Analyse 2013-24

Tout le monde s’accorde pour dire que l’exploitation sexuelle des enfants est un fléau contre lequel il faut lutter. Pourtant, cette unanimité ne parvient pas à éradiquer le phénomène. Bien au contraire, celui-ci est en pleine expansion. Qu’est-il possible de faire, à un niveau structurel et international, mais aussi à titre individuel ?
 

 

Qu’est-ce que l’exploitation sexuelle des enfants ?


L’exploitation sexuelle commerciale des enfants est l’abus sexuel contre toute forme de rétribution en nature ou en espèces versée à l’enfant ou à une ou plusieurs tierces personnes. L’enfant y est traité comme un objet sexuel et comme un objet commercial. Cette exploitation sexuelle commerciale peut revêtir plusieurs formes. Selon la Déclaration des Nations Unies, la prostitution enfantine est le fait d’engager ou d’offrir les services d’un enfant à des fins sexuelles en contrepartie d’argent ou de toute autre forme de rétribution. Il ne doit pas y avoir obligatoirement de contact sexuel pour parler de prostitution. Les stripteases, les massages sexuels par des mineurs sont également considérés comme de la prostitution enfantine. Le trafic d’enfants, lui, signifie le recrutement, le transport, l’hébergement ou l’accueil d’enfants à l’intérieur ou à l’extérieur des frontières d’un pays, par le recours à la force, pour les exploiter sexuellement dans la prostitution, la pornographie ou les mariages forcés. Il y a aussi la pornographie enfantine, ou l’utilisation d’enfants dans des actes sexuels, réels ou simulés, ou la représentation visuelle des parties génitales de l’enfant dans le but d’assouvir les pulsions sexuelles de l’utilisateur. La pornographie enfantine concerne aussi bien la production, que l’utilisation et la diffusion de ce matériel, quel que soit le support : livres, BD, vidéos, sites internet, photographies, etc.


Le tourisme sexuel est également une forme d’exploitation sexuelle commerciale par des personnes qui voyagent et ont des rapports sexuels avec des enfants. En Belgique, l’affaire « Dutroux » a rappelé que l’exploitation sexuelle des enfants existe et n’est pas un phénomène isolé, mais plutôt une conséquence de la manière dont une société traite ses enfants et ne respecte pas leurs droits.


Les conséquences sur les enfants


Outre qu’elle les prive du droit de profiter d’une enfance gratifiante, l’exploitation sexuelle des enfants peut avoir des conséquences graves et irréversibles sur le développement physique, psychologique, spirituel, moral et social des enfants, et même leur survie.


Le danger le plus immédiat auquel les victimes doivent faire face est la violence physique de leurs abuseurs, y compris les proxénètes. Il y a de nombreux témoignages d’enfants qui ont été battus jusqu’à perdre connaissance, brûlés avec des cigarettes et violés pour avoir refusé de travailler.


Les enfants sont encore plus vulnérables que les adultes aux maladies sexuellement transmissibles, y compris l’infection par le VIH, parce que leurs tissus et muqueuses sont plus fragiles. Par ailleurs, les enfants exploités ne sont pas souvent dans une position qui leur permettrait de réclamer l’usage de préservatifs ; sans compter qu’un grand nombre d’entre eux n’ont jamais reçu d’information sur les rapports sexuels protégés ou sur la façon dont se contracte le sida.


Les répercussions psychologiques, si elles sont plus difficiles à évaluer, n’en sont pas moins douloureuses pour l’enfant. Un grand nombre d’enfants abusés vivent des sentiments de honte, de culpabilité et de manque de respect d’eux-mêmes. Certains pensent même qu’ils ne sont pas dignes d’être secourus. Certains souffrent de penser qu’ils ont été trahis par quelqu’un en qui ils avaient confiance. D’autres encore ont des cauchemars, des insomnies, des crises de désespoir et des dépressions. Les personnes qui ont la charge des enfants exploités assimilent ces sentiments à ceux qu’ont ressentis les victimes de tortures. Pour s’en sortir, certains enfants font des tentatives de suicide ou se réfugient dans la drogue.


La conséquence la plus grave est peut-être que la réhabilitation de ces enfants est quasi impossible, si on entend par réhabilitation qu’un enfant a été sauvé de la prostitution, vit de nouveau heureux avec sa famille retrouvée. En effet, beaucoup d’enfants victimes d’exploitation sexuelle à des fins commerciales continuent à travailler dans l’industrie du sexe ou y retournent ultérieurement.


Un phénomène en expansion


Chaque année, 1,2 million d’enfants ont leur enfance volée par des trafiquants et des proxénètes sans scrupules, générant un marché mondial de 12 milliards de dollars. Ces chiffres qui donnent le vertige, Steven M. Hilton, président de la Fondation du même nom, les rappelait lors de la remise du Prix Hilton [1] 2013 à ECPAT International [2], un réseau mondial d’organisations luttant pour l’éradication de l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales.


