Analyse 2018-10

En cette période de vacances, certains ménages n’attendent qu’une chose, faire de bonnes affaires ! À l’horizon, des soldes à profusion!  L’occasion pour les familles de s’approvisionner en vêtements à moindre coût. Mais à quel prix pour la société ? « Couples et Familles » fait le point sur la question.

Une consommation et production en masse

Que ce soit lors des soldes, de promotions en magasin, ou lors du « Black Friday », nombreuses sont les familles qui se ruent dans les magasins de vêtements pour faire le plein. En effet, les vêtements font partie des articles les plus vendus à ces différentes occasions [1]. Et cela n’est pas étonnant ! Ces évènements sont propices à la surconsommation, de nombreux articles textiles sont proposés à des prix dérisoires.

De plus, « dans les magasins de vêtements, les collections se succèdent à un rythme effarant; le phénomène appelé «fast-fashion», qui consiste à renouveler les réassorts à un rythme rapide, conduit les marques à proposer parfois jusqu’à deux collections… par semaine. » [2] Une telle production invite le consommateur qui souhaite être à la mode à acheter plus que de besoin. Kirsten Brodde, spécialiste du gaspillage textile de Greenpeace, rapporte que « beaucoup de vêtements ne sont portés que de sept à dix fois au cours de leur vie, avant d’atterrir à la poubelle, dans une benne de recyclage ou de croupir au fond d’une armoire. » [3] Cette fast-fashion n’est donc pas sans incidence sur la terre. Kirsten Brodde ajoute que « nous consommons et jetons les vêtements plus vite que la planète ne peut le supporter.» [4] « En 2014, on a dépassé pour la première fois le seuil de 100 milliards de pièces produites en une année et la branche compte sur une augmentation de 60% d’ici 2030.» [5]

Un gaspillage vestimentaire à plusieurs niveaux

De nombreuses familles surconsomment en matière de vêtements, que ce soit par souci d’esthétique, envie de se faire plaisir ou simplement parce que la personne s’est laissée aller à la frénésie du moment. Selon Michaël Korchia, un chercheur en marketing, les soldes induisent une émotion, une sorte de bouillonnement, qui favorise les achats impulsifs et amène les individus à regretter parfois leurs achats. [6] Selon une enquête de Mc Kinsey, « une personne achète 60% de vêtements de plus qu'il y a 15 ans, et garde chaque pièce deux fois moins longtemps.» [7] Et selon une étude du Guardian, il semblerait que « 80 % des vêtements achetés en Occident chaque année finissent à la poubelle. Avec cet exemple éloquent au Royaume-Uni où trois quarts des consommateurs jetteraient leurs vieux habits aux ordures au lieu de les recycler.» [8] Par conséquent, on ne peut nier l’existence de ce fléau dans les ménages occidentaux.

Les chiffres démontrent que les commerçants jouent également un rôle important dans ce gaspillage vestimentaire. En effet, « la production vestimentaire mondiale a doublé ces 15 dernières années » [9]. Ce qui ne laisse pas « Couples et Familles » indifférent, sachant qu’« en Europe, le gaspillage vestimentaire annuel représente 6 millions de tonnes » [10]. Il est interpellant de voir que de nombreux magasins continuent à alimenter encore et encore leurs étalages, alors que les vêtements des saisons précédentes peinent à être écoulés. Cette volonté d’apporter de nouvelles collections dans les rayons du magasin amène certaines enseignes de prêt-à-porter à se débarrasser de leur stock de vêtements invendus par incinération [11]. Par exemple, « depuis 2013, douze tonnes de vêtements ont été brûlés chaque année rien qu’au Danemark. Et certaines marques de luxe détruisent leurs invendus pour ne pas les voir apparaître sur les marchés des dégriffés. » [12]

Les politiques non plus ne facilitent pas le réemploi des invendus. « Se débarrasser de ses invendus en les incinérant permet d'obtenir une exonération de la TVA. Ce qui n'est pas le cas si les magasins décident de faire un don aux plus démunis. »  [13] Une action qui a des répercussions sur la sphère économique, environnementale mais également humaine, affirme le député Georges Dallemagne [14]. En effet, qu’en est-il du soutien aux familles les plus démunies?  Une question qui nécessite d’être creusée en regard du nombre de belges en situation de pauvreté (à savoir près d’un cinquième de la population belge) [15].

