Analyse 2017-07

La famille : une mère ; un père ; un, deux, voire trois enfants (ou plus). Dans notre société, la composition de nombreuses familles s’éloigne de ce cliché. Famille monoparentale, famille recomposée, famille d’accueil, etc. sont autant de réalités avec lesquelles il faut composer… et ce n’est pas toujours évident d’y accoler un cadre légal qui satisfasse toutes les parties.

Couples et Familles s’est déjà penché sur la question de ces nouveaux liens familiaux dans l’un de ses dossiers paru en 2011 et où sont présentées diverses situations concrètes auxquelles des familles que nous avons rencontrées sont confrontées, ainsi qu’une tentative de réponse aux multiples questions que suscitent ces nouveaux liens : « Comment trouver sa place ? Comment garantir une place à chacun ? Que faire en cas de nouvelle rupture ? Comment les enfants vont-ils se construire une identité au milieu de tous ces liens aux statuts différents ? Est-ce que l’amour suffit à tout arranger ? etc. » [1]

Une avancée pour les familles d’accueil

C’est une loi concernant les familles d’accueil qui a été votée en mars 2017 qui a motivé Couples et Familles à se replonger dans la thématique de ces liens familiaux que l’on pourrait qualifier de « non traditionnels ». 

Un statut pour les parents d’accueil est donc désormais à l’ordre du jour. Celui-ci permettra d’y voir plus clair dans les relations entre les parents d’accueil, aussi appelés « parent nourriciers » et les parents d’origine. [2] Cette loi a déjà fait couler pas mal d’encre… pourquoi ? Tentons de faire le point sur la situation.

Du côté des parents nourriciers

Vivement souhaité depuis plus d’une vingtaine d’années aussi bien par les parents d’accueil que par diverses associations, un cadre légal qui autorise la prise de certaines décisions par les familles d’accueil à l’égard des enfants dont elles prennent soin est enfin mis au point. Auparavant, ces familles se voyaient confrontées à une sorte de « flou » lorsqu’il leur fallait prendre de simples décisions inhérentes à la vie quotidienne, comme par exemple : décider si l’enfant pouvait aller dormir chez un copain. [3] Cette opacité contraignait les parents nourriciers à prendre des décisions sans qu’ils aient nécessairement obtenu un quelconque accord ; ou encore, sans qu’ils aient la conviction d’être dans leur droit en agissant de telle ou de telle manière. [4] Situation quelque peu inconfortable…

Ainsi, à partir de septembre, les parents d’accueil bénéficieront de réels repères octroyés par cette nouvelle loi récemment votée, et qui prévoit notamment l’établissement d’une convention entre les parties [5] où sera clairement stipulée la marge de manœuvre qui revient aux parents qui accueillent l’enfant dans leur foyer.

En outre, les familles auront aussi la possibilité de maintenir des liens avec les enfants une fois l’accueil terminé afin d’éviter à ceux-ci d’être confrontés à une séparation nette qui surviendrait « du jour au lendemain ». [6]

Cette nouvelle loi semble ainsi apporter bien plus qu’un statut clairement défini aux familles d’accueil ; elle tend à les reconnaître davantage. Toutefois, pour que cette reconnaissance soit totale, il reste pas mal de chemin à parcourir. Citons par exemple un accès aux congés parentaux qui est revendiqué par de nombreuses familles d’accueil. [7]

Ces avancées permettront peut-être à certaines familles hésitantes d’oser rejoindre la « communauté » des parents nourriciers qui accueillent en Fédération Wallonie-Bruxelles pas moins de quatre mille enfants. [8] En effet, « recruter » des familles paraît indispensable dans la mesure où actuellement, cent cinquante enfants en attendent, peut-être désespérément, une. [9]

Du côté des parents naturels

Les parents naturels vont désormais faire face à une délégation de leur autorité parentale. Chose qui est loin d’être anodine étant donné que celle-ci – bien qu’elle soit profitable aux familles d’accueil – risquerait de contribuer à renforcer une mise à l’écart des parents d’origine. [10]

Ainsi, la proposition de loi du 27 février 2017 indique que les parents et les accueillants familiaux peuvent élaborer une convention écrite – qui sera soumise pour homologation au tribunal de la famille –  par laquelle la compétence de prendre des décisions importantes (notamment en ce qui concerne la santé, l’éducation, les loisirs, l’orientation religieuse ou philosophique de l’enfant, etc.) est déléguée aux accueillants familiaux « y compris en dehors des cas d’urgence ». [11]

Jusque-là, on ne peut nier la prise en compte des parents d’origine dans la répartition des droits et le respect d’un certain équilibre en ce qui concerne l’intérêt de chacune des parties ; mais l’article suivant de la proposition le balaye d’un revers de main.

