Analyse 2013-14

Il y a peu, le Sénat français votait en faveur de l’interdiction des concours de mini-miss. Aujourd’hui, la Belgique craint que les organisateurs délocalisent leurs manifestations sur son territoire. Au-delà du débat législatif, Couples et Familles s’interroge sur ces concours, leurs répercussions sur les enfants et la responsabilité collective vis-à-vis de cette question.
 

 

Les concours de beauté pour enfants font du voyage


Aux Etats-Unis, les concours de beauté pour enfants sont une véritable institution. Depuis plusieurs générations, un grand nombre de fillettes américaines se prêtent à ce divertissement. Il suffit de taper les mots clés « concours mini miss usa » sur youtube et on peut accéder à une flopée de vidéos évocatrices du phénomène. Dès leur plus jeune âge, parfois quelques mois seulement, les fillettes sont présentées à un jury et rivalisent de strass, de sourires et de bisous ravageurs pour séduire et remporter le sacre de reine suprême de beauté.


Les fillettes sont apprêtées, maquillées, coiffées. Les mamans, tantes et grands-mères ne reculent devant rien pour que leur poupée décroche le titre ultime : faux ongles, faux cils, postiches et mise en plis, peinture bronzante, prothèse dentaire, épilation des sourcils et autres soins esthétiques… Elles suivent aussi des entraînements dignes de sportifs. Plusieurs fois par semaine, elles répètent leurs enchainements de pas pour le défilé et leur chorégraphie pour le numéro de danse. Certaines familles s’adjoignent les conseils avisés d’un coach personnel ainsi que les soins d’une coiffeuse, maquilleuse, esthéticienne professionnelle.


Depuis les années 1990, ce type de concours connaît un engouement grandissant de notre coté de l’Atlantique. En France et en Belgique, les manifestations se multiplient. Certes, les concours européens n’ont pas encore atteint le niveau de leurs homologues américains en matière de soins esthétiques, mais ils posent tout de même question. Les enfants sont-ils spontanément demandeurs de participer à ces concours ? Ces après-midi, journées ou soirées de représentations sont-ils vraiment un divertissement pour les participantes ? Quelle image ces fillettes construisent-elles d’elles-mêmes et de la figure féminine en général ? Faut-il intervenir sur le plan législatif ou alerter la collectivité de sa responsabilité envers les plus jeunes afin qu’elle continue de leur garantir les meilleures conditions d’éducation ?


Un désir trop encombrant


Il est humain que les parents aient des rêves d’avenir pour leur enfant. Cela commence parfois dès avant sa naissance. On l’imagine médecin ou chef d’entreprise, sportif renommé ou premier prix de conservatoire selon nos propres passions et aspirations. Les ambitions des parents signifient que l’enfant a de la valeur à leurs yeux. Elles sont utiles dans son développement, mais elles ne doivent pas l’étouffer dans ses propres désirs au risque de brûler les étapes et d’annihiler sa personnalité en pleine construction. Ce qui était encouragement devient obligation et inconsciemment, l’enfant absorbe le désir de ses parents [1].


Le très jeune âge de certaines participantes aux concours de mini-miss laisse sérieusement douter de leur envie spontanée de concourir. Pour les plus âgées, la pression parentale est si forte que se soustraire aux concours reviendrait à décevoir le parent et peut-être risquer de ne plus être aimées de lui. Avec le temps, les concours s’enchaînant, les fillettes finissent par s’approprier le rêve de princesse que leurs mamans ont fait pour elles. Elles consentent volontairement à participer au détriment de leur épanouissement personnel.


Les parents perçoivent les concours comme un jeu, au même titre qu’un sport par exemple. Ils y voient une possibilité pour leur fille de s’émanciper et de se socialiser. Le jeu est une activité essentielle pour l’enfant. Cela sollicite sa créativité, son imagination [2]. C’est une manière indispensable à son développement psychique de s’approprier le monde. Quoi de plus normal pour une petite fille de chausser les talons hauts de maman, d’enfiler une robe de princesse, un sac à main et de jouer « à la madame ». Par contre, faire défiler cette même petite fille sur un podium en talons hauts pointure 28, robe affriolante et démarche déhanchée, c’est tout autre chose. On n’est plus dans le registre du jeu. On lui donne un rôle de mini adulte avec ses attributs vestimentaires et ses codes de séduction. La frontière entre le monde enfantin et adulte tombe et cela bouleverse les repères de l’enfant. D’autant que l’ordre social veut que les grandes personnes, et les parents en particulier, soient les garants d’une certaine sécurité qui permette à l’enfant de grandir à son rythme.


