Analyse 2018-23

Une nouvelle loi définissant les conditions dans lesquelles l’IVG peut être pratiquée vient d’être votée. Certains y voient des avancées significatives, d’autres affirment que rien ne change. Pourquoi de telles différences d’appréciation ?

La Chambre a approuvé début octobre la loi qui sort l’interruption volontaire de grossesse du code pénal. Pour rappel, la loi Lallemand-Michielsens dépénalisant partiellement l’avortement avait été votée en 1990 à la suite d’un compromis politique qu’avaient soutenu un certain nombre d’associations de femmes ou d’associations familiales du monde chrétien. Cela faisait donc plus de vingt-cinq ans que cette loi n’avait pas changé, alors que l’opinion publique, elle, a fortement évolué sur ces questions. Il est d’ailleurs apparu, lorsque les débats sur la nouvelle loi ont reçu un certain écho, que beaucoup de personnes parmi les plus jeunes générations ignoraient même que l’avortement faisait encore partie du code pénal. Il est vrai que, dans la pratique, les balises qui avaient été mises en 1990 dans le but de ne pas banaliser l’avortement, n’avaient plus beaucoup d’effet dissuasif.

Un mouvement de défense du droit à l’avortement

Depuis plusieurs mois, le monde laïque et des associations, en particulier de femmes, avaient relancé le débat pour la sortie de l’IVG du code pénal. Côté flamand, le CD&V et une partie de la NVA n’y étaient pas favorable. Côté francophone, le CDh n’était pas contre une sortie du code pénal mais souhaitait maintenir un certain nombre de critères assez stricts. L’opposition au gouvernement fédéral était parvenue à élaborer un texte qui semblait pouvoir rassembler une majorité suffisante pour faire voter une loi début juillet 2018. Le MR laissant habituellement la liberté à ses parlementaires pour les questions éthiques, plusieurs s’étaient publiquement déclarés favorables à ce texte.

In extremis, la majorité fédérale s’est accordée sur une autre proposition, adoptée en commission en juillet et votée en octobre par la Chambre. Ce texte sort lui aussi l’IVG du code pénal, élimine la nécessité d’invoquer l’état de détresse de la femme, mais maintient le délai de 12 semaines au-delà duquel l’avortement n’est plus autorisé, alors que le texte de l’opposition le portait à 18 semaines. Autre différence, le texte de la majorité maintient des sanctions en cas de non respect de la législation, alors que l’opposition les supprimait. Ce qui irrite aussi les défenseurs d’une dépénalisation complète, c’est que le CD&V a conditionné son soutien à ce texte au vote d’une autre loi permettant l’inscription des fœtus morts-nés avant 180 jours de gestation. Dans le nouveau projet de loi, les parents pourront demander un acte de déclaration d’enfant né sans vie dès 140 jours de gestation et pourront aussi lui donner un prénom. Les promoteurs d’une dépénalisation complète de l’IVG craignent que cette nouvelle disposition ne devienne plus tard un argument pour limiter le droit à l’avortement, puisque l’on reconnaît ainsi un certain statut au fœtus.

Les réactions au vote de la loi

Pour ceux qui prônent la dépénalisation totale de l’avortement, la nouvelle loi ne change rien, puisque des sanctions pénales sont maintenues, que la limite de 12 semaines et le délai de réflexion de 6 jours après la première consultation subsistent.
Pour les Femmes prévoyantes socialistes, « ce texte ne consacre nullement le droit des femmes à disposer librement de leur corps. Le texte reprend la presque totalité des conditions d’accès à l’IVG définies par la loi Lallemand-Michielsens de 1990. C’est donc un leurre de parler d’avancée historique pour les droits des femmes. » Du côté de Vie Féminine, « Le gouvernement a fait ce que beaucoup demandaient au départ : sortir l’avortement du Code pénal. Mais il n’a fait que ça. Les conditions principales de l’accès à l’IVG prévues par la loi de dépénalisation partielle de 1990 seront quant à elles inchangées. » Et pour Sylvie Lausberg, présidente du  Conseil des femmes francophones de Belgique, cet accord de la majorité est « un arrangement politique, un compromis idéologique et le dindon de la farce, ce sont les femmes et les médecins. » Quant à la députée socialiste Karine Lalieux, elle juge « totalement archaïque de continuer à culpabiliser la femme en prévoyant des sanctions. » Diane Bernard, professeur à la Faculté de droit de l’Université Saint-Louis et présidente de l’association Fem&Law, estime que « avec cette nouvelle loi, on ne dépénalise pas l’avortement. Dans les faits, ça ne change rien. Ce qui change, c’est que l’avortement n’est plus rangé dans le chapitre ‘crimes et délits contre l’ordre des familles et la moralité publique’. Pour la majorité fédérale, on signifie par là que l’avortement n’a rien d’amoral. Un argument symbolique. » La professeure reconnaît cependant que, si le maintien de sanctions irrite, il est à noter que très peu (voire pas) de poursuites ont été entamées en Belgique ces dernières années. « Et cette nouvelle loi ne devrait pas apporter de changement dans la pratique judiciaire. »