« A défaut de convention telle que visée à l’article 387 septies et à condition que pendant au moins un an avant la demande, l’enfant ait été placé de manière permanente dans la famille des accueillants familiaux, les accueillants familiaux peuvent demander au tribunal de la famille de leur déléguer, également hors le cas d’urgence, en tout ou en partie, la compétence de prendre des décisions importantes (…). » [12]

Dès lors, des décisions importantes qui ne vont peut-être pas dans le sens de ce qu’auraient souhaités les parents pour leur enfant sembleraient néanmoins pouvoir se prendre à l’égard de celui-ci dans la mesure où il vit depuis au moins un an dans sa famille d’accueil… On pense notamment au choix de l’orientation religieuse ou philosophique par exemple.

Ainsi, même si cette demande de délégation auprès du tribunal peut dans certains cas s’avérer réellement pertinente, il se peut aussi qu’un afflux de demandes survienne après un an de placement sans que cela ne se justifie réellement. Dans l’émission Le Forum diffusée le 16 février 2017 sur la Première, il était question du statut des accueillants familiaux et, en plus de souligner le risque que davantage de cas se voient judiciarisés, une crainte fût mise en évidence dans le débat : celle que les parents naturels se montrent plus réticents à la possibilité d’un placement sachant qu’il existe un risque bien réel, après seulement un an, de voir « s’envoler » certains de leurs droits. [13]

À quand une avancée dans la lutte contre la pauvreté ?

Cette proposition de loi va certainement faciliter la vie de nombreuses familles d’accueil ; mais une loi visant à faciliter la vie des familles précarisées, parfois contraintes de se séparer temporairement de leur enfant, n’aurait-elle pas été plus urgente à mettre sur pied ?

Autrement dit, pourquoi ne pas fournir autant d’efforts dans la lutte contre la pauvreté (qui peut incontestablement parfois constituer un motif de placement d’enfant) que dans l’élaboration d’une loi rendant le quotidien des parents nourriciers plus confortable ? Certes, heureusement qu’il existe des familles d’accueil qui se dévouent corps et âme pour offrir un environnement sécurisant à ces enfants au parcours de vie qui n’est pas des plus enviable, de même qu’une prise en charge plus globale. La société a besoin de personnes qui se soucient des plus malheureux et il peut sembler normal qu’en contrepartie de cet engagement, les politiques publiques se soient intéressées aux difficultés qu’elles éprouvent au quotidien dans leur mission d’aide.

Mais plutôt que d’établir des cadres juridiques qui tentent tant bien que mal de composer avec les conséquences de la pauvreté (dans ce cas précis : le placement d’enfants en famille d’accueil et le flou qui entourait cette question), s’attaquer à ce qui la cause aurait probablement un impact plus significatif sur les placements, comme une possible baisse considérable de ceux-ci.

Même si la pauvreté n’est évidemment pas le seul motif de placement, le fait est qu’elle « sépare les familles » précise la Coordination des ONG pour les Droits de l’Enfant dans l’une de ses analyses de 2013, qui stipule également que les difficultés matérielles et financières sont à la base de 15% des placements en Fédération Wallonie Bruxelles. Cette analyse signale aussi que plusieurs études mettent en évidence un lien entre la pauvreté, ou pourrait-on dire, le profil socio-économique des familles, et le risque de faire face à une mesure de l’Aide à la jeunesse dont le placement fait bien entendu partie. En effet, des difficultés – voire carrément une absence – d’accès à diverses ressources matérielles ou à de l’information ainsi qu’une éventuelle mécompréhension de celle-ci sont autant d’obstacles qui parsèment le quotidien de nombreuses familles vivant dans la pauvreté. Par ailleurs, beaucoup d’associations de terrain remarquent que le placement en raison d’une situation de pauvreté est une réalité qu’on ne peut nier. En outre, les familles les plus pauvres risquent davantage que les familles plus aisées de se retrouver dans le collimateur du « contrôle social » et d’être ainsi signalées. [14]

Des statuts pour les « parents sociaux »

Pour conclure cette analyse, nous pouvons mettre en évidence d’une part, la difficulté qu’il y a à octroyer des droits aux « parents » issus des nouveaux liens sociaux sans déposséder en contrepartie les parents d’origine de leurs prérogatives ; car à partir du moment où des tiers disposent de droits envers l’enfants, le lien privilégié qui lie les parents à leur enfant risque d’être affaibli. L’intérêt de l’enfant doit indiscutablement toujours déterminer toutes les prises de décisions en la matière.