La remise de ce prix, en plus du soutien financier qu’il représente, montre une évolution de l’attention des instances internationales vis-à-vis de ce fléau. Pour Ariane Couvreur, permanente d’ECPAT Belgique, on peut dire que depuis vingt ans il y a clairement une évolution positive. Les gouvernements, les autorités policières, le grand public mais aussi le secteur du tourisme ont pris conscience de l’importance de ce phénomène.


Jusqu’il y a quelques années, quand on évoquait la prostitution enfantine, on pensait au tourisme sexuel en Thaïlande. Aujourd’hui, cela ne concerne plus uniquement l’Asie. L’Amérique centrale, avec Haïti et la République dominicaine, l’Amérique latine, l’Afrique, mais aussi l’Europe, avec la Roumanie et la Bulgarie, sont touchées par le phénomène. À Bruxelles, pas mal de prostituées mineures sont d’origine bulgare ou roumaine. Pour Ariane Couvreur, cela s’est encore accentué depuis 2008. La crise économique mondiale appauvrit une partie de la population qui se retrouve dans des situations où la seule manière de survivre est la prostitution, la vente de services sexuels, voire la vente de ses propres enfants. Mais il n’y a pas que la crise économique. Le tremblement de terre en Haïti, par exemple, a mis à la rue un nombre incalculable d’orphelins qui n’ont plus d’existence légale et deviennent alors des proies faciles pour les réseaux de traite d’enfants.


Que faire ?


L’association est particulièrement attentive à sensibiliser le secteur du tourisme, qui se trouve en première ligne. Elle a par exemple créé The code.org, un code de conduite pour la protection des enfants contre l’exploitation sexuelle dans le tourisme, signé aujourd’hui et mis en œuvre par plus de 240 tour opérateurs, hôtels, agences de voyage et syndicats de travailleurs dans le tourisme, dans 21 pays. Les signataires s’engagent par là à prendre toute mesure utile pour faire barrage à cette exploitation : établir une politique éthique d’entreprise contre l’exploitation sexuelle des enfants ; former le personnel de leurs entreprises ; introduire une clause dans les contrats avec leurs fournisseurs dans laquelle ils déclarent leur rejet de l’exploitation sexuelle des enfants ; informer les touristes ; informer leurs agents locaux. Ce code est reconnu par l’UNICEF et par l’OMT (organisation mondiale du tourisme).


Cette action commence à porter ses fruits, mais le développement des nouvelles technologies met l’association face à de nouveaux défis. Les productions pornographiques mettant en scène des enfants sont aujourd’hui produites et accessibles très facilement. A l’aide d’une webcam, n’importe qui peut réaliser et diffuser de telles images. Les sites sont moins localisables géographiquement, car ils bougent sans cesse d’un serveur à l’autre. Les auteurs ont souvent une longueur d’avance et les forces policières doivent s’initier sans cesse à de nouvelles techniques, sans compter qu’il faut aussi faire évoluer les lois.


Une partie importante du travail d’ECPAT consiste à essayer de nouer des liens de partenariat. Outre l’industrie du tourisme, elle s’attelle à convaincre des opérateurs technologiques comme Google ou Microsoft de l’importance d’apporter leur aide à l’identification et à l’éradication des sites de pornographie enfantine. Il faut négocier avec les grandes banques et les services de police pour identifier et contrer les transferts d’argent issus de ce trafic. Ils s’efforcent aussi de toucher le grand public par des campagnes de sensibilisation. Bien sûr, note la permanente, nous ne touchons pas par ces campagnes le public directement concerné, à savoir les abuseurs. Ceux qui choisissent délibérément des voyages en fonction de l’offre enfantine pensent toujours qu’ils passeront entre les mailles du filet. Seule la multiplication des condamnations pourrait les faire réfléchir. Par contre, ceux qui auraient pu se laisser tenter sur place y réfléchiront peut-être à deux fois s’ils ont feuilleté une brochure qui leur rappelle l’interdiction légale et les conséquences possibles, ainsi que les dégâts sur les enfants.


À titre individuel, tout citoyen devrait se sentir concerné par ce phénomène. C’est pourquoi ECPAT incite tout qui serait amené à être en contact avec des offres sexuelles impliquant des enfants, que ce soit lors de voyages à l’étranger ou via Internet, à dénoncer ces pratiques et à transmettre les informations aux forces de police. Il n’y a que de cette manière que la lutte pourra petit à petit donner de bons résultats. L’avenir de nombreux enfants est en jeu [3].

 

 

 

 

 

 

 


 

[1] La Fondation Conrad Hilton a été créée en 1944 par le fondateur des hôtels Hilton. Il a légué sa fortune pour aider les personnes les plus défavorisées et vulnérables de la planète. La Fondation décerne chaque année un prix d’un montant de 1,5 millions de dollars. www.hiltonfondation.org
[2] ECPAT international a été fondé en 1990 et est constituée en ONG internationale. Son secrétariat international est situé à Bangkok et travaille avec 81 organisations membres dans 74 pays. www.ecpat.net
[3] Analyse rédigée par José Gérard suite à une rencontre avec Ariane Couvreur, permanente d’ECPAT en Belgique. Cette analyse a fait l’objet d’une publication abrégée dans le magazine mensuel L’Appel d’octobre 2013.

 

 

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