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Analyse 2018-29

En Belgique, comme dans la plupart des pays européens, des femmes de plus en plus nombreuses décident de ne pas avoir d’enfant. Que penser de cette augmentation ?

De tout temps, il y eut des femmes qui ne devenaient pas mères. Ce « taux d’infécondité » est aujourd’hui d’environ 14% en Europe, soit une femme sur sept, selon les résultats de l’étude « La proportion de femmes sans enfant a-t-elle atteint un pic en Europe ? », publiée en 2017 par l’INED (Institut national français d’études démographiques). Au regard du passé, ce taux d’infécondité n’est pourtant pas très élevé. Parmi les femmes européennes nées dans la première décennie du vingtième siècle, une sur quatre n’est pas devenue mère. Cela s’explique par divers facteurs, comme l’effet de la première guerre mondiale qui a provoqué la mort de nombreux jeunes hommes, mais aussi la crise économique des années trente. Ce taux a ensuite fortement diminué. Pour les femmes nées au début des années quarante, par exemple, seule une sur dix est restée sans enfant. Depuis 1975, le taux d’infécondité a de nouveau augmenté, pour arriver aujourd’hui à une femme sur sept soit 14%. Mais cette moyenne européenne masque en fait des différences significatives. Certaines régions d’Europe connaissent en effet des taux records, comme l’ex-Allemagne de l’Ouest, où il culmine à 25% de femmes sans enfants, pour les femmes nées à la fin des années soixante. Pour ce pays, ce taux s’explique par la rareté des infrastructures d’accueil de la petite enfance et la stigmatisation des mères qui travaillent.

Les raisons de cette infécondité peuvent être multiples : stérilité, choix personnel, aléas de la vie, difficultés économiques, etc. Parmi ces femmes sans enfants, en France en tout cas, 3% déclarent avoir fait ce choix délibérément et cette proportion semble elle aussi en constante progression. Et à côté de ces femmes qui ont pris consciemment la décision de ne pas être mère, il faut sans doute ajouter toutes celles qui ont postposé le moment de procréer pour de multiples raisons pour finalement faire le constat qu’il était devenu trop tard.

Des raisons diverses

Pour un certain nombre de femmes, la raison de ce choix est simple : elles n’en ont jamais éprouvé le désir. Ainsi, Louise, 30 ans, confie : « Quand je me questionne sur ma vie passée, présente et future, il n’y a pas l’envie d’un enfant. Je me suis toujours dit que les femmes qui en ont l’envie doivent ressentir quelque chose de profond qui les pousse à se lancer là-dedans, avec quelqu’un ou non. Je n’ai pas ça, cette volonté profonde de procréer. »

Beaucoup d’autres femmes mettent en avant leur volonté d’indépendance, de liberté. « Mon désir d’indépendance ne me semble pas vraiment compatible avec la maternité et la dépendance vitale d’un petit être à ma personne », affirme Charlotte, 33 ans. Et Jitka, 30 ans, déclare : « J’ai avant tout besoin de liberté, de pouvoir prendre mon sac et partir si je le souhaite. Avec ce besoin d’indépendance, ce serait irresponsable d’avoir un enfant. Avoir des liens entre adultes, oui. Mais un lien avec un enfant qui dépend de vous, c’est incompatible avec cette liberté qui m’est nécessaire pour me sentir heureuse, en accord avec moi-même. »

Certaines femmes insistent aussi sur leur volonté de combattre les stéréotypes sociaux qui associent la féminité à la quasi obligation d’être mère, comme si une femme ne pouvait être vraiment femme qu’en accédant à ce statut de mère. À 33 ans, Laetitia est bien consciente que la société pousse les femmes à la maternité. « Depuis toujours, la femme est mise au centre du foyer. Et pour qu’il soit heureux, il faut qu’il y fasse bon vivre, qu’il soit bien tenu et qu’il y ait des enfants. Le rôle de la femme, c’est d’avoir des enfants et de les élever. Mais je trouve que ce temps est révolu. C’est un peu comme si je n’étais pas totalement une femme parce que je n’ai pas d’enfants. »

Beaucoup de femmes n’acceptent plus non plus de mettre entre parenthèses leur désir de réussite professionnelle et refusent le schéma classique où l’homme s’investit surtout dans sa profession et la femme dans sa famille prioritairement. Leur métier leur plait et les épanouit. Elles veulent pouvoir s’y investir autant que nécessaire et la venue d’un enfant compliquerait les choses. Ce n’est pas tellement qu’elles ne veulent pas d’enfant, mais la maternité leur semble incompatible avec ce souci d’investissement et elles donnent la priorité à leur boulot.

