Analyse 2013-31

  Lorsqu’on pose la question du genre, on peut se demander quelle est la position d’un mouvement syndical comme la CSC ? Qu’est-ce qui, finalement, est important dans le concret d’une organisation sociale quant aux théories du genre ? Ces théories ont-elles un impact ? Et si oui, lequel ? 

 

D’abord une histoire de femmes


L’égalité entre hommes et femmes est une vieille question au sein du mouvement syndical. Au cours de son histoire, la CSC a d’abord introduit une action syndicale de « femmes » pour en arriver aujourd’hui à une action de « l’égalité de genre ».


En 1938, la CSC signe un accord avec les LOFC-KAV, les ligues féminines francophone et flamande. Elle leur procure les moyens financiers de mener une action syndicale directement au sein des ligues. Mais cette forme d’organisation ne correspond pas aux attentes. Il s’avère difficile pour les ligues féminines de promouvoir les revendications syndicales. En 1947, la CSC décide de rependre en son sein, la charge complète de l’action syndicale en faveur des femmes et elle crée un service syndical féminin, sous la conduite de Maria Nagels. Un journal destiné aux militantes voit alors le jour : Vrouwen aan de arbeid (Femmes au travail, la version francophone, ne paraît qu’à partir de 1966) [1].


La féminisation grandissante de l’emploi, qui s’accélère dès les années 1950, notamment en raison de la tertiairisation générale de l’économie, n’avait pas échappé à la CSC qui comprenait tout l’enjeu de défendre la cause des femmes et de les attirer dans ses rangs afin d’augmenter les effectifs des membres. Dans les années 1960, la part des femmes dans les effectifs de la CSC est de 20% environ et cela augmente davantage dans les années 1970, notamment au sein des centrales des Employés étant donné l’engagement important des femmes dans le secteur tertiaire à des postes notamment administratifs [2].


A partir de 1961, aux côtés d’autres commissions, la CSC crée une Commission consultative féminine nationale pour les intérêts des femmes (renommée plus tard, en pour les intérêts des travailleuses). Des déléguées des centrales et des fédérations s’y réunissent et inscrivent des revendications spécifiquement féminines à l’ordre du jour des congrès de la CSC. Ainsi, en novembre 1966, l’ordre du jour du congrès affiche en tête « La femme dans le mouvement syndical ».


Mais l’événement le plus marquant dans l’histoire syndicale en termes de revendications féminines est certainement la grève de douze semaines que quelques 3000 travailleuses de la Fabrique Nationale de Herstal mènent en 1966. Elles proclament haut et fort une revendication à travers le slogan suivant : « A travail égal, salaire égal ! ». Elles obtiennent partiellement gain de cause.


Des revendications et des enjeux


Quelles sont les revendications des femmes de la CSC ? Premièrement, une représentativité des femmes en fonction de leurs effectifs syndiqués. Deuxièmement, l’atteinte d’une réelle égalité entre hommes et femmes dans le domaine professionnel et dans la société en général.


Ces revendications représentent plusieurs enjeux importants : des enjeux démocratiques, des enjeux pour la pérennisation du mouvement syndical, des enjeux pour une société plus juste et égalitaire.


Aujourd’hui, quels sont les constats que l’on peut dresser de l’action syndicale féminine au sein de la CSC ? La participation des femmes au mouvement syndical reste trop faible par rapport à leur présence sur le marché de l’emploi. Certes de plus en plus de femmes s’affilient, mais elles sont encore trop peu nombreuses à prendre part véritablement à l’action syndicale. Cela se vérifie sur le terrain, mais encore davantage dans les structures décisionnelles de la CSC. Les femmes sont donc sous-représentées sur le plan syndical.


