Analyse 2013-20

Les parents souhaitent que leurs enfants s’épanouissent. En famille bien sûr, à l’école,  mais aussi dans d’autres activités de loisirs. Comme les possibilités sont multiples, certains parents se transforment en chauffeurs de taxi dès la sortie des classes pour gérer les « agendas de ministres » de leurs enfants.
 

 

« Le lundi, après l’école, c’est la piscine pour les deux aînés, avec les enfants de la voisine. Une semaine on les conduit, une semaine c’est elle. Cela leur fait du bien. Mardi, entrainement de basket pour le garçon. Il ne voudrait le rater pour rien au monde. Mercredi, cours de flûte pour sa sœur. C’est tellement gai quand elle peut jouer le dernier morceau appris à la fin d’un repas d’anniversaire ! Après la flûte, on essaie de repasser par la bibliothèque communale pour élargir les ressources familiales. Jeudi, c’est la psychomotricité pour la plus jeune. Elle aurait un peu trop tendance à ne pas se bouger beaucoup. Vendredi, ouf, on n’a rien… de régulier. Parfois on invite des amis ou bien on s’offre un petit souper en amoureux, quand les enfants sont au lit. Samedi, le match de basket du garçon le matin et les louveteaux et lutins l’après-midi. Dimanche matin, c’est la maman qui joue son match. Rien en vue pour l’après-midi… S’il fait beau, ce sera une balade en forêt ou une visite chez les grands-parents. » Ce programme n’a rien d’extraordinaire. Beaucoup de familles s’y reconnaitront.


Pour qu’ils soient heureux


La vie quotidienne des familles oblige souvent à un planning très serré. Quand l’école est finie, restent toutes les activités de loisir, qu’on appelait jadis les activités parascolaires [1]. Et le marché de ces propositions sportives, éducatives ou artistiques à destination des enfants s’est considérablement développé ces dernières décennies. D’une part parce que les objectifs éducatifs ont évolué, parce que le travail professionnel des deux parents a créé une demande, mais aussi parce qu’il s’agit d’un secteur économique à part entière.


Du côté des motivations, les parents estiment souvent qu’après de longues journées passées assis sur un banc d’école, il est bon de se dépenser un peu plutôt que de s’asseoir devant la télé ou un écran d’ordinateur. Prendre très tôt l’habitude d’une activité sportive régulière est un atout pour la santé future des enfants, les campagnes de santé publique le rappellent régulièrement, attirant l’attention sur la dangereuse augmentation des cas d’obésité précoce chez les enfants et les jeunes. Un club sportif permet en outre d’intégrer des notions de fonctionnement en équipe. Tout bénéfice dans une société où l’on sait que les employeurs sont aussi très attentifs aux activités annexes des jeunes postulants.


D’un autre côté, selon ce qui les a épanouis ou ce qu’ils regrettent de ne pas avoir pu faire quand ils étaient plus jeunes, les parents aiment aussi voir leurs enfants s’ouvrir à la musique, au dessin ou à toute autre activité d’expression. L’idée d’un développement harmonieux, impliquant aussi l’imaginaire, fait partie des injonctions éducatives actuelles.


Et les enfants, de leur côté, reviennent de l’école avec l’envie de faire du foot ou de s’inscrire à l’académie, parce que le meilleur copain y va. Cela fait aussi partie de la réalité sociale dans laquelle vit l’enfant, des liens qu’il noue avec ses pairs.


Du côté des parents, s’il y a plusieurs enfants, les après quatre heures et les week-ends se transforment vite en course poursuite. Avec un couac de temps en temps quand la voisine a oublié de reprendre le dernier ou que le train qui ramène papa a pris du retard. S’ils sont contents quand tout le petit monde est rentré sous le toit familial, les parents ne se plaignent pas pour autant de jouer ainsi les taxis. C’est important pour l’épanouissement de leurs enfants de découvrir de nouveaux univers et de s’essayer à l’une ou l’autre discipline. Ils y trouveront peut-être leur bonheur.


Et si on s’ennuyait


Personne ne penserait remettre en cause ces incroyables richesses qui sont aujourd’hui à la disposition des plus jeunes, même s’il faut bien reconnaître que toutes ces activités ne sont pas à la portée de tout le monde. Elles ont souvent un coût et obligent aussi les parents à disposer d’un véhicule si pas de deux pour véhiculer les enfants et les conduire à gauche et à droite, sans compter tous les à côté que comportent la vie de ces différents clubs : buvettes, soupers, tombolas, stages de vacances, etc. Un pourcentage important des enfants est totalement exclu de ces loisirs et des bénéfices éducatifs qui y sont liés. Comme le rappelait une étude récente [2], un enfant sur quatre vit sous le seuil de pauvreté en Wallonie et à Bruxelles. Et l’Unicef rappelait que cette situation est bien plus qu’un manque de revenus, elle touche les enfants dans tous les aspects de leur vie et provoque une limitation des possibilités d’éducation ainsi que l’exclusion des activités sociales.


