Analyse 2019-06

Dernièrement, le service Études des Mutualités Libres a effectué une récolte de données anonymisées concernant le remboursement des contraceptifs prescrits aux jeunes affiliées de leurs mutualités.

Selon cette étude [1], il apparait que les jeunes femmes de 14 à 20 ans bénéficiant de l’intervention majorée [2] soient trois fois plus à risque de tomber enceinte que celles qui n’en bénéficient pas. De plus, le nombre de grossesses de jeunes femmes de 16 à 20 ans désirant aller jusqu’à l’accouchement est également plus élevé chez celles bénéficiant de l’intervention majorée que chez les autres demoiselles. D’après les Mutualités Libres, les résultats de cette recherche corroborent « les résultats d’autres études qui montrent l’existence d’un lien évident entre grossesse précoce et précarité sociale, décrochage scolaire ou faible niveau d’attente dans des perspectives d’avenir » [3].

Une grossesse par manque de possibilités

Bien entendu, de nombreux facteurs vont influencer la manière dont les adolescentes vont utiliser leur moyen de contraception, mais aussi leur choix de poursuivre leur grossesse. Ces facteurs sont d’ordre psychologique, cognitif, social, familial, culturel, économique, environnemental et politique [4].

Néanmoins, la parentalité pour ces adolescentes en milieux précaires leur apparait-elle réellement comme un choix ? Pour certaines de ces jeunes, être parent semble être la seule option à suivre. En effet, plusieurs auteurs considèrent la survenue d’une grossesse dans de telles conditions socio-économiques comme une stratégie d’adaptation : projet d’échapper à une scolarité peu valorisante, à un milieu familial ou institutionnel perturbé ; projet d’avoir une fonction sociale, de réussir, de se valoriser, de bénéficier d’un soutien familial et social accru et de prestations d’aide sociale ; seul projet viable, finalement pour échapper au chômage, à l’échec, à la pauvreté. La maternité précoce présente alors une option de vie rationnelle et constructive, véritable vocation alternative [5].

Le manque de possibilités offertes à ces jeunes filles pour faire face aux nombreuses difficultés du quotidien mais aussi d’avenir les amène à se diriger vers la voie toute tracée, du moins pensent-elles, de la maternité. Toutefois, cette solution qui se présente à elles comme une issue immédiate se révèle être comme le début d’un parcours du combattant, et ce, particulièrement si elles ne bénéficient pas de soutien familial. De nouveaux obstacles non anticipés apparaissent tels que la difficulté à être adolescente et mère en même temps, le décrochage scolaire ou encore le risque de désinsertion socioprofessionnelle à long terme, la confusion des générations au sein du même toit, le désintérêt voire l’abandon du géniteur de l’enfant pour la fonction paternelle, l’isolement social… [6] Alors que ces adolescentes aspiraient à des conditions de vie plus confortables, elles se retrouvent à devoir gérer tout un tas de responsabilités sans pour autant être préservées de la précarité à laquelle elles espéraient échapper.

Dès lors, face à un tel constat, quelle est la part de responsabilité de notre organisation sociale ? Quelles sont les mesures à soutenir ou à développer pour permettre à chacune des adolescentes d’effectuer un réel choix de maternité ?

En amont, la prévention

Vraisemblablement, « les jeunes connaissent l’existence des principales méthodes contraceptives, mais manquent de connaissances sur leur bonne utilisation » [7]. Par conséquent, il semble indispensable de les informer au mieux de l’existence des différents moyens de contraception, mais aussi de les éduquer à la manière de les utiliser. En outre, de nombreuses croyances erronées et mythes circulent entre les jeunes au sujet des rapports sexuels. Leur fournir une information complète au sujet des différentes thématiques de la vie relationnelle, affective et sexuelle leur permet de discriminer les fausses informations des vraies.

Ensuite, la contraception doit concerner les deux partenaires et ne pas être exclusivement l’objet de préoccupation féminine. Selon Clémentine Gallot, l’inégalité homme-femme se manifeste également dans l’intimité ! [8] Elle parle de charge contraceptive et plus globalement de la charge sexuelle que portent les femmes. La médecin généraliste Alice Laplante le confirme : « jamais un patient homme ne m’a posé une seule question sur la contraception, même juste pour savoir. Alors que les hommes sont fertiles 100% du temps et les femmes 20% du temps. Et pourtant, c’est nous qui sommes en stress » [9]. La sexologue Claire Alquier ajoute : « chez les ados persiste la dichotomie selon laquelle seule la femme risque de tomber enceinte. Alors que ça se fait à deux » [10]. C’est pourquoi, il faut sensibiliser les garçons et les filles dès leur plus jeune âge à la question de l’égalité dans la relation, y compris sexuelle. Cela permet aux deux membres du couple de se sentir responsables de la contraception, et de se questionner quant au choix de la contraception à prendre, au partage de la prise en charge financière de celle-ci…

