Analyse 2018-25

Peines de travail autonomes, travaux d’intérêt général et formations en habiletés sociales : en quoi consistent ces mesures judiciaires dites « alternatives », et quels bénéfices peuvent en ressortir pour les familles ?

L’on ne peut aborder la question des mesures judiciaires alternatives sans évoquer l’acronyme « SEMJA ». Le service d'encadrement des mesures judiciaires alternatives, qui la plupart du temps est communal, veille à ce que soient concrètement accomplis les travaux d’intérêt général et les peines de travail. Pour ce faire, le SEMJA prend contact avec des lieux de travail [1] susceptibles d’ouvrir leurs portes à une justice qui se veut « réparatrice, plus humaine et responsable » [2], il y présente le prestataire, et enfin, l’équipe qui compose le SEMJA reste à disposition de l’organisme d’accueil pendant toute la durée de la prestation. [3] 

Le suivi des formations en habiletés sociales diffère de ce processus. En effet, dans ce cas de figure, l’auteur de l’infraction se présente à plusieurs entretiens individuels au cours desquels l’auteur et le travailleur social s’attèleront à chercher ensemble « des réponses adéquates ». [4]

Ainsi, le SEMJA encadre des mesures prononcées tant par les cours et tribunaux (Cour d’Appel, tribunal de police ou tribunal correctionnel en ce qui concerne la peine de travail autonome ainsi que la formation en habiletés sociales), que des sanctions décidées en médiation pénale (pour les travaux d’intérêt général). [5]

Présentation des différentes mesures

Le travail d’intérêt général est une mesure prononcée par le procureur du Roi dans le cadre d’une médiation pénale, qui se déroule avant l’intervention d’un juge. Quant à la peine de travail, celle-ci est prononcée par un juge ; mais notons que pour certaines infractions, telles que le viol, le meurtre, etc., la peine de travail ne peut être envisagée. [6]

La peine de travail et le travail d’intérêt général consistent tous deux en une prestation non rémunérée d’une durée variant entre vingt et trois-cents heures (voire six-cents heures en cas de récidive) pour la peine de travail ; et pour le travail d’intérêt général, le nombre d’heures à prester oscille entre vingt et cent-vingt. [7] Remarquons que la durée de la peine de travail est déterminée en fonction de la gravité de l’infraction et que le juge peut prononcer cette peine uniquement si l’auteur des faits, ou son avocat, est présent à l’audience. [8]

La formation en habiletés sociales vise à traiter les problèmes qui ont conduit la personne à « déraper », comme l’absence de travail, ou encore, un recours fréquent à des comportements violents. L’individu, ses problèmes et sa situation sont au cœur de cette démarche. [9]

Focus sur la peine de travail autonome

La peine de travail autonome est, au même titre qu’une peine de prison ou qu’une amende, une peine principale [10] et ce, en vertu de la loi du 17 avril 2002. Cette loi a été instaurée en vue d’ériger les travaux d’intérêt général, auxquels il est enfin devenu possible d’accoler l’adjectif « autonomes », en peine de référence, c’est-à-dire comme « le premier choix de réaction sociale » [11] à la place de la peine d’emprisonnement, expliquent un professeur de droit et un chercheur au service de criminologie de l’université de Liège dans un commentaire relatif à cette loi. [12]

Objectif atteint ? Pas vraiment. Et même, pas du tout. Dans un article publié en 2016, l’Observatoire belge des inégalités a pointé certains chiffres issus d’un rapport du Conseil de l’Europe qui interpellent : « entre 2003 et 2013, la population carcérale (en Belgique) a augmenté de 35,6 % » [13] Les Statistiques pénales annuelles du Conseil de l'Europe pour l’année 2016 ne sont pas plus encourageantes : « Les taux les plus élevés de surpopulation carcérale sont relevés dans « l’ex-République yougoslave de Macédoine » (132 détenus pour 100 places), la Hongrie (132), Chypre (127), la Belgique (120), (…) » [14] peut-on lire sur le site du Conseil de l’Europe dans un article publié le 20 mars 2018. Par ailleurs, dans l’introduction du rapport annuel « Direction Générale des Etablissements Pénitentiaires » pour l’année 2016, Koen Geens parle même de « surpopulation historique » [15], même si en 2016 la moyenne de la surpopulation dans les prisons était relativement basse.

