Analyse 2018-13

Ça y est, l’été se termine en douceur, et avec lui, la période des vacances (sauf peut-être pour quelques chanceux). Mais à quoi vont bien pouvoir laisser place les photos de vacances et d’autres évènements estivaux – pleines de soleil, d’insouciance et de joie – qui ont inondé les réseaux sociaux durant ces dernières semaines ?

D’ici quelques jours, les enfants agrippés à leur mallette remplie de nouvelles fournitures scolaires prendront sûrement fièrement la pose sur le pas de la porte familiale… Le traditionnel cliché de la rentrée des classes se substituera très certainement aux selfies pris au bord de l’eau. Et puis ? Avant l’arrivée de la période des fêtes de fin d’année, il devrait se passer d’autres choses à exhiber, non ?
Peut-être un mariage ou l’arrivée d’un nouveau-né. Peut-être quelques anniversaires, une pendaison de crémaillère, un nouveau job, une victoire sportive, des soirées chez des amis, etc. À croire que la vie ne serait faite que de charmants moments, un peu à l’image des contes de fées.

Déconnexion : retour à la réalité

Le flux d’images, d’annonces et de vidéos qui défile sous les yeux des utilisateurs des réseaux sociaux aurait de quoi en décourager certains. Pas évident pour ceux à qui la vie n’est pas souvent souriante de constater que pour les autres, tout roule. Ou plutôt : « semble » rouler, car il est évident que n’est généralement publiée qu’une facette de l’existence de chacun : celle qui fait rêver bien sûr. Mais la vie réelle des gens est bien plus complexe que son homologue virtuelle. Déception, rejet, tristesse, etc. sont des éléments qui n’épargnent inévitablement personne, contrairement à ce que pourraient laisser croire les « fils d’actu ».

Un hashtag à contre-courant

Baptisé « Share your rejections », ce hashtag ajoute des nuances plus sombre aux univers virtuels souvent arc-en-ciel. En français, on pourrait le traduire par « Partagez vos rejets ». Une invitation quelque peu déroutante pour qui à l’habitude de considérer son « mur » comme une vitrine de trophées. Et même pour les « connectés » à tendance moins exhibitionniste – au sens figuré du terme évidemment – cette requête peut paraitre bizarre. Les réseaux sociaux sont-ils vraiment un lieu où proclamer les « rejets » dont on fait l’objet ? Et d’ailleurs, un rejet se devrait-il même d’être proclamé ?

C’est Saeed Jones, un journaliste, qui a lancé l’idée. Celui-ci a pendant longtemps essayé de vendre son livre à des agents littéraires, mais leur réponse était toujours négative. De quoi se sentir littéralement rejeté. Jusqu’au jour où la roue a tourné : il l’a finalement vendu. Et pour un montant plus que faramineux ! [1] De nombreux récits similaires ont ensuite été partagés avec le fameux hashtag.

Lorsqu’un « happy end » est au rendez-vous, les histoires peuvent revêtir une dimension inspirante et être source d’espoir pour qui les lit. Mais il n’en va pas de même quand la personne a touché le fond sans (encore) rebondir… Néanmoins, du positif peut tout de même ressortir de ce cas de figure. D’une part, l’auteur, en publiant sa mésaventure, pourra peut-être se sentir plus léger et soutenu grâce aux éventuels commentaires réconfortants laissés sous son « post ». D’autre part, il se peut que certains lecteurs se reconnaissent dans ce type de « malheur » et de ce fait, eux aussi peuvent se sentir moins seuls. Rupture amoureuse, candidature rejetée, année ratée… : les déconvenues font partie de la vie. Il n’est donc pas dérangeant que cette réalité apparaisse aussi sur les écrans, dans la mesure où celle-ci est exprimée dignement, sans rancœur ni soif de vengeance. À partir du moment où cette démarche peut être source d’apaisement, pourquoi poserait-elle problème ?

Quand internet vient pallier les manques du monde réel

En fait, Couples et Familles se demande si ce hashtag ne serait pas une manifestation supplémentaire de la tendance qu’ont les individus de notre société à privilégier la sphère du virtuel au monde bien réel…

Dès lors, nous estimons que oui, « Share your rejections » peut présenter un pouvoir fédérateur. Mais nous estimons aussi que l’expression d’un désappointement en ligne peut revêtir un caractère alarmant si celui-ci résulte d’un manque : manque de soutien familial, manque de proches bien attentionnés, manque de structures susceptibles d’offrir du réconfort, etc. Surtout quand l’histoire partagée ne se termine pas dans la joie et la bonne humeur !