Au contraire d’une activité sportive, généralement pratiquée dans un cadre associatif, les compétitions de miss sont organisées par de véritables entrepreneurs dont l’objectif est purement vénal. Comme le signale Jean-Yves Hayez, pédopsychiatre [3], ces spectacles n’ont pas été conçus au service de l’enfant, ni de sa famille, mais comme produits de consommation, destinés à rapporter de l’argent, beaucoup d’argent, à leurs organisateurs, avec pas mal de tromperies qui flouent des familles aux revenus parfois modestes. L’enfant et sa famille, ici, sont des objets « jetables » [4].


Si l’intention des parents est noble, celle des organisateurs l’est beaucoup moins. Chaque inscription d’enfant génère du profit. Au mieux, les fillettes qui défilent paient un droit de participation, au pire, celle-ci est conditionnée par le financement de sponsors qu’elles doivent dénicher, chaque spectateur paie un droit d’entrée dans la salle, les repas et les consommations sont autant d’entrées lucratives… Bref, soumettre son enfant à ce type de concours revient à en faire un objet de consommation, aux mains de commerçants peu scrupuleux pour lesquelles le bien-être de l’enfant est loin d’être une préoccupation de premier ordre.


Derrière les strass, le stress et l’hypersexe


Derrière le rideau, le décor des spectacles de mini-miss est beaucoup moins enchanté qu’il n’y paraît. Les fillettes sont ballottées, tiraillées, secouées. Toute une troupe s’affaire autour d’elles, pour enfiler la robe, coiffer les cheveux, maquiller le visage, reproduire les pas et la dégaine pour le défilé, répéter le discours de présentation personnelle… Déjà, elles observent les autres participantes, elles se comparent, elles font des pronostics sur la gagnante du titre. La pression est énorme sur leurs frêles épaules tant sur le plan physique que psychologique. Les tenues sont parfois inconfortables : les matières des tissus ou les coutures piquent, grattent, blessent, enserrent. L’angoisse parentale envahit les fillettes dont certaines fondent en larmes avant même de monter sur scène. Tous ces préparatifs sont loin de correspondre aux critères de bientraitance.


Et puis vient le moment du show. Les petites sont lancées sur le podium, offertes aux regards du jury et des adultes spectateurs. Quoiqu’en disent les organisateurs européens, ces concours participent au phénomène grandissant d’hypersexualisation des enfants. Ils s’en défendent à travers quelques règles pour éviter des tenues trop « sexy » ou des maquillages trop appuyés. Mais il n’en reste pas moins que ces concours fonctionnent sur une logique d’apparence, de mise en scène des charmes féminins peu conforme avec toute forme d’éducation à l’égalité et au mérite par l’intelligence [5].


L’hypersexualisation est définie comme une pression qui pousse les enfants à entrer dans une sexualité abusive qui n’est non seulement pas de leur âge mais qui vient entraver leur processus de développement [6]. Elle présente un modèle réducteur de la sexualité basé sur des stéréotypes sexués où l’homme est viril et dominateur et la femme séductrice et soumise. Chez les enfants cela se traduit par une érotisation des petites filles et une hypervirilisation des petits garçons : les unes sont sages et coquettes, les uns sont courageux et performants.


Au-delà du rôle fonctionnel de la sexualité dans la reproduction de l’espèce, elle est une construction sociale empreinte de la culture dans laquelle elle évolue. Comme le soulignait José Gérard lors d’une récente conférence [7], l’hypersexualisation s’inscrit dans un long processus de libération de la sexualité, jadis très encadrée socialement. La pression qui repose sur les enfants peut venir des parents sans qu’ils en soient réellement conscients, mais elle vient aussi des médias et plus largement du climat consumériste ambiant. Il n’est pas question de diaboliser la libéralisation de la sexualité, celle-ci a eu des effets fort positifs sur la société. Mais elle engendre aussi certaine dérive comme la banalisation et l’hypersexualisation auxquels la collectivité toute entière doit rester attentive.


L’apparence comme moteur de la réussite sociale


Comme nous le relevions dans une précédente analyse [8], l’apparence physique est déterminante dans notre société occidentale contemporaine. Elle conditionne le jugement que les autres se font de nous. Correspondre à l’idéal féminin ou masculin est valorisable socialement et économiquement. Ainsi, on peut assurer plus aisément son ascension sociale.


Pour les parents, inscrire leur fillette dans les concours de mini-miss, c’est lui donner une chance d’avenir. L’objectif n’est pas toujours conscient ou avoué, mais l’espoir transparaît en filigrane que leur fille soit repérée par une agence de mannequins, qu’elle acquière de la popularité et pourquoi pas qu’elle devienne une égérie de la mode.


Parmi le jury de mini-miss France et nationale 2012 figuraient des personnes dont les références sont éloquentes de cette course à la popularité et au paraître : un réalisateur de cinéma, un participant à l’émission Secret Story, une autre célèbre pour ses frasques dans Les anges de la téléréalité et celle-ci figurant au casting de La bête et la princesse. C’est dire que le physique et la silhouette sont des éléments déterminants de la valeur personnelle des individus pour eux-mêmes et pour les autres.


