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Analyse 2018-30

À partir de quand une personne devient-elle vraiment adulte ? Le contexte sociétal dans lequel vivent les jeunes leur permet-il facilement de se développer ? Osent-ils encore rêver à devenir « grand » ? Couples et Familles s’attèle à répondre à ces questions.

Plus longtemps ados ?

Selon l’OMS (organisation mondiale de la santé), « l’adolescence est la période de croissance et de développement humain qui se situe entre l’enfance et l’âge adulte, entre les âges de 10 et 19 ans » [1]. Il s’agit également d’une période « au cours de laquelle ont lieu des étapes clés du développement.  En dehors de la maturation physique et sexuelle, il s’agit par exemple de l’acquisition de l’indépendance sociale et économique, du développement de l’identité, de l’acquisition des compétences nécessaires pour remplir son rôle d’adulte et établir des relations d’adulte, et de la capacité de raisonnement abstrait » [2].

En début d’année 2018, la revue « Lancet Child & Adolescent Health journal » publiait une étude australienne réalisée par trois scientifiques au sujet de l’adolescence [3]. Dans leur étude, les trois chercheurs proposaient de réévaluer l’âge et la durée de l’adolescence. Selon leurs recherches, l’adolescence s’étendrait désormais de 10 à 24 ans. Différentes raisons seraient à l’origine de cette entrée retardée dans l’âge adulte. Les chercheurs soutiennent par exemple que le cerveau du jeune continue à mûrir après 20 ans et que bon nombre de jeunes hommes n’ont pas encore eu leurs dents de sagesse avant leurs 25 ans. Aussi, d’après Susan Sawyer, directrice du centre pour la santé des adolescents de l’hôpital Royal pour enfants de Melbourne, « le fait que les jeunes se marient plus tard, deviennent parents plus tard, quittent la maison parentale plus tard et soient indépendants économiquement à un âge plus avancé, signifie que la "semi-dépendance" qui caractérise l'adolescence est étendue » [4].

En somme, cette dernière étude suggère, qu’à notre époque, le passage du statut d’adolescent au statut d’adulte se produit plus tardivement à cause de faits biologiques, mais aussi à cause de critères sociaux. Ces derniers critères, de nombreux jeunes âgés de plus de 25 ans en font également les frais et ce, malgré leur volonté de s’autonomiser.

Devenir adulte en regard des difficultés économiques…

On entend souvent le terme « Tanguy » apparaître une fois que le jeune atteint un certain âge et qu’il vit encore chez ses parents. Cependant, est-ce toujours par choix ? Si certains jeunes se plaisent bien dans le confort familial, en profitent pour mettre de l’argent de côté ou rêvent de partager une maison intergénérationnelle, d’autres souffrent de ne pas pouvoir déménager et prendre leur envol. Encore à ce jour, chaque jeune ne démarre pas sa vie avec les mêmes chances,  ni avec la même bourse en poche. Des inégalités persistent…

Les changements sociétaux survenus ces dernières décennies ont très peu favorisé l’accès à l’indépendance économique propre à l’âge adulte. Par exemple,  la poursuite d’un long cursus scolaire est depuis longtemps socialement valorisée. Or, comment un jeune peut-il à la fois poursuivre de longues études, se prendre en charge financièrement et assumer le coût d’un loyer ? Ces injonctions sont paradoxales et ne tiennent clairement pas compte de toutes les réalités sociales des jeunes et de leurs familles.

Qui plus est, le marché de l’emploi constitue très clairement un frein dans la quête d’indépendance du jeune (y compris financière). Selon une enquête réalisée en 2014 par Solidaris [5], il semblerait, qu’excepté les étudiants, la majorité des jeunes de 18 à 30 ans vivent une situation professionnelle précaire : six jeunes sur dix ont soit un contrat à durée déterminée, effectuent un intérim ou sont demandeurs d’emploi. Dans un tel contexte, comment prendre confiance en l’avenir et oser quitter le nid familial ? Les résultats de cette enquête démontraient par ailleurs que 40% des jeunes interrogés vivaient encore chez leurs parents.

…et des difficultés sociales

De nombreux jeunes souffrent de devoir porter individuellement la responsabilité de leur avenir, du manque de lien social, de l’impossibilité à se projeter dans le futur et notamment de la peur de ne pas pouvoir subvenir aux besoins d’une éventuelle famille.

En effet, selon une enquête nationale du bonheur de l’assureur-vie NN, menée cette année en collaboration avec l’université de Gand, plus de la moitié des jeunes adultes Belges de 20 à 34 ans (54,5%) souffrent de solitude [6]. À l’ère des nouvelles technologies de la communication, l’échange interpersonnel semble être bel et bien ce qui manque le plus aux jeunes. Quelle ironie ! Dès lors, comment peuvent-ils envisager faire face à leur avenir, à celui de la planète ou encore à celui d’une potentielle descendance, alors que ces jeunes se vivent seuls et probablement sans soutien social ?

Comment devenir adulte peut-il devenir un objectif séduisant pour ces jeunes lorsque l’on sait, toujours selon l’étude de Solidaris [7], que 83% des personnes de 18 à 30 ans pensent qu’ils ne pourront compter que sur eux-mêmes pour assurer leur avenir professionnel ou bien pour avoir une pension, que 52% des jeunes sont tout à fait d’accord avec le fait que la société n’a plus d’objectifs, et que 51% pensent qu’il faut changer radicalement la société ? À nouveau, grandir est-il réellement agréable pour ces jeunes qui se sentent en insécurité ? 