Pour les parents qui peuvent se permettre ces dépenses, même s’ils sont consentants, voire demandeurs encore plus que leurs enfants, cela les confronte parfois à une pression qui devient trop forte. Il suffit d’un coup de fatigue au creux de l’automne ou d’un surcroît de travail au boulot et tout devient « de trop ».


Les enfants aussi, même s’ils sont le plus souvent débordants d’énergie, manifestent quelquefois un peu de lassitude voire, pour certains, l’envie de changer sans cesse d’activité, sans se fixer à aucune. Un peu comme s’ils avaient trop bien intégré la dynamique de la course aux découvertes tous azimuts. A force d’être toujours en activité, certains enfants sont déstabilisés quand un moment creux se présente à eux. Dans la vie de loisir des enfants comme dans la vie sociale et professionnelle, c’est un peu comme si l’on vivait une telle pression que l’on en arrive parfois à des situations de burn-out, ou en tout cas de stress, toutes proportions gardées, alors que le but de l’opération est pourtant le loisir et l’épanouissement personnel.


La peur du vide ?


Dans un groupe d’échange, une maman racontait récemment cet épisode de la vie familiale. L’autre jour, lors d’un après quatre heures étonnamment calme, Julien a demandé : « Maman, qu’est-ce qu’on fait ? ». Claire s’est retrouvée paniquée : « Que vais-je encore inventer ? Un livre, un jeu, un bricolage ? » Le soir, au calme, elle y a repensé : « Pourquoi cette question m’angoisse-t-elle tant ? Est-ce à moi de remplir tous les vides ? Et si ces vides pouvaient leur apporter quelque chose ? Moi, les temps morts, je ne sais plus ce que c’est. Après les devoirs de l’ainée, la fin du repassage, la liste des courses pour le lendemain et la préparation du repas, si je veux un moment creux, je dois l’arracher au temps qui court. Les enfants aussi sont pressés par le temps et quand ils n’ont plus rien à faire, les voilà perdus. » Quand la question est revenue, deux semaines plus tard, Claire a répondu : « Et si on apprenait à s’ennuyer un peu ? ». Julien et sa sœur Sophie l’ont regardée, interdits. Maman doit être tombée sur la tête ! Sophie, la première, a repris pied. Elle a commencé à raconter lentement son après-midi, pendant que maman cuisinait. Elle avait été chanter au home voisin. Et sa copine avait même chanté une chanson en néerlandais. Les résidents étaient très contents. Julien, lui, est resté plus bougon. Puis il est parti dans la pièce d’à côté et a commencé à parler à son cobaye. Claire n’a pas entendu ce qu’il lui racontait…


Quel moment de bonheur ! Etre ensemble, écouter le temps qui passe, le silence qui apaise… Sans anxiété, ne rien faire et s’y trouver bien. Moment rare et intense…


À la recherche de l’équilibre


Comme souvent, la gestion par les parents des activités parascolaires de leurs enfants est une recherche délicate de l’équilibre, entre toute une série de désirs et aspirations des enfants comme des parents, mais aussi d’injonctions sociales et de contingences pratiques. Il faut pouvoir abandonner l’illusion d’un développement total de l’enfant, qui arriverait à tout connaître, tout maîtriser. La pression à la consommation influence également ce secteur qui devrait plutôt transpirer d’un sentiment de calme et de sérénité. La gestion du temps [3] est sans doute aujourd’hui un enjeu essentiel, tant le stress semble s’infiltrer dans tous les secteurs de l’existence, même celui des loisirs, et cela dès l’enfance parfois. Il faut aussi pouvoir se fixer un budget et passer des contrats avec les enfants : tout n’est pas possible, mais quand on investit dans une activité, on s’y tient jusqu’au bout de l’année.


Les loisirs donnent aussi l’occasion collatérale de porter un regard critique avec les enfants sur les multiples sollicitations dont les enfants comme les adultes sont l’objet et d’apprendre à déceler le mélange parfois savant d’objectifs louables comme la santé ou le développement de telle ou telle faculté, et des intérêts parfois uniquement financiers [4].

 

 

 

 

 

 

 


 

[1] Déjà en 1990, Couples et Familles avait étudié la question du secteur des loisirs à destination des enfants et attirait l’attention sur le risque d’excès. Depuis, le secteur s’est considérablement développé.
[2] Intervention de Frank Vandenbroucke, aujourd’hui professeur à la KUL et à l’Université d’Anvers, lors d’un congrès d’économistes le 21/11/2013. Il commentait des chiffres issus de l’enquête européenne Slic (Statistics on income and living conditions).
[3] Voir à ce propos Christine Lemaire, La surchauffe de nos agendas. Vivre le temps autrement, Fides, 2013.
[4] Analyse rédigée par José Gérard. Celle-ci a été publiée sous une forme abrégée dans le magazine RiveDieu d’octobre 2013.

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