Dans ce contexte, difficile de savoir s’il vaut mieux pour les fillettes qu’elles perdent ou qu’elles remportent le diadème tant espéré. En cas de victoire, est-ce vraiment un pas vers la gloire ? Qu’en est-il lorsque les projecteurs s’éteignent et que la princesse redevient petite fille ? En cas d’échec, la désillusion est immense. Pourquoi n’ont-elles pas été élues ? Ne sont-elles pas assez jolies, assez féminines, assez sexy ? Seront-elles toujours les princesses de leurs parents si elles ne le sont pas aux yeux du jury ?


Les conséquences de ces concours de beauté sur l’estime de soi sont désastreuses. Les fillettes peuvent plonger dans la dépression. Elles peuvent développer des troubles alimentaires et dériver vers l’anorexie ou la boulimie. Elles se retrouvent souvent isolées, ont peu d’amis et éprouvent des difficultés scolaires.


Pour terminer…


Les concours de mini-miss représentent à nos yeux un danger non négligeable pour les enfants et les familles qui y prennent part. Ils ne participent pas au bien-être des enfants et à leur développement harmonieux. Par ailleurs, ils collaborent à ériger un modèle des relations hommes/femmes dichotomique et sexiste qui va à l’encontre des valeurs d’égalité que nous défendons. L’impact de ce modèle auprès des enfants représente un danger pour leur vie relationnelle et affective. Entrée précoce dans la sexualité active, développement de comportements sexuels caricaturaux, violence dans les relations affectives, désillusion face à la réalité des rapports hommes/femmes et de la sexualité. Ce sont autant de risques qu’encourent les enfants trop tôt plongés dans le monde adulte alors qu’ils n’ont pas encore les clés pour en décrypter les codes.


Faut-il légiférer ou sensibiliser parents, enfants, jeunes et l’ensemble de la collectivité pour que l’ordre social régule de lui-même le phénomène ? Comme l’explique Vincent Magos, aucune solution simpliste ne réglera cette question d'autant que les commerciaux n'ont pas attendu les interdictions pour déjà organiser leurs contournements sous des formes de mannequinat et autres activités « artistiques » [9]. C’est pour cela que Yapaka, le programme de prévention de la maltraitance de la Fédération Wallonie-Bruxelles, a lancé une campagne de sensibilisation rappelant l’importance de laisser grandir les enfants dans leur univers.


Pour Couples et Familles, l’un ne va pas forcément sans l’autre. Même si le législateur vient combler le vide juridique en cette matière, la sensibilisation n’est pas à exclure. Au contraire, celle-ci doit être forte, diversifiée et trouver des ramifications nombreuses dans les différents milieux sociaux. Le système éducatif à travers les activités d’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS) nous semble être un vecteur essentiel. Il touche l’ensemble des enfants et des jeunes durant leur scolarité dans un objectif d’égalité. Un autre vecteur existe au sein du monde associatif : plannings familiaux, organisations de jeunesses, associations et mouvements d’éducation permanente… Tous peuvent œuvrer à la sensibilisation auprès de leur public respectif [10].

 

 

 

 

 


 

[1] Collectif d’auteurs, Hypersexualisation des enfants, Yapaka, 2012, p. 8. Disponible sur www.yapaka.be.
[2] Concours mini miss. Un jeu d’enfants ? Actes de la journée d’étude du 18 novembre 2011, Femmes prévoyantes socialistes, 2011, p. 7. Disponible sur www.fpsetvous.be.
[3] Jean-Yves Hayez est aussi représentant du Bureau international catholique de l’enfance (BICE) à la Coordination des ONG pour les Droits de l’Enfant (CODE).
[4] Concours de mini-miss : la position de la CODE, Coordination des ONG pour les Droits de l’Enfant, décembre 2012. Analyse disponible sur www.lacode.be.
[5] Chantal Jouanno, Contre l’hypersexualisation, un nouveau combat pour l’égalité, Rapport parlementaire du Sénat français, 5 mars 2012, p. 40.
[6] Collectif d’auteurs, Op. cit., Yapaka, 2012, p. 5. Disponible sur www.yapaka.be.
[7] José Gérard, rédacteur en chef des Nouvelles Feuilles Familiales, Les parents face à l’hypersexualisation, conférence donnée à la Maison de la laïcité à Frameries, 3 mai 2013.
[8] Cf. « Thigh gap ou l’obsession de la maigreur : nouvelle tendance chez les ados », analyse 2013-13 de Couples et Familles, rédigée par Laurianne Rigo, disponible sur www.couplesfamilles.be.
[9] Vincent Magos, « L’enfance volée des mini-miss et de quelques autres », in www.lalibre.be, 24/09/2013.
[10] Analyse rédigée par Laurianne Rigo.

 

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