Les mouvements féministes en général, en ce compris l’action syndicale féminine, ont conduit à de nettes avancées notamment législatives. Aujourd’hui, en Belgique et en Europe, un important dispositif législatif est établi en matière d’égalité entre hommes et femmes, notamment dans le domaine professionnel. Toutefois, précisément dans le domaine du travail, force est de constater que les femmes sont encore victimes de discriminations. On estime à 24% l’écart salarial entre un homme et une femme. En moyenne, les femmes ont donc un salaire inférieur de 24% à celui des hommes. Les tâches familiales et domestiques sont encore en majorité du ressort des femmes. Les inégalités persistent également sur le plan de l’accès à la formation et l’accès aux promotions. Il en est souvent question dans la presse, les femmes accèdent difficilement à des postes à responsabilités. Il existe un plafond de verre qui les empêche d’accéder aux niveaux supérieurs de rémunération, de hiérarchie ou de pouvoir.


On peut se poser la question : les revendications féminines sont-elles suffisamment intégrées dans le travail syndical ? Il faut bien le reconnaître, les femmes sont bien seules à défendre leur cause. La lutte contre les discriminations en faveur de l’égalité homme/femme relève souvent de la seule responsabilité des femmes.


D’une approche « femmes » à une approche « genre »


Depuis les années 2000, la CSC a opéré un tournant important pour ouvrir de nouvelles pistes dans la résolution de cette problématique. La confédération est passée d’une approche strictement « femmes » à une approche plutôt orientée « genre ». Le congrès de 2002 [3] lance une nouvelle dynamique. Une partie du congrès est consacrée à la présence des femmes à la CSC. En effet, le rapport d’activités des quatre années précédentes est négatif. Il ressort que, en dépit des bonnes intentions, aucun progrès notable n’a été enregistré, en particulier pour la présence des femmes dans les instances. Des résolutions fermes sont donc décidées à propos de l’égalité hommes et femmes ainsi que sur l’augmentation de la participation des femmes à l’action syndicale.


Tout d’abord, il est établi qu’il faut dresser un plan d’action global national, réalisable, visible et évaluable avec des échéances et des obligations de résultat. Ce plan d’action a pour but d’assurer une représentation d’au moins 1/3 d’hommes et de femmes dans les instances et de garantir l’égalité des chances dans le cadre de l’action syndicale.


Le plan d’action doit aussi se répercuter dans la composition des listes pour les élections sociales. Il faut notamment veiller à une représentation proportionnelle d’hommes et de femmes aux places éligibles sur les listes. La CSC prévoit les formations et les moyens utiles pour atteindre cet objectif.


Autre temps fort marquant cette transition progressive vers une approche de genre : la signature en 2004, par les trois organisations syndicales belges (CSC, FGTB et CGSLB), de la « Charte Gendermainstreaming dans les syndicats » [4]. Cette nouvelle approche implique désormais que l’égalité entre hommes et femmes n’est plus seulement du ressort de ces dernières, elle est l’affaire de tous.


Le genre est conçu à la CSC comme une méthode de travail qui permet, d’une part, d’établir les besoins des unes et des autres (tantôt différenciés, tantôt communs), d’autre part, de développer les réponses et les revendications qui permettront de tendre vers l’égalité.


Cette approche en genre nécessite un travail méthodique qui comprend plusieurs phases importantes : une phase de récolte de données sexuées, une phase d’analyse (dans les domaines traités, où en est la situation des hommes et où en est la situation des femmes ?), une phase de concrétisation (comment agir pour créer l’égalité ?).


L’un des premiers constats des théories du genre est la distinction entre sexe et genre. Le sexe appartient au domaine biologique. Il s’agit d’une caractéristique naturelle qui différencie les hommes et les femmes. Généralement, on naît fille ou garçon et généralement, on le reste. Le genre, lui, relève du contexte socioculturel. Dans pratiquement toutes les cultures et sociétés, certains rôles sont considérés comme plutôt masculins, d’autres comme plutôt féminins. Or, les rôles masculins sont mieux valorisés que les rôles féminins, notamment sur le plan professionnel.


En optant pour une approche syndicale de genre, il n’est pas question d’opposition entre hommes et femmes ni de dilution des sexes, mais plutôt d’améliorer les conditions de travail et de vie pour toutes et tous et d’atteindre l’égalité.


Des actions concrètes…


En 2008, la CSC a établi un plan d’action basé sur trois leviers principaux : la formation syndicale, la communication et les négociations.