Des conséquences plurielles

D’un point de vue humain, la fast-fashion et le gaspillage vestimentaire qui en découle infligent à certaines populations du monde des conditions de travail inacceptables. La surproduction de vêtements intensifie le rythme de travail de ces personnes, dans un environnement inadapté, le tout en étant sous payés. « Dans un documentaire édifiant appelé «The True Cost», réalisé par Andrew Morgan, on suit une ouvrière de Dacca, Shima Akhter, qui raconte qu’elle a commencé à travailler à 12 ans pour dix dollars par mois dans un atelier. On la voit conduire sa fillette dans sa famille en province car elle ne peut pas s’en occuper pendant qu’elle travaille, et expliquer en pleurant: «Les gens ne savent pas comme c’est dur, pour nous, de fabriquer ces vêtements. Je crois que ces vêtements sont fabriqués avec notre sang.» » [16] Notre vie de famille et notre confort personnel sont-ils plus importants que ceux des personnes étrangères ? Qu’en est-il de la solidarité dans de tels contextes et de notre soutien aux droits et à la dignité humaine de ces personnes ?

Au niveau écologique, « l’industrie du textile est la deuxième industrie la plus polluante au monde après le pétrole. » [17] Elle « génère déchets, pollutions, gaz à effet de serre et ne peut pas, à ce stade, être solutionnée par le recyclage. » [18] « Des stocks de vêtements d'occasion sont exportés vers les pays du Sud, mais leur usage est limité par leur qualité souvent piètre. » [19] « Beaucoup échouent dans les décharges indiennes ou chinoises, où ils mettront, pour les fibres synthétiques, plus de 200 ans à se dégrader, en dégageant des gaz toxiques. » [20]

Quelles alternatives pour les familles ?

Face à ces constats alarmants, le risque est grand de se sentir coupable d’acheter quoi que ce soit. Or, certaines familles se procurent des vêtements exclusivement lors d’actions telles que le black Friday, les soldes…faute de moyens financiers. Les blâmer serait une erreur ! Celles-ci veillent à faire du mieux qu’elles peuvent avec les moyens dont elles disposent. Des solutions d’ordre politique seraient avant tout à envisager. Par exemple, Georges Dallemagne a soumis une proposition de loi permettant aux entreprises de « défalquer ces dons du chiffres d’affaires comme en France et aux Pays-Bas » [21]. Ce système serait similaire à celui des dons alimentaires et permettrait de diminuer le gaspillage vestimentaire tout en favorisant l’accès des vêtements aux familles les plus démunies.

Ensuite, consommer de manière responsable, ce n’est pas arrêter de consommer, mais c’est être vigilant à « pourvoir à ses besoins de base en tenant compte de critères de durabilité, c'est-à-dire des facteurs écologiques, sociaux et éthiques. » [22] Le mouvement « slow fashion » apparu en réaction au fast-fashion, va dans ce sens. Il invite les individus « à ralentir, à consommer moins et surtout à consommer autrement » [23].

L’une des premières façons de ralentir et de consommer moins peut être simplement de se poser différentes questions lors de l’achat d’un vêtement : « En ai-je besoin ? », « Est-ce que cet article me plait réellement ou est-ce l’aspect inédit de l’offre qui me donne envie de me le procurer ? », « Suis-je en train de consommer par nécessité ou bien est-ce par mimétisme ? », « Suis-je réellement en train de faire une affaire ou bien suis-je en train de m’encombrer davantage la garde-robe ? », « Vais-je pouvoir porter ce vêtement à plus d’une occasion ? »… Bref, développer son esprit critique est déjà un moyen pour lutter contre la surconsommation.

Une autre façon de consommer responsable est d’investir dans des vêtements dits « durables ». Ces vêtements sont légèrement plus chers mais ils sont produits dans des conditions favorables pour l’environnement et pour les personnes qui les ont confectionnés. En achetant moins de vêtements, les économies se font vite ressentir et permettent alors aux personnes de se fournir en produits de meilleure de qualité.

Pour diminuer la production de vêtements et donner une seconde vie aux vêtements qui ne sont plus utilisés, il est également possible de se rendre dans des magasins de seconde main, de participer à des vide-dressings ou encore d’échanger ou d’offrir des vêtements dont on n’a plus l’utilité. Ces démarches sont souvent initiées au sein des familles mais peuvent s’étendre dans d’autres réseaux de soutien ou amicaux.

Afin de pérenniser l’usage de vos vêtements, il peut être intéressant de les réparer au lieu de les jeter directement à la poubelle. Une autre solution plus créative consiste à récupérer différents tissus pour confectionner de nouveaux vêtements avec ces ressources récoltées. Cela demande plus d’imagination mais amène le consommateur à développer de nouvelles compétences.

Enfin, la consommation responsable et durable n’exclut pas la possibilité de se passionner pour la mode. Les « fashion addict » peuvent continuer à être tendance tout en étant responsable. Pour ce faire, des magasins proposent de mettre à disposition des vêtements dernier cri en location. Cette initiative s’adresse aux personnes qui souhaitent accorder plus d’importance à la fonction du vêtement plutôt qu’à sa possession.

