nos enfants à respecter eux aussi les consignes qui nous sont données sur ce plan. Leur apprendre à ne pas jeter leurs déchets, papiers, canettes, bouteilles en plastic ou chewing gum sur la voie ou dans les lieux publics. Peut-être ne le faisons-nous pas suffisamment d’ailleurs. Et en donnons-nous toujours l’exemple ?


Ensuite aussi parce que, comme responsables d’une communauté familiale, ne serait-elle que de couple, nous sommes constamment au cœur de la production de cette masse de déchets et de déjections qui risque de nous submerger. Il nous appartient donc d’y réfléchir, de ne pas nous désintéresser des débats et moins encore des décisions politiques qui sont ou qui devraient être prises dans ce domaine.


Participer à la réflexion


Serait-il par exemple inepte de participer aux réflexions qui sont menées pour comprendre les raisons qui entraînent ou risquent d’entraîner de relatifs relâchements dans le tri des déchets, alors pourtant que ce tri est un des travaux collectifs de production de matières premières pour nombre d’industries, et qu’il pourrait l’être bien plus encore ?


Comme association, nous suggérerions aux responsables publics en charge de ces problématiques de mieux communiquer dans ces domaines. Les tris sont parfois complexes et le refus pur et simple de ramasser les sacs dans lesquels l’une ou l’autre erreur s’est glissée, conséquence qu’il en est qui s’éternisent dans les rues sans que plus personne ne s’en préoccupe. Qui devrait s’en charger d’ailleurs ? Sans doute doit-il même souvent arriver que les personnes qui se sont trompées l’ignorent.


Produire pour recycler


Mais outre les pistes évoquées de tri plus sélectif encore, éventuellement stimulé par un intéressement de tout un chacun en compensation de l’effort consenti comme « producteur de matière première », une autre piste devrait pouvoir mobiliser chercheurs, industriels et responsables politiques. Est-il impossible de concevoir, voire d’obliger les concepteurs et les producteurs de biens nécessairement destinés à rejoindre nos poubelles, tout ce qui est emballage pas exemple, de les penser en fonction de cycles de récupération et de réutilisation ?


Il serait étonnant que nous soyons les premiers ou les seuls à y avoir pensé. Verre, papier et certains plastiques suivent d’ailleurs déjà de tels cycles. Nous ne trions pas sans utilité pour personne. Ces cycles tiennent sans doute plus d’une réflexion a posteriori sur l’utilisation possible des rejets que sur des recherches transversales de tout le cheminement du produit dont on connaît à l’avance le rejet en tout ou en partie. De recherches et de concrétisations en ce sens, la gestion des déchets ne serait-elle pas allégée et même source de profits non négligeables pour les producteurs de matières premières que nous serions comme pour les industries de leur transformation et de leur utilisation nouvelle ?


Preuve s’il le fallait que nous sommes toutes et tous des acteurs économiques, jusqu’où on pourrait s’y attendre le moins : dans nos poubelles [4].

 

 

 


 

 

[1] « Tri des déchets : la Belgique parmi les bons élèves », in www.levif.be, 08/03/2011.
[2] www.wikipedia.org
[3] Cf. la notice “chiffonnier (métier)” sur www.wikipedia.org.
[4] Analyse rédigée par Jean Hinnekens.

 

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