Mais aussi, comment ces jeunes peuvent-ils s’imaginer évoluer dans des projets familiaux lorsque la parentalité apparaît socialement comme quelque chose de si individuel et exigeant et qu’ils ne disposent que de peu de moyens ? 13% des jeunes de 25 à 35 ans ne désirent pas d’enfants, d’après une étude réalisée par la VUB [8]. Si pour 6% de ces jeunes, il s’agit d’un désintérêt pour la fonction parentale, pour d’autres c’est l’absence de conditions primordiales et optimales qui sont à l’origine de ce choix, comme par exemple le fait de ne pas bénéficier d’un salaire convenable ou d’un environnement suffisamment stable [9].

Un constat alarmant

L’étude réalisée par Solidaris [10] a également mis en évidence qu’un jeune sur quatre ne se sent pas satisfait de sa vie, et que « plus on monte en âge entre 18 et 30 ans, plus le nombre de ceux qui évaluent leur vie négativement est élevé ». 33% des jeunes interrogés disent avoir déjà pensé à se suicider et 33% des jeunes de cet âge expriment un état d’anxiété, d’angoisse ou de déprime quasi permanent.

Face à autant de souffrance et autant de sources de pression, il est de bon ton de se demander quelle est la part de responsabilité de notre organisation sociétale. Manquons-nous de solidarité à l’égard des jeunes ? N’y a-t-il pas une réelle urgence à soutenir les jeunes dans leur développement personnel ? Ne s’agit-il pas d’une mission citoyenne que de permettre aux jeunes de devenir des êtres accomplis pour faire face au monde de demain ?

Dès lors, que faire ?

Françoise Tulkens, ancienne juge et ancienne vice-présidente à la Cour européenne des droits de l’homme, disait en réponse à la colère des citoyens que « le rôle de l’État, c’est de mettre fin à la peur, c’est un État pacificateur. Or maintenant, il fait tout le contraire. L’État prend la peur et se légitime à travers la peur » [11].

Pour Couples et Familles, ce rôle d’État pacificateur est crucial. Car c’est bien de la peur dont il s’agit ! Beaucoup de jeunes se sentent en insécurité et craignent pour leur devenir. Si chez certains jeunes, cette émotion de peur permet la mise en mouvement et favorise l’engagement politique, comme par exemple en participant à la marche pour le climat du 2 décembre dernier, chez d’autres jeunes c’est plutôt un immobilisme voire une tendance au repli sur soi qu’engendre la peur. Ceux-ci ne doivent pas être les laissés pour compte de la société. S’ils se vivent comme appartenant à un monde désenchanté, il est d’autant plus important de faire naitre en eux le désir d’exister dans un monde différent.

L’État se doit d’apporter des propositions de nouvelles constructions sociales, des propositions plus adaptées aux besoins de la société d’aujourd’hui, des réponses au mal-être qui émerge de sa population, des solutions qui visent réellement l’intégration de tout un chacun. Le mouvement des gilets jaunes est l’illustration d’un mécontentement évident de la population à l’égard de l’organisation sociale actuelle. La justice sociale est à viser si l’on souhaite permettre la pérennisation de notre société ainsi que le développement des jeunes et de leurs perspectives d’avenir.

Cette justice sociale peut être amenée par différents remaniements, en développant davantage d’emploi, en facilitant l’accès au logement, en soutenant les dispositifs d’aide à la parentalité, ainsi qu’en proposant des allocations sociales profitables à tout un chacun dont, entre autres, l’allocation universelle [12].

Finalement, il parait fondamental, pour Couples et Familles, de veiller au maintien et au déploiement de la vie associative. S’inscrire dans un mouvement associatif permet, d’une part de créer un sentiment d’appartenance, de lutter contre le sentiment de solitude,  mais aussi de donner du sens à un projet collectif. Les personnes se rencontrent, échangent, partagent leurs différents points de vue pour mener à bien un projet commun. [13] 

 

 

 

 

 


[1] « Développement des adolescents » In : https://www.who.int/ (Consulté le 17/12/18)
[2] Ibid.
[3] « L’âge de l’adolescence est aujourd’hui de 10 à 24 ans » In http://www.lalibre.be/ (Consulté le 17/12/18)
[4] Ibid.
[5] « Rapport de recherche, que vivent les 18-30 ans ? », Le thermomètre des Belges,  Solidaris. Novembre 2014. In http://www.institut-solidaris.be/ (consulté le 17/12/18)
[6] « Lutter contre le sentiment de solitude ressenti par près de la moitié des Belges, un enjeu national » In https://www.levif.be/ (consulté le 17/12/18)
[7] « Rapport de recherche, que vivent les 18-30 ans ? », Le thermomètre des Belges,  Solidaris. Novembre 2014. In http://www.institut-solidaris.be/ (consulté le 17/12/18)
[8] « Ces Belges qui ne veulent pas d’enfants » In http://www.lalibre.be/ (consulté le 17/12/18)
[9] Voir à ce propos l’analyse « Le choix de ne pas être mère », Couples et Familles, 2018-29.
[10] « Rapport de recherche, que vivent les 18-30 ans ? », Le thermomètre des Belges,  Solidaris. Novembre 2014. In http://www.institut-solidaris.be/ (consulté le 17/12/18)
[11] « Françoise Tulkens : " Si c’était aujourd’hui : la Belgique ne signerait pas la déclaration des droits de l’homme" » In https://www.rtbf.be/ (Consulté le 17/12/18)
[12] Voir à ce propos l’analyse : « L’allocation universelle, un plus pour la famille ? », Couples et Familles, 2017-17.
[13] Analyse rédigée par Aurelie Degoedt.

 

 

 

 

 

 

 

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