Analyse 2017-20

Envie d’en savoir plus sur soi, sur ses ancêtres, sur ses origines ? Bon nombre d’internautes désireux d’effectuer un « retour aux sources » n’hésitent pas à se tourner vers des sites internet proposant divers services susceptibles de les éclairer dans leur « quête identitaire ».

La généalogie en ligne ne date pas d’hier. Au fil des années, elle a su s’imposer sur la toile de sorte à devenir un marché particulièrement juteux. En effet, aujourd’hui, les personnes sensibles à ce type de questionnement ne manquent pas.

La réalisation d’arbres généalogiques est indéniablement fortement facilitée par ces services en ligne où se côtoient d’innombrables données historiques en tout genre. De l’acte de naissance aux inscriptions figurant sur les pierres tombales en passant par l’acte de mariage par exemple, nombreuses sont les sources qui viennent enrichir ces bases de données. En 2014, selon le fondateur de MyHeritage, cinq millions de nouvelles données s’ajoutaient quotidiennement aux milliards d’autres constituant son réseau. [1]

Toujours plus de services…

Afin d’en découvrir encore davantage sur son histoire, pourquoi ne pas carrément réaliser un test ADN ? À l’heure actuelle, il semblerait que cette pratique relève plus du champ du banal que du déconcertant. En effet, plusieurs firmes mettent en vente des kits ADN. Un peu de salive et le tour est joué : les internautes ont enfin la possibilité de découvrir leurs origines ethniques ou encore, des parents dont ils ignoraient l’existence. Bienvenue dans l’ère de ce que les scientifiques appellent « la génomique récréative ». [2]

… et de dérives

Hormis le fait qu’envoyer un échantillon de son ADN à un laboratoire susceptible de l’encoder dans une base de données en ligne – dont l’étendue des finalités possibles est immense – parait légèrement attentatoire à la vie privée (on ne peut que se demander ce qu’il adviendra dudit échantillon), plusieurs enjeux familiaux sont au cœur de cette tendance.

D’abord, en cédant son ADN de la sorte, c’est également celui d’autres membres de la famille – peut-être réfractaires à cette pratique – qui sera néanmoins aussi communiqué à autrui.

Ensuite, un chamboulement de la définition de « la famille » risque de pointer le bout de son nez. Personne n’est à l’abri d’apprendre que ses parents, ses soi-disant géniteurs, ne le sont en fait pas tant que ça… Que se cache-t-il derrière ces « histoires de famille » ? Infidélité ? Probablement. Mensonges ? Sûrement. Tous les cas de figure sont possibles. Avait-on réellement envie d’apprendre ce genre de nouvelles potentiellement destructrices pour l’équilibre familial, alors qu’à la base, c’était surtout savoir si on avait du sang viking dans les veines qui nous intéressait ?

Enfin, on ne compte plus le nombre de couples qui désirent ardemment élever des enfants mais qui, incapables d’en concevoir, se tournent vers des solutions alternatives telles que l’adoption ou le recours à un donneur de sperme (ou donneuse d’ovocytes) par exemple. Dès lors, des personnes « issues » de la semence d’un même donneur - ce dernier ayant peut-être souhaité rester anonyme qui plus est – peuvent-elles être considérées comme « parentes » ? Et quid de la volonté d’anonymat du donneur non respectée ?

Bref, la famille est remise en question : que recouvre ce concept ? Qui fait partie de la famille d’un individu ? Liens génétiques impliquent-ils nécessairement liens parentaux ? Ou est-ce l’amour donné et les sacrifices réalisés par les personnes ayant élevé l’enfant qui constituent la condition sine qua non pour parler de ce type de lien ?

Dans un article publié sur 20minutes.fr, Jean-Claude Ameisen (membre du Comité National d’Ethique) propose une réponse à cette question houleuse. Il commence par mettre en avant la complexité des liens familiaux en précisant qu’« il s’agit de liens affectifs et sociaux » [3] qui ne peuvent se limiter à ce que révèle la génétique. Il continue en soulignant le risque qu’il y a « à réduire l’identité d’une personne et ses relations à d’autres personnes à ce que la science permet de mesurer ». [4]

La question de la fiabilité

Comme nous l’avons vu, les conséquences des résultats des tests ADN peuvent être considérables, et ce, aussi bien pour l’individu qui s’est laissé tenter par cette pratique que pour sa famille. Dès lors, vu le potentiel cataclysmique de ces tests, une fiabilité maximale se doit d’être exigée. Mais qu’en est-il ?

