Imprimer

Analyse 2018-12

Qu’entend-on par minimalisme ? Pas question ici d’art contemporain. Le minimalisme, au sens où nous l’entendons, fait référence à un mode de vie dont la devise pourrait être « less is the new more », autrement dit, une façon de vivre qui se situe aux antipodes de l’idéologie, largement répandue dans notre société, selon laquelle accumulation de biens et bonheur vont de pair.

Les ingrédients de la recette du bonheur, si tant est qu’il en existe une, ne sont assurément pas à chercher du côté du porte-monnaie. Le célèbre dicton « l’argent ne fait pas le bonheur », auquel vient souvent s’ajouter la réplique « mais il y contribue », résume le propos. C’est cette idée que l’on retrouve au cœur du documentaire « Minimalism : A Documentary About the Important Things » [1] (sorti en 2016 et disponible sur Netflix) où les spectateurs peuvent découvrir Joshua Fields Millburn et Ryan Nicodemus, deux jeunes pour qui ascension professionnelle et réussite matérielle n’étaient plus un rêve abstrait mais une réalité bien concrète. Pourtant, dans ce quotidien où se côtoyaient objets de luxe, vêtements de marque et achats à gogo, nulle trace de véritable joie… Être simplement heureux, serait-ce donc un objectif inatteignable ? Fort heureusement, la réponse est non. Le bonheur existe. En fait, beaucoup de personnes se trompent juste d’itinéraire pour y parvenir. Mais comment ne pas faire fausse route quand les panneaux indicatifs qui nous encerclent jour et nuit – les publicités présentes sur nos écrans : télévision, ordinateur, smartphone, etc. mais aussi à tous les endroits susceptibles de capter les regards : bus, abords des routes, vitrines ; bref, partout – incitent à emprunter une tout autre voie : celle qui mène vers un semblant de bonheur, une illusion de celui-ci facilement atteignable en nourrissant les rouages de la société de consommation. Mais le bonheur ne s’achète pas. Aucun bien matériel ne pourra jamais combler sur le long terme une sensation de vide qui habite un être. Ces objets, pansements à date d’expiration dont le délai se veut de plus en plus court, ne servent qu’à « faire de l’argent » ; à alimenter la « machine capitaliste » dont les proportions de plus en plus vertigineuses dues à la banalisation de la surconsommation ont de quoi faire peur… Surtout écologiquement parlant : quel avenir pour notre planète si rien ne change ? [2]

Pour sortir de l’engrenage, Joshua Fields Millburn et Ryan Nicodemus ont désencombré, d’abord leur habitat, et également, de fil en aiguille, leur esprit. Attention, désencombrer ne revient pas à se débarrasser d’absolument tout, mais simplement des choses qui n’ont pas d’utilité ainsi que de celles qui n’apportent pas de joie à leur propriétaire. Dès lors, il ne reste plus que les objets du quotidien dont la personne a besoin et ceux qui lui apportent du bonheur. Ces objets ne sont évidemment pas les mêmes pour tout le monde. Alors que pour certains les livres n’apportent pas nécessairement de joie, pour d’autres, ils font pétiller leurs yeux. Pour eux, pas question donc de s’en débarrasser alors que pour la première catégorie de personnes, les vendre ou les donner après les avoir lus ne pourra qu’améliorer leur vie. En renonçant à l’inutile, c’est des économies d’argent et de temps qui bénéficieront à la personne. Ce tri matériel, par extension, peut devenir une philosophie à part entière pouvant régir bien d’autres aspects du quotidien. Comme pour les objets, dont la présence est légitimée par un choix conscient, les occupations peuvent, elles aussi, résulter d’une décision prise en pleine conscience. En réfléchissant à ses possessions tout comme à ses actions, l’individu peut davantage maîtriser sa vie, se libérer de l’oppression du superflu et se centrer sur ce qui lui tient à cœur. Se simplifier la vie : ne serait-ce donc pas cela la recette du bonheur ? En tout cas, à en croire les minimalistes, cela en est assurément une bonne base.