Dès lors, on ne peut nier que les prisons sont loin d’être boudées quand il est question d’infliger une peine, au contraire : elles débordent. La peine de travail autonome n’a donc pas véritablement remplacé la peine de prison… Et il n’est par conséquent pas très judicieux de parler d’ « alternative » lorsqu’il en est question. Il faudrait plutôt parler de « diversification » ayant contribué à une « extension du filet pénal. » [16] Cela signifie que cette loi, plutôt que de désengorger les prisons, favorise un certain contrôle des individus. Plutôt que d’induire une modification du système, les alternatives permettent de placer davantage de personnes sous un contrôle plus resserré. [17] Effectivement, des faits qui n’auraient pas fait l’objet de poursuites avant l’apparition de cette loi se voient aujourd’hui sanctionnés d’une peine de travail. [18]

C’est par des dispositions d’ordre général que la peine de travail autonome a fait son entrée dans le code pénal afin d’éviter d’envisager article par article la peine applicable. Ainsi, comme évoqué précédemment, la peine de travail est applicable en matière correctionnelle et de police ; mais la peine « de référence » prévue par le texte est la prison. La peine de travail, inférieure à l’emprisonnement dans la « hiérarchie » des peines, ressemble donc à une sorte de faveur. Considérée comme moins pénible, elle est appliquée pour des faits moins graves. [19]

Autre couac : la peine d’emprisonnement subsidiaire (c’est-à-dire la peine d’emprisonnement à laquelle devra se soumettre l’auteur des faits en cas de non prestation des heures de travail) est en général plus importante que si elle avait été fixée comme peine principale… [20] Par ailleurs, ce procédé qui consiste à prononcer une peine d’emprisonnement subsidiaire dans le cas où la personne n’effectuerait pas ses heures de travail prouve encore une fois que dans l’esprit de tout un chacun, la pénibilité de l’emprisonnement outrepasse celle de la peine de travail et renforce l’idée qu’il n’est pas juste de considérer cette dernière comme une « alternative » : emprisonnement et peine de travail ne sont pas sur un pied d’égalité.

Impact sur les familles

Dans une analyse réalisée par la Coordination des ONG pour les droits de l’enfant et intitulée « Mythes et réalités des peines de substitution », la première phrase met immédiatement le lecteur face aux conséquences qu’une peine peut engendrer au niveau familial : « La prison est toujours une cassure dans la vie d’un individu. Mais l’enfermement frappe parfois par ricochet des enfants, désormais privés d’un père ou d’une mère (…) du point de vue de l’enfant, toutes autres solutions devraient être considérées avant de prononcer une peine d’emprisonnement à l’égard de son père ou de sa mère. C’est l’idée même de la peine comme sanction, qui condamne un comportement passé sans avoir égard à l’avenir, notamment familial, du condamné, qui pose problème. » [21]

Outre les enfants, les autres membres de la famille sont aussi impactés par l’emprisonnement d’un proche. Par exemple, les horaires de visite d’application en prison imposent aux membres de la famille un remaniement de leur gestion du temps... « Par contagion, les proches de détenus sont pris dans des contraintes carcérales » [22] peut-on lire dans la préface du bouquin de Caroline Touraut intitulé « La famille à l'épreuve de la prison ».

Dans cette perspective, les mesures judiciaires alternatives représentent un « outil » qu’il convient d’utiliser aussi souvent que faire se peut afin d’éviter cette « séparation familiale » aux conséquences multiples. Néanmoins, c’est à bon escient qu’il faudrait que soient envisagées ces mesures ; cela signifie qu’il faudrait davantage les considérer comme de véritables alternatives que comme un moyen d’élargir le « filet pénal ». Les mesures alternatives devraient être appliquées pour des faits qui actuellement donnent lieu à une peine de prison, et non a des faits qui – en l’absence de ces mesures – ne se seraient pas vus sanctionner. Cela permettrait de désengorger les établissements pénitentiaires, ce qui améliorerait la qualité de vie des détenus qui y vivent et parallèlement, les raccorderait à leur statut « d’humain », qui parfois semble être un souvenir lointain pour certains d’entre eux.

De surcroît, toutes les personnes qui éviteraient la case prison grâce aux alternatives devraient dès lors effectuer une mesure, non pas vengeresse, mais porteuse de sens tout en ayant la possibilité de maintenir un équilibre familial. Mais encore faut-il que la peine de travail corresponde au vécu de la personne, comme mettre en relation l’auteur d’une infraction au code de la route avec des victimes d’accidents dans le cadre d’un travail en hôpital par exemple… Or, dans les faits, il n’est pas toujours aisé de trouver des organismes d’accueil qui conviennent au profil des personnes et elles sont donc dispatchées selon leurs disponibilités horaires par exemple… « Alors, on prend la première alternative venue avec le moins de contre-indications. ‘Ça sera telle peine pour monsieur parce que monsieur n’est pas libre le samedi’ » lit-on dans l’article « Des peines pas si alternatives » sur alterechos.be. [23]