Un article publié sur lemonde.fr énonce plusieurs limites propres à ces tests relevées – entre autres – par la Société française de génétique humaine. Par exemple, il est expliqué que les tests bon marché (et donc, les plus proposés sur le marché) ne donnent des informations que sur… deux ancêtres « parmi quatre grands-parents, huit arrière-grands-parents, seize arrière-arrière-grands-parents » [5], etc. Plus les générations sont donc lointaines, plus nous entrons dans le champ des probabilités restreintes, ce qui est souvent caché aux « consommateurs ». En outre, il est aussi précisé dans l’article que « la couverture mondiale des populations actuelles est encore largement imparfaite ». Les résultats des tests permettant de connaître nos origines sont donc loin d’être complets… [6]

Ainsi, le jeu en vaut-il la chandelle ? Risquer de découvrir une infidélité parentale – ou toutes autres situations pouvant heurter le socle familial – tout ça pour obtenir un diagnostic bancal de ses origines ethniques en vaut-il la peine ?

Pour certains, absolument pas. Mais pour d’autres, il n’importe que la vérité ; et il revient à chacun d’assumer les conséquences de ses actes, quel qu’en soit le prix à payer. Envisager l’avenir alors que ses propres fondements familiaux sont empreints de secrets peut paraitre tout bonnement impossible pour certains. Dès lors, apprendre que la personne que l’on a appelé toute sa vie « papa » ne l’est en fait pas vraiment, constitue certes un choc inimaginable, mais aussi peut-être une découverte indispensable pour une meilleure connaissance de soi, de ses racines, même si ébranlement familial il y aura à coup sûr. Il adviendra ensuite aux membres de la famille d’œuvrer pour restaurer l’équilibre familial en utilisant une nouvelle base plus transparente afin d’éviter une déchirure familiale irrévocable…

Droit de connaitre ses origines ?

Cette réflexion nous amène à nous poser cette question : avons-nous le droit de connaître nos origines ? Non pas nous en tant que personne désirant en savoir plus sur nos origines ethniques, mais dans le cas d’enfants à la recherche de leurs géniteurs ?

« Le législateur peut-il refuser à un être humain de savoir d’où il vient ? La loi devrait-elle reconnaître et garantir à tout individu le droit de connaître ses origines maternelle et paternelle ? » [7] telles sont les premières lignes d’un rapport de l’Institut Européen de Bioéthique intitulé « Le droit de connaître ses origines : un droit fondamental ».

Mais que révèle exactement cette étude ? D’abord, que les liens parentaux fondés sur l’amour des parents (non biologiques), même si légitimes selon Couples et Familles, sont incapables de satisfaire toutes les interrogations que l’on pourrait se poser quant à nos origines ; ou comme dit dans l’étude : « de comprendre d'où nous venons » [8]. L’auteure poursuit en précisant que : « C’est une condition essentielle pour savoir qui nous sommes, panser les blessures ou fractures qui nous habitent à l'intérieur. Nos origines font partie de nous, elles nous construisent et s’intègrent à notre identité. » [9]

C’est ainsi que l’Institut Européen de Bioéthique préconise que l’enfant qui le souhaite ait la possibilité de savoir qui sont les individus, l’homme et la femme, dont il est issu.

Dans une interview, Jean-Claude Ameisen affirmait qu’un souci éthique conséquent pouvait être rencontré lorsqu’une personne est réduite à son identité uniquement biologique. [10] Mais le fait est que celle-ci ne peut être exclue sans que cela pose également un problème éthique non négligeable. [11]

Une personne désireuse de lever le voile sur ses origines est une personne qui veut connaître son histoire. Il est inconcevable de considérer que cette dernière ne lui appartient pas. Couples et Familles irait même jusqu’à dire qu’elle lui est due. Quant à Géraldine Mathieu (membre du centre interdisciplinaire des droits de l’Enfant et Membre du comité d’éthique de la Clinique et Maternité Sainte-Elisabeth à Namur), elle fait correspondre la recherche des origines d’un individu à un « processus actif et personnel de la (re)connaissance de son identité par le sujet ».[12]

Couples et Familles reconnait l’importance que présente ce processus dans le vécu d’une personne. Il peut lui permettre, d’une part, de mieux se connaitre pour, d’autre part, développer un projet de vie excluant tout inconfort intrinsèquement lié à l’ignorance ; l’ignorance de ses racines, l’ignorance des premiers chapitres de sa propre histoire.