Ce concept de location ou de mise en partage de vêtements existe aussi pour les enfants. Les parents peuvent alors habiller leurs enfants de vêtements bios et durables à moindre coût, sans devoir acheter systématiquement du neuf, ce qui peut être particulièrement avantageux et économique lorsque l’on voit à quelle vitesse les parents doivent se munir de nouveaux vêtements pour leurs bambins.

L’éducation à la consommation responsable et durable

Cette option se choisit rarement sans avoir été sensibilisé à la question. C’est pourquoi, il est indispensable de faire de cet apprentissage une priorité dans notre société actuelle. Pour « Couples et Familles », cette transmission d’informations et éducation à la consommation responsable et durable peut avoir lieu par différents canaux : via la famille, au sein de l’école, à l’aide de publications ou de présentations des mouvements associatifs ou encore par les politiques. Chaque occasion commerciale se révèle comme une opportunité d’éveiller les consciences aux questions de consommation. C’est pourquoi chacune de ces actions d’information et d’éducation doit être soutenue, et il est de notre devoir de citoyen d’encourager les politiques à se mobiliser dans ce sens .


Pour aller plus loin :

« Familles en transition » : Dossier NFF n°125 – Septembre 2018

 

 

 

 


[1] « Surconsommation : Cinq chiffres pour comprendre l’absurdité du Black Friday » In http://www.konbini.com/ (Consulté le 05/07/18)
[2] « Le gaspillage de fringues ne choque personne, et c’est un problème » In http://www.slate.fr/ (Consulté le 09/07/18)
[3] « Le gaspillage de fringues ne choque personne, et c’est un problème » In http://www.slate.fr/ (Consulté le 09/07/18)
[4] « Soldes : Méfiez-vous de la surconsommation de vêtements » In http://weekend.levif.be/ (Consulté le 09/07/18)
[5] « Le gaspillage de fringues ne choque personne, et c’est un problème » In http://www.slate.fr/ (Consulté le 09/07/18)
[6] « Consommation : Pourquoi les soldes nous rendent-ils fou ? » In https://www.20minutes.fr/ (Consulté le 10/07/18)
[7] « Soldes : Méfiez-vous de la surconsommation de vêtements » In http://weekend.levif.be/(Consulté le 09/07/18)
[8] « Surconsommation : Cinq chiffres pour comprendre l’absurdité du Black Friday » In http://www.konbini.com/ (Consulté le 05/07/18)
[9] « Soldes : Méfiez-vous de la surconsommation de vêtements » In http://weekend.levif.be/ (Consulté le 09/07/18)
[10] « Aujourd’hui, détruire les vêtements invendus est plus rentable que de les donner » In https://www.rtbf.be/ (Consulté le 16/07/18)
[11] « Aujourd’hui, détruire les vêtements invendus est plus rentable que de les donner » In https://www.rtbf.be/ (Consulté le 16/07/18)
[12] « Le gaspillage de fringues ne choque personne, et c’est un problème » In http://www.slate.fr/ (Consulté le 09/07/18)
[13] « Aujourd’hui, détruire les vêtements invendus est plus rentable que de les donner » In https://www.rtbf.be/ (Consulté le 16/07/18)
[14] « Aujourd’hui, détruire les vêtements invendus est plus rentable que de les donner » In https://www.rtbf.be/ (Consulté le 16/07/18)
[15] « Journée mondiale de lutte contre la pauvreté : la précarité n’est pas toujours visible » In https://www.rtbf.be/ (Consulté le 16/07/18)
[16] « Le gaspillage de fringues ne choque personne, et c’est un problème » In http://www.slate.fr/ (Consulté le 09/07/18)
[17] « Consom’acteurs même pendant les soldes ? » In https://www.franceinter.fr/ (Consulté le 17/07/18)
[18] « Soldes : Méfiez-vous de la surconsommation de vêtements » In http://weekend.levif.be/ (Consulté le 09/07/18)
[19] « Soldes : Méfiez-vous de la surconsommation de vêtements » In http://weekend.levif.be/ (Consulté le 09/07/18)
[20] « Le gaspillage de fringues ne choque personne, et c’est un problème » In http://www.slate.fr/ (Consulté le 09/07/18)
[21] « Aujourd’hui, détruire les vêtements invendus est plus rentable que de les donner » In https://www.rtbf.be/ (Consulté le 16/07/18)
[22] « Consommation responsable » In https://www.belgium.be/ (Consulté le 17/07/18)
[23] « Zoom sur la slow fashion, une façon de consommer la mode autrement » In http://www.madmoizelle.com/ (Consulté le 17/07/18)
[24] Analyse rédigée par Aurelie Degoedt.

 

 

 

 

 

 

 

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