D’autre part, les politiques publiques devraient davantage focaliser leur attention sur les véritables causes qui mènent aux placements d’enfants afin d’en éviter le plus possibles plutôt que de concentrer leurs efforts dans la recherche de nouveaux parents nourriciers prêts à accueillir les enfants qui attendent d’être placés. S’atteler à aider les parents naturels à assumer leur rôle de parents plutôt que de faciliter la délégation de leur autorité aurait été un angle d’attaque plus opportun à suivre, selon Couples et Familles, pour restaurer une unité familiale défaillante. La proposition de loi qui tend à reconnaître les familles d’accueil est bien évidemment une chose que nous félicitons mais qui d’après nous, n’avait pas la priorité sur la lutte contre les causes du placement. Les parents d’accueil font preuve d’une solidarité et d’un engagement formidable, mais celui-ci ne serait peut-être pas tant sollicité si les politiques publiques fournissaient aux parents d’origine pour qui cela est possible, les moyens d’assumer leur parentalité.

Toutefois, nous sommes conscients qu’il existera toujours des situations extrêmes où il est préférable que l’enfant soit éloigné de ses parents et reconnaissons l’importance de la solidarité et de l’altruisme dont les parents d’accueil font preuve. [15]

 

 

 

 

 

 


 

[1] Nouveaux liens familiaux, dossier NFF n°98. Malonne : éditions Feuilles Familiales, 2011, 96 p.
[2] La Chambre approuve la loi sur les familles d'accueil. In : http://trendstop.levif.be/. Consulté le 16 mars 2017.
[3] La révision du statut des familles d'accueil apportera plus de légitimité aux parents nourriciers (10 mars 2017). In : https://www.rtbf.be/auvio/. Consulté le 17 mars 2017.
[4] Une nouvelle loi va faciliter la vie des familles d'accueil. In : http://www.rtl.be/. Consulté le 21 mars 2017. 
[5] Une nouvelle loi va faciliter la vie des familles d'accueil. In : http://www.rtl.be/. Consulté le 21 mars 2017.
[6] La révision du statut des familles d'accueil apportera plus de légitimité aux parents nourriciers (10 mars 2017). In : https://www.rtbf.be/auvio/. Consulté le 17 mars 2017.
[7] Une nouvelle loi va faciliter la vie des familles d'accueil. In : http://www.rtl.be/.  Consulté le 21 mars 2017. 
[8] Communiqué de presse : Vers un statut juridique pour les familles d’accueil ? Etat d’avancement des discussions parlementaires (17/02/2017). In : http://www.accueil-familial.be/. Consulté le 21 mars 2017.
[9] Une nouvelle loi va faciliter la vie des familles d'accueil. In : http://www.rtl.be/.  Consulté le 21 mars 2017.
[10] Une nouvelle loi pour les familles d’accueil. In : https://www.laligue.be/. Consulté le 22 mars 2017.
[11] Proposition de loi modifiant la législation en ce qui concerne les droits et les devoirs des parents nourriciers. Chambre des représentants de Belgique. 27 février 2017. Texte adopté en deuxième lecture par la commission de la justice. Proposition de loi modifiant la législation en vue de l’instauration d’un statut pour les accueillant familiaux (nouvel intitulé). In : http://www.accueil-familial.be/. Consulté le 22 mars 2017.
[12] Ibid.
[13] Le forum – Le statut des accueillants familiaux - La Première (16 février 2017). In : https://www.rtbf.be/auvio/.  Consulté le 16 mars 2017.
[14] Coordination des ONG pour les droits de l’enfant. Prises en charge et placements par l’Aide à la jeunesse en Fédération Wallonie-Bruxelles : les motifs. Analyse CODE, avril 2013, 10 p. In : http://www.lacode.be/. (Consulté le 22 mars 2017).
[15] Analyse rédigée par Audrey Dessy.

 

 

 

 

 

 

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