Le noyau familial, les amis proches, les personnes de confiances… devraient constituer la première oreille vers laquelle se tourner en cas de mal-être et être la première source de soutien pour un individu. Même si c’est des personnes bien réelles qui compatissent derrière leurs écrans en laissant un petit message encourageant ou un « like » pour montrer leur intérêt pour le récit du malheureux ; il y a de forte chance qu’ils l’oublient dans les minutes qui suivent, étant passés à la lecture d’un autre post ou à la contemplation d’une photo venant d’apparaître dans « l’actu ». Bref : aussi vite lu, aussi vite commenté et aussi vite oublié. Or, ce n’est sûrement pas le cas de la personne qui a eu le courage de partager son désarroi. Ainsi, il est vrai que les réseaux sociaux peuvent nous permettre d’exprimer notre souffrance ; mais ce n’est pas le canal qu’il convient de privilégier lorsqu’on en a gros sur le cœur. De plus, si la personne enchaîne les « rejets » et les publications qui attestent de ceux-ci, alors il y a un risque qu’elle ne suscite plus de la compassion mais bien de l’exaspération qui pourrait paradoxalement conduire à d’autres rejets…

Retravailler des réflexes

Décrocher (même partiellement) des écrans pour exister davantage dans la réalité, telle est la ligne de conduite recommandée par Couples et Familles. En cas de soucis personnel, un ordinateur ou un smartphone ne sera jamais un meilleur ami, même s’il est facile de croire le contraire. Oublier son clavier pour plutôt s’épancher auprès d’un proche aura surement un impact plus important qu’un post (même si celui-ci peut venir en complément, car comme tout se partage sur la toile, les échecs y ont aussi leur place). En échangeant de vive-voix, il y a de grandes chances que l’interaction soit bien plus enrichissante parce que cela nourrit le lien qui unit les personnes.

Bref, d’abord penser « famille » et « proches » avant tablette et smartphone : un réflexe qui doit s’acquérir dès le plus jeune âge. Un travail auquel doivent s’atteler les parents très tôt. Idéalement, ceux-ci devraient s’assurer régulièrement que leur(s) enfant(s) sait/savent qu’en cas de coup dur, ils seront toujours là pour l’/les écouter et l’/les épauler, et particulièrement lors de l’adolescence, période où pas mal de rejets risquent de le/les toucher et où les écrans vont de plus en plus s’imposer dans son/leur quotidien. D’ailleurs, la tentation des écrans ne touche pas que les jeunes. Les parents doivent veiller à ne pas y succomber. Si toute la famille ne vit plus qu’au rythme de ceux-ci, les relations intra-familiales en pâtiront tout comme la relation de confiance construite au fil des ans.

Et au-delà de la famille ?

L’école se doit d’accomplir une mission d’éducation aux médias et à l’utilisation des nouvelles technologies. Par ailleurs, les enseignants ne devraient pas hésiter à proposer un maximum d’activités qui ne requiert pas internet. Même s’il s’agit d’un formidable outil permettant à tout un chacun d’avoir en permanence accès à une infinité de sources de savoirs, ceux qui goûtent à son caractère fantastique ont de grands risques d’en devenir, non pas esclaves, mais presque. Remettre les relations humaines au goût du jour, cela devrait donc passer aussi par l’école.

Pour conclure, il convient de ne pas oublier que c’est dans la réalité qu’il convient d’exister et d’avoir une véritable vie ; sur la toile, on peut en partager une petite (ou grande) partie, qu’elle soit positive ou négative (comme le hashtag « Share your rejections » le suggère), mais c’est bien dans le monde de personnes faites de chair et d’os que tout se joue. Le soutien, la compassion, le réconfort, etc. qui s’y trouve seront souvent bien plus puissants que les commentaires laissés en ligne… [2]  

 

 

 


[1] « Share your rejections » : le hashtag qui célèbre nos moments de loose. In : https://www.elle.be/. Consulté le 23 août 2018.
[2] Analyse rédigée par Audrey Dessy.

 

 

 

 

 

 

 

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