Passer à l’action : une décision individuelle parfois obstruée…

Marre de la consommation excessive, marre de consacrer plus de temps et d’énergie qu’il n’en faut à des activités, ou encore, à des personnes, qui ne nous rendent pas heureux, marre de la fatigue omniprésente liée à un mode de vie en décalage avec nos besoins… et surtout, envie que chaque journée soit une « bonne journée » ? Alors, la solution serait peut-être de se simplifier la vie : de se débarrasser de ce qui nous encombre tant sur le plan matériel que psychique. Le rangement de fond en comble de la maison peut constituer une première étape pour y parvenir. Et qui dit ranger dit aussi jeter (ou revendre, donner, etc. : se débarrasser d’objets). Il existe même des méthodologies à suivre pour s’atteler à cette tâche, par exemple, celle de Marie Kondo présentée dans son ouvrage « La Magie du rangement ». [3] Même si les conseils présentés dans son bouquin peuvent véritablement guider les lecteurs à « épurer » leur intérieur, la logique consumériste n’est jamais bien loin… Effectivement, sur le site de Marie Kondo [4], un onglet « shop » permet aux internautes – qui a priori sont prêts à se débarrasser de l’inutile – de se procurer des sets de boîtes de rangement pour la modique somme de 89 dollars. Fonction qui pourrait très bien être accomplie par d’anciennes boîtes à chaussures par exemple. Ainsi, la société de consommation parvient même à s’incruster dans des démarches qui tentent de s’en éloigner. Folie des achats quand tu nous tiens…

Mais de quelle méthode s’agit-il ? Un tuto présenté sur la chaîne YouTube « Changer le monde en 2 heures » résume la marche à suivre exposée par Marie Kondo. En bref, la première étape consiste à effectuer un tri par catégorie d’objets (commencer par les vêtements, enchaîner avec les bouquins et papiers puis autres objets et terminer par les objets à valeur sentimentale) et la seconde (et dernière) étape consiste à attribuer une place à chaque chose. [5]

De la théorie à la pratique, il y a beaucoup plus qu’un pas. Une personne célibataire et sans enfant, hyper motivée pour simplifier sa vie et effectuer un grand tri dans ses affaires, qui décide de passer à l’acte ne sera pas confrontée à la même réalité qu’une autre personne tout aussi motivée mais dont la situation familiale diffère. Quand plusieurs personnes vivent sous le même toit, pour que l’ordre règne, il est indispensable que les individus soient sur la même longueur d’onde quant à cette question. Dans un couple, le simple exercice du tri d’une seule catégorie (voire sous-catégorie) d’objets pourrait déjà représenter une source de tension, le comble quand on sait que le but de la manœuvre est d’aboutir à une vie plus simple, plus apaisante.

Argumentation et compromis

Tout comme l’aménagement d’un espace de vie appartenant à plus d’une personne, le désencombrement de ce lieu devrait idéalement se faire collectivement. En effet, il peut sembler très facile de se débarrasser des choses d’autrui, de son conjoint par exemple, mais quand il s’agit de nos propres objets, une utilité soudaine risquerait de leur être trouvée pour justifier leur présence. Par ailleurs, la personne ayant pris l’initiative de s’atteler à un tri radical au sein du foyer peut être confronté à des réticences de la part de son conjoint pas vraiment convaincu par l’utilité du projet, lui-même se satisfaisant peut-être du fonctionnement de la maison actuellement en place. L’heure sera donc à la communication. Si un mal être touche l’un des conjoints, il est attendu de l’autre qu’il puisse écouter cette souffrance et la solution proposée pour y remédier. À force de discussions, d’argumentation et de compromis, le grand ménage imaginé par la personne prendra peut-être la forme d’un désencombrement « partiel » … car les besoins des deux membres du couple sont à prendre en compte. Des efforts des deux parties se devront d’être réalisés : l’un devra se forcer à jeter alors que l’autre sera amené à accepter qu’une partie des choses soit – malgré une inutilité flagrante – gardée.

De surcroît, quid des traits de personnalité de chacun ? Même si la célèbre devise affirme « qui se ressemble s’assemble », une autre la contrarie en stipulant que « les opposés s’attirent ». Dès lors, chez les couples formés sur base de ce second adage, il n’est pas toujours évident, une fois la première étape du tri réalisée, de passer à la suite du programme en attribuant une place à chaque chose. Tandis que l’individu méticuleux s’emploiera à ce que chaque objet ayant été utilisé retrouve sa place initiale, il n’en ira pas de même pour la personne désordonnée. Dans un premier temps, des efforts seront peut-être réalisé mais il ne faudra pas longtemps pour que le naturel revienne au galop et que les choses s’éparpillent. Encore une fois, l’un devra lâcher du lest et accepter que l’objet ne soit pas précisément là où il devrait être et l’autre devra quant à lui essayer d’au moins laisser l’objet dans un périmètre proche du point d’ancrage qui lui avait été assigné. La formule magique pour un intérieur où il fait bon vivre pour tous ne se trouve pas dans la littérature. C’est les personnes concernées qui l’écrivent au fil de leur expérience de vie commune, et à force de dialogue et de bonne volonté de la part de tous, un équilibre harmonieux pourra enfin se dessiner.