Plusieurs outils de travail ont été conçus pour soutenir ces actions. Au niveau de la formation, une checklist « genre » existe afin de guider les responsables de formation vers le respect du principe d’égalité. Ils sont invités à prendre en considération les spécificités, les réalités, les situations, les préoccupations, les revendications des hommes et des femmes dans une optique d’égalité et ceci dans tout le processus de formation syndicale, à tous les niveaux de l’organisation de la formation. Un exemple simple, lorsqu’on réalise un exercice de mise en situation sous forme de jeu de rôle, veiller à la mixité des personnages, veiller aussi à ne pas reproduire certains stéréotypes de genre tels que « les secrétaires sont toujours des femmes et les hauts responsables hiérarchiques sont toujours des hommes ».


Concernant les négociations, plusieurs propositions ont été édictées dans un document intitulé « Egalité, mission inachevée [5] ». Ces propositions sont axées sur plusieurs thématiques : la rémunération égalitaire ; le plafond de verre dans l’accès des femmes aux plus hauts niveaux de la hiérarchie ; le temps de travail, la flexibilité et le temps partiel ; la conciliation vie professionnelle et familiale ; la lutte contre la précarité des contrats ; la formation ; la fin de carrière.


Enfin, diverses campagnes de communication sensibilisent à propos de l’égalité. La CSC a ainsi publié « Ensemble construisons l’avenir. Carnet de bord pour l’égalité de genre [6] » ou encore une série de tracts pour développer une atmosphère favorable à l’égalité de genre [7] ou une campagne concernant les stéréotypes baptisée « Ensemble, effaçons les clichés et bossons pour l’égalité [8] ». Voici quelques exemples des stéréotypes dénoncés par cette campagne :


- Infirmière, un métier de femme !
- Soudeur, c’est pas un métier de fille.
- Les hommes ont plus de responsabilités.
- La couture, c’est pas pour les mecs !
- Les hommes ne pleurent pas.
- La place des femmes est à la maison.
- Laisse-moi faire, c’est pas une histoire de garçons.
- Le repassage, c’est un travail de femme.
- L’autorité, un truc d’homme.
- La technique, c’est pour les garçons.
- Les hommes ne savent pas s’occuper des enfants.
- Le bricolage, une affaire d’hommes.
- Les femmes sont plus à l’écoute que les hommes.
- Le foot, c’est pas pour les nanas !
- La lessive, un truc de fille !


Les effets de cette approche « genre » sont encourageants. Il faut noter des résultats significatifs en termes de participation des femmes et de prise en considération de leurs préoccupations et revendications dans l’action syndicale. Toutefois, il faut aussi rester vigilent constamment car le chemin vers l’égalité n’est pas terminé.


A l’heure actuelle, les prochains défis de la CSC se situent principalement au niveau des élections sociales. Les listes devraient comporter plus de femmes candidates, ce qui engendrerait, on l’espère, un plus grand nombre de femmes élues [9].

 

 

 

 

 

 

 


 

[1] Emmanuel Gérard et Paul Wynants (dir.), Histoire du mouvement ouvrier chrétien en Belgique, Tome 2, Leuven University Press, 1994, p. 261 et 384.
[2] Idem, p. 261.
[3] 32e congrès CSC, Le juste revenu, 17-19 octobre 2002.
[4] A ce propos, voir Saskia Ravesloot et Maxime Stroobant (dir.), La Charte « Gendermainstreaming dans les syndicats », un catalysateur de la politique syndicale belge en matière de genre, 2005-2007, VUBPress, 2008.
[5] Document disponible sur le site de la CNE www.cne-gnc.be.
[6] Document disponible sur le site de la CSC www.csc-en-ligne.be.
[7] Document disponible sur le site de la CSC www.csc-en-ligne.be.
[8] Document disponible sur le site de la CSC www.csc-en-ligne.be.
[9] Analyse rédigée par Laurianne Rigo à partir des notes prises lors de l’intervention de Patricia Biard, responsable nationale des femmes et de l’égalité de genre à la CSC, pendant le colloque organisé le 28 novembre 2013 par Couples et Familles sur le thème « Qui a peur du genre ? ».

 

 

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