À ce propos, il y a quelques mois, l’affaire « Delphine Boël » défrayait la chronique. « "La réalité biologique ne suffit pas" selon l'avocat du roi Albert II » titrait Lalibre fin mars 2017. Pour rappel, Delphine Boël avait introduit une demande en désaveu de paternité de Jacques Boël que le tribunal a qualifié de « non fondée » (bien que recevable pourtant) ; une reconnaissance de paternité du roi Albert II ne pouvant donc pas être demandée… [13]

Outre les considérations juridiques, comme la science à prouver que Jacques Boël n’est pas le père biologique de Delphine [14], un gros point d’interrogation subsiste dans cette quête des origines… Alors même si la réalité biologique est insuffisante elle n’en reste pas moins une réalité qui se doit d’être reconnue, l’origine d’une vie ne pouvant, selon Couples et Familles, être considérée comme insignifiante.

En conclusion

Vente de kits ADN : une bonne idée ? Entre retrouvailles émouvantes et véritables catastrophes familiales, difficile de se positionner, même si Couples et Familles redoute que la seconde option soit davantage fréquente que la première… Néanmoins, la quête des origines ethniques pourrait constituer un merveilleux outil à exploiter pour « abolir » les tendances racistes encore trop souvent présentes dans notre société.

D’ailleurs, c’est ce que propose Momondo, une agence de voyage, avec son concept : « Let’s open our world ». Concrètement, cette agence propose un concours nommé « The DNA Journey » dont l’objectif est de conscientiser les personnes au fait que « nous avons bien plus en commun avec les gens d'autres pays que nous ne le pensions à l'origine ». [15] Les participants au concours peuvent ainsi gagner un kit ADN ; mais aussi, pour les plus chanceux, un voyage vers les pays d’où ils viennent. [16]

Malgré les dérives relatives aux tests ADN, précédemment citées et développées dans cette analyse, il n’en reste pas moins que si nous étions tous invités à découvrir d’où nous venons, peut-être n’y aurait-il plus d’extrémisme ? [17] Peut-être aurions-nous tous tendance à faire preuve de plus d’ouverture d’esprit et à nous soucier davantage d’autrui ? Peut-être… [18]

 

 


Pour aller plus loin :
Que penser des tests génétiques ? Analyse 2015-09 de Couples et Familles.

 

 

 

 

 

 


 

[1] HAMOU, Nathalie. « MyHeritage - Leader des données massives Historiques ». In : L’Informaticien, n°129, Novembre 2014, p. 58. In : https://web.archive.org/. Consulté en ligne le 18 juillet 2017.
[2] Des scientifiques mettent en garde contre la "génomique récréative". In : http://www.7sur7.be/. Consulté le 18 juillet 2017.
[3] Vos questions sur les risques éthiques liés à l'ADN et à la biométrie. In : http://www.20minutes.fr/. Consulté le 18 juillet 2017.
[4] Ibid.
[5] Tests génétiques : attention aux dérives. In : http://www.lemonde.fr/. Consulté le 19 juillet 2017. 
[6] Ibid.
[7] MATHIEU, Géraldine. Le droit de connaître ses origines : un droit fondamental. Bruxelles, 17p. In : http://www.ieb-eib.org/. Consulté en ligne le 19 juillet 2017.
[8] Ibid. p. 13.
[9] Ibid.
[10] Vos questions sur les risques éthiques liés à l'ADN et à la biométrie. In : http://www.20minutes.fr/. Consulté le 19 juillet 2017.
[11] MATHIEU, Géraldine. Le droit de connaître ses origines : un droit fondamental. Bruxelles, 17p. In : http://www.ieb-eib.org/. Consulté en ligne le 19 juillet 2017.
[12] Ibid. p. 13.
[13] Affaire Delphine Boël: "La réalité biologique ne suffit pas" selon l'avocat du roi Albert II. In : http://www.lalibre.be/. Consulté le 19 juillet 2017.
[14] Ibid. 
[15] Let's open our world. In : https://www.momondo.fr/. Consulté le 20 juillet 2017.
[16] The DNA Journey. Oseriez-vous remettre en question vos origines ? In : http://golem13.fr/. Consulté le 20 juillet 2017.
[17] Let's open our world. In : https://www.momondo.fr/. Consulté le 20 juillet 2017.
[18] Analyse rédigée par Audrey Dessy.

 

 

 

 

 

 

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