Bien actuel aussi, le souci écologique oriente le choix de certaines femmes. Mettre des enfants au monde, c’est accroître la pression démographique et donc notre empreinte sur la planète. Pour certaines, c’est même la conviction que nous n’arriverons pas à éviter une catastrophe écologique qui les incite à ne pas obliger leurs éventuels enfants à vivre le cataclysme futur.

Dans son livre « No kid. 40 raisons de ne pas avoir d’enfant », paru en 2008, Corinne Maier évoquait aussi les mauvaises raisons de devenir mère. « Avoir un enfant est le meilleur moyen d’éviter de se poser la question du sens de la vie : il est un merveilleux bouche-trou à la quête existentielle. » On comprend que certaines femmes y renoncent simplement pour ne pas entrer dans ce jeu.

Éléments d’analyse

En tant qu’association d’éducation permanente qui se préoccupe des questions relationnelles et familiales, Couples et Familles se sent interpellé par l’augmentation du nombre de femmes qui ne veulent pas être mères. Alors que l’on a souvent tendance à considérer la parentalité comme un épisode naturel dans la vie des femmes et des hommes, sa remise en question oblige à s’interroger sur les motivations de ceux qui choisissent d’être parents comme de ceux qui font le choix contraire. Le développement d’une contraception fiable depuis quelques décennies a en effet profondément bouleversé l’approche de la parenté. Désormais, avoir un enfant est un choix et demande donc réflexion et analyse des avantages et inconvénients de chaque option.

Pour Couples et Familles, cette capacité de choix apparue avec la contraception moderne est un véritable progrès pour l’humanité, puisqu’il rend les personnes davantage responsables de leur destinée. La contraception ne permet pas seulement de choisir le moment où l’on souhaite avoir un ou des enfants, elle permet aussi d’y renoncer. Toutes les actions qui préservent cette capacité de choix doivent donc être favorisées. Ainsi, il reste beaucoup à faire pour déconstruire les stéréotypes qui enferment encore trop souvent les femmes dans leur rôle de mère, de gardienne du foyer, de dispensatrice de soins et d’éducation.

Par ailleurs, Couples et Familles s’interroge également sur la pression qui s’exerce sur les femmes qui deviennent mères. Beaucoup de femmes ont la conviction qu’elles seront seules à assumer le poids de la maternité. Pour la psychiatre Geneviève Serre [1], « On a le sentiment d’une histoire qui ne se passerait qu’entre la mère et le bébé. Elles ne peuvent s’appuyer sur l’idée qu’un enfant se fait à deux et que l’autre peut être là pour pallier leurs défaillances et transmettre sa part d’héritage. Comme si ce petit ne pouvait être qu’une duplication d’elles-mêmes dont il serait impossible de se séparer. » Ce sentiment des femmes de devoir assumer l’essentiel d’un enfant tient certes à la quasi sacralisation du rôle de mère qui est encore présente dans notre société, mais aussi bien sûr à la répartition des tâches qui reste encore très inégale dans les couples d’aujourd’hui. On dit d’ailleurs que les couples plus jeunes, qui ont plus souvent que leurs aînés la volonté de partager équitablement les tâches dans la vie commune, basculent généralement dans un modèle plus inégalitaire à la naissance du premier enfant. Ici aussi, le travail d’éducation permanente et de déconstruction des modèles dominants reste à poursuivre. Cette tâche est à mener dans la société mais aussi dans les familles elles-mêmes. Quelle pression les parents ne mettent-ils pas inconsciemment sur les plus jeunes en leur demandant régulièrement : « Alors, c’est pour quand ce bébé ? »

Certes, pour que le choix soit possible, il faut lutter contre les stéréotypes qui enferment les femmes dans leur rôle de mère, mais il faut aussi tenter de supprimer les obstacles à celles et ceux qui choisissent de devenir parents. Et l’on sait que les infrastructures d’accueil de la petite enfance sont encore largement insuffisantes et que le monde du travail pourrait lui aussi s’assouplir pour rendre plus facile la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale. Ce n’est qu’avec ces aménagements et ces progrès que le choix de devenir parent ou de ne pas le devenir, sera un véritable choix. [2]

 

 

 

 

 


[1] Geneviève SERRE, Les femmes sans ombre ou la dette impossible. Le choix de ne pas être mère, in L’Autre, 2002/2.
[2] Analyse rédigée par José Gérard.

 

 

 

 

 

 

 

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