Adaptation technique ?

Avant le vote de la loi déjà, de nombreux juristes ou magistrats estimaient que le nouveau texte résultait de la nécessité d’une adaptation technique de la législation à la situation actuelle. Mais il est clair que cette adaptation soulève les passions. Ce sont parfois les mêmes qui déclaraient il y a quelques mois que, symboliquement, il était essentiel que l’IVG ne soit plus rangée dans les ‘crimes et délits contre l’ordre des familles et la moralité publique’ et qui affirment aujourd’hui que ‘rien n’a changé’, alors que l’IVG n’est effectivement plus dans ce chapitre. Même phénomène à propos de la culpabilisation des femmes, renforcée par les sanctions maintenues… alors que les mêmes mouvements réfutent les témoignages de femmes affirmant souffrir d’avoir eu recours à l’avortement en les accusant de noircir le tableau. « La plupart des femmes ressentent surtout un grand soulagement après avoir eu recours à l’avortement. »
Pour Couples et Familles, ces déclarations pas toujours très cohérentes sont le signe qu’au-delà de l’adaptation technique d’une législation, on se trouve bien en face d’enjeux plus fondamentaux : la défense du droit des femmes à disposer de leur corps pour certains, la  protection de la vie à naître pour d’autres.

Statut de l’embryon

L’opposition à la nouvelle loi autorisant la déclaration des fœtus nés sans vie remet en avant un élément du débat qui n’a pas eu sa place dans les échanges politiques : le statut de l’embryon. Si presque tous les experts entendus par les parlementaires semblaient s’accorder sur la nécessité de sortir l’IVG du code pénal, leur unanimité n’était pas aussi complète sur le délai au-delà duquel l’avortement n’était plus autorisé. Si le fœtus n’est pas un enfant, il y a un moment où il ne fait plus tout à fait partie du corps de la femme et devient par exemple viable. Lors des débats qui ont précédé le vote de la loi de 1990, pour une partie importante de la population, il était alors clair qu’il y avait vie humaine dès la fécondation. Les premières mises en cause de cette approche parlaient alors du projet parental qui donnait au futur enfant un statut particulier. Lorsque ce projet n’existait pas, pas de personnalité humaine non plus pour le fœtus. Cette même question resurgit aujourd’hui alors que le contexte a fortement changé. Mais on se trouve ici dans un débat qui ne peut se réduite au noir et blanc.
Michel Dupuis, professeur de philosophie à l’UCL déclarait ainsi en juillet qu’il était dommage que les deux lois sur l’IVG et la déclaration des fœtus nés sans vie arrivent en même temps. « D’un point de vue stratégique, le moment est mal choisi car ce sont deux questions importantes qui ne doivent pas se gêner entre elles. Mais d’un point de vue philosophique, c’est lié. La question de l’avortement pose, à voix basse, celle du statut de l’embryon humain. C’est gênant, ça empêche de parler en noir et blanc. Mais en tant que philosophe, j’estime qu’il est important que nos débats ne soient pas évidents. »
Pour Couples et Familles, le moment et les conditions où une société considère que le fœtus mérite le respect ne pourra jamais être déterminé avec certitude et sera toujours l’objet de débats et de compromis entre différentes sensibilités. Ainsi, le délai de 12 semaines au-delà duquel l’IVG n’est plus autorisé que dans certaines conditions sera probablement allongé lors des prochains débats sur la question. D’autres conditions évolueront sans doute également. Le droit des femmes, lui, devra toujours être garanti, mais d’autres éléments doivent aussi pouvoir rencontrer un consensus pour rendre compte de la complexité de la réalité humaine. [1]

 

 

 

 


[1] Analyse rédigée par José Gérard.

 

 

 

 

 

 

 

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