Et avec des enfants ?

Les enfants aussi possèdent leur individualité. Tantôt pointilleux, tantôt chaotique ; tantôt antimatérialiste, tantôt accro à l’accumulation d’objets trouvés ici et là… Un enfant n’est pas l’autre et l’ordre de la maison entière dépendra de son tempérament et des règles instaurés par les parents. Outre les adieux faits aux biens inutiles jonchant la maison, le minimalisme s’étend à d’autres aspects du quotidien. Judith Crillen, maman, auteure et blogueuse, en parle en long et en large sur son blog mamansorganise.com. Dans une interview publiée dans le Deuzio du 3 mars 2018, elle explique que ses enfants ont seulement une activité chacun. Cela lui évite ainsi, à elle et à son mari, de gaspiller du temps en « faisant le taxi » ; ce temps précieux est plutôt employé à passer de bons moments en famille. [6] Sur son blog, Judith s’est aussi intéressée à la question des listes de naissance qui elles aussi, peuvent être minimalistes. Elle rappelle que les besoins fondamentaux d’un nourrisson (avoir de l’amour, de la nourriture, des vêtements) [7] n’ont rien à voir avec la plupart des objets ventés par des stratégies marketing destinées à faire fléchir les futures mamans et papas…

Il est possible d’accueillir l’arrivée d’un nouveau-né sans se plier aux préceptes de la société de consommation. Aujourd’hui, des sociétés proposent des services de locations en tout genre : langes, vêtements pour enfants, et même du matériel de puériculture. Celui-ci peut être emprunté auprès de « babythèque », structure qui transpose le principe de la bibliothèque au matériel pour bébé. [8] Pour ce qui est des jouets, pas la peine d’en accumuler des tonnes. Se les procurer via le cercle familial (ou d’amis) puis les redistribuer via ce canal peut permettre pas mal d’économie d’argent, de place, et aussi, de temps (celui qu’on n’utilise pas à arpenter les rayons de magasins de jouets). Des sites internet offrent aussi la possibilité de commander des colis de quelques jouets, pour moins de cinquante euros, qui peuvent être gardés pendant environ trois mois puis doivent être renvoyés. [9] L’enfant pourra ainsi découvrir une multitude de jeux différents sans que ceux-ci n’emplissent les armoires de la maison !

Les couples et les familles peuvent donc bien évidemment se lancer dans la philosophie du minimalisme et tenter de l’appliquer au mieux à leur réalité, selon la conception que chacun s’en fait. Cependant, une règle semble être de mise : s’assurer que pour personne au sein de la famille « minimalisme » ne rime avec « contrainte » ; mais plutôt avec « liberté » et surtout : « bonheur ». [10]

 

 

 

 


[1] Minimalism : A Documentary About the Important Things. In : https://minimalismfilm.com/. Consulté le 1er août 2018.
[2] À ce propos, voir « Familles en transition » de Couples et Familles (Dossier NFF n°125, septembre 2018).
[3] KONDO, Marie. La Magie du rangement. First Editions, 2015, 270 p.
[4] KonMari – Inspiring the World to Choose Joy. In : https://konmari.com/. Consulté le 2 août 2018.
[5] TUTO Minimalisme | La Magie du Rangement de Marie Kondo. In : https://www.youtube.com/watch?v=ubh6plED8cA. Consulté le 1er août 2018.
[6] FION, Céline. « Minimalisme, une aventure familiale ? ». In : Deuzio, Bouge, n°9, 3 mars 2018, p.14.
[7] La liste de naissance minimaliste. In : https://www.mamansorganise.com/liste-naissance-minimaliste/. Consulté le 2 août 2018.
[8] Babythèque / Bruxelles Environnement. In : https://environnement.brussels/fiche/babytheque. Consulté le 2 août 2018.
[9] Test-achat. « Ne rien posséder, est-ce possible ? ». In : Metro, 11 juin 2018, p.3.
[10] Analyse rédigée par Audrey Dessy.

 

 

 

 

 

 

 

Masquer le formulaire de commentaire

1000 caractères restants