D’ailleurs, on ne peut nier le parallèle avec le type de sanctions qu’ils convient d’appliquer auprès des enfants, dans le domaine de l’éducation, lorsque ceux-ci ont commis une erreur. « Eduquer, c’est responsabiliser » [24] peut-on lire dans un article publié sur psychologies.com. Et pour ce faire : la sanction réparatrice parait incontournable : « réparer un objet cassé, remettre de l’ordre dans une pièce dérangée, nettoyer un meuble sali… » [25]

Bref, que cela soit au niveau éducatif ou répressif, pour éviter qu’une bêtise ou qu’une infraction ne se répète, tentons d’enclencher le réflexe de miser sur une punition qui ne réponde pas aux préceptes de la loi du talion, qui se résume souvent à « œil pour œil, dent pour dent » ; mais qui répare et surtout, responsabilise. [26] 

 

 

 

 


[1] Service d´encadrement des mesures judiciaires alternatives. In : https://www.droitsquotidiens.be/. Consulté le 6 novembre 2018. 
[2] SEMJA – OPTION – Ville de Namur. In : https://www.namur.be/. Consulté le 6 novembre 2018.
[3] Ibid.
[4] Ibid. 
[5] Service de cohésion sociale – cellule prévention et sécurité. « Semja OPTION – Service d’encadrement des mesures judiciaires alternatives de Namur ». Dépliant réalisé par la Ville de Namur. Décembre 2012. 
[6] Quelle est la différence entre la peine de travail autonome et les travaux d’intérêt général ? – Droits Quotidiens. In : https://www.droitsquotidiens.be/. Consulté le 7 novembre 2018.
[7] Service de cohésion sociale – cellule prévention et sécurité. « Semja OPTION – Service d’encadrement des mesures judiciaires alternatives de Namur ». Dépliant réalisé par la Ville de Namur. Décembre 2012. 
[8] Quelle est la différence entre la peine de travail autonome et les travaux d’intérêt général ? – Droits Quotidiens. In : https://www.droitsquotidiens.be/. Consulté le 7 novembre 2018. 
[9] Service de cohésion sociale – cellule prévention et sécurité. « Semja OPTION – Service d’encadrement des mesures judiciaires alternatives de Namur ». Dépliant réalisé par la Ville de Namur. Décembre 2012. 
[10] Peine de travail – Portail des maisons de justice en Fédération Wallonie-Bruxelles. In : http://www.maisonsdejustice.be/. Consulté le 6 novembre 2018.
[11] JACOBS, Ann, et DANTINNE, Michaël. « La loi du 17 avril 2002 instaurant la peine de travail comme peine autonome en matière correctionnelle et de police » In : Revue de Droit Pénal et de Criminologie, Bruxelles, 2002, p. 816.
[12] Ibid.
[13] Toujours plus de prisons, toujours plus de détenus. In : http://inegalites.be/. Consulté le 6 novembre 2018.
[14] SPACE - Statistiques Pénales Annuelles du Conseil de l’Europe. In : https://www.coe.int/. Consulté le 6 novembre 2018.
[15] Service public fédéral Justice. Rapport annuel de 2016 « Direction Générale des Etablissements Pénitentiaires ». Bruxelles, 2017 p.1.
[16] DANTINNE, Michaël. Pénologie : Année préparatoire au master en Criminologie. Université de Liège, 2013-2014. (Notes de cours)
[17] Ibid.
[18] PACI, Delphine. « Mythes et réalités des peines de substitution » Analyse CODE (Coordination des ONG pour les droits de l’enfant), Octobre 2008, p. 2.
[19] DANTINNE, Michaël. Pénologie : Année préparatoire au master en Criminologie. Université de Liège, 2013-2014. (Notes de cours)
[20] PACI, Delphine. « Mythes et réalités des peines de substitution » Analyse CODE (Coordination des ONG pour les droits de l’enfant), Octobre 2008, p. 2.
[21] Ibid, p.1.
[22] TOURAUT, Caroline. La famille à l'épreuve de la prison. France : Presses Universitaires de France, 2012, 316 p. Préface de Corinne Rostaing.
[23] Des peines pas si alternatives – Alter Echos. In : https://www.alterechos.be/. Consulté le 8 novembre 2018.
[24] Comment bien punir ses enfants ? In : http://www.psychologies.com/. Consulté le 8 novembre 2018.
[25] Ibid.
[26] Analyse rédigée par Audrey Dessy.

 

 

 

 

 

 

 

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