Enfin, il est également fondamental de permettre aux jeunes de pouvoir parler de leurs questionnements et de leurs sentiments au sujet de leur vie relationnelle, affective et sexuelle. Cette ouverture à leur égard leur permet d’appréhender cette découverte plus positivement et de prendre des choix plus assumés. C’est souvent lorsqu’ils vivent une gêne ou un sentiment de culpabilité à l’égard de la sexualité qu’ils risquent de passer à l’acte avant même d’en avoir assumé le choix. Cela aboutit plus facilement à un rapport sexuel non protégé et par conséquent, à une grossesse non programmée [11].

Soutenir l’EVRAS

Certaines familles offrent un environnement d’intimité et de confiance propice à l’échange des thématiques en lien avec la vie relationnelle, affective et sexuelle du jeune. D’autres par contre estiment qu’il s’agit de sujets tabous, ne se sentent pas à l’aise ou suffisamment informés pour aborder ces multiples questions avec leurs enfants. De nombreuses associations d’éducation permanente peuvent soutenir les parents en leur apportant différents outils en lien avec l’éducation relationnelle, affective et sexuelle. Par exemple, Couples et Familles a réalisé plusieurs analyses [12] ainsi qu’un dossier [13] sur la question qui permettent aux parents de s’informer mais aussi de s’interroger quant à la manière de faire la plus juste pour eux-mêmes.

Par ailleurs, pour que chaque enfant puisse bénéficier d’un même accès à l’information et à l’éducation relationnelle, affective et sexuelle, en 2012, le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a voté l’inscription de l’EVRAS (éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle) dans les missions de l’école. Depuis lors, l’EVRAS est théoriquement obligatoire dans tous les établissements scolaires, tant dans l’enseignement fondamental que secondaire, ordinaire et spécialisé [14]. Ce qui implique que chaque école réalise des initiatives en lien avec cette matière. Pour Couples et Familles, cette décision tend à favoriser une certaine égalité d’éducation auprès des enfants des différentes familles. Néanmoins, il peut persister une certaine inégalité d’informations entre les élèves des différents établissements scolaires puisque chaque école dispose d’une liberté absolue en termes de mise en application des projets EVRAS. Certains établissements risquent de s’y investir plus ou moins que d’autres. Cette limite amène Couples et Familles à soutenir également le développement d’autres projets EVRAS réalisés en dehors de l’école, comme par exemple ceux issus des plannings familiaux.

Combattre les causes structurelles

Pour Couples et Familles, la prévention n’est pas la seule action à développer pour pallier ce phénomène de grossesse précoce. Nous partageons l’avis de Marc de Crombrugghe, coordinateur au service Tremplin S.A.I.E., selon lequel il est impératif d’agir sur les causes structurelles de ce phénomène (précarité, décrochage scolaire…) [15].

Dans un premier temps, il parait nécessaire d’offrir des espaces de réflexion aux adolescentes afin de leur permettre d’ouvrir leur champ des possibles et de se questionner sur leur propre identité. Comment peuvent-elles s’accomplir autrement qu’en devenant maman ? Dans quelles activités peuvent-elles trouver de la valorisation et se sentir compétentes ?

Ensuite, puisque le sentiment d’échec dans la scolarité peut amener les adolescentes à renoncer à toute instruction et de ce fait à choisir la maternité comme nouveau projet de vie, il serait judicieux de sensibiliser le corps enseignant à la thématique de la grossesse précoce. De cette manière, les enseignants pourraient être davantage vigilants aux premiers signes de décrochage scolaire et renvoyer ces jeunes vers des structures de soutien, comme par exemple les écoles de devoirs ou les services de remédiation, dans le but de surmonter les difficultés encourues en classe.

Enfin, les inégalités sociales semblent jouer un rôle prépondérant dans ce phénomène de grossesse précoce. En effet, dans les milieux plus aisés, l’adolescence est vécue comme une transition durant laquelle le jeune peut se développer et s’épanouir en ayant accès à tout un tas d’activités comme des cours, des voyages… [16] Des possibilités auxquelles les jeunes en milieux précaires ne peuvent avoir accès. Des lors, comment veiller à donner les mêmes chances de développement personnel et citoyen à chacune des adolescentes ? N’est-ce pas à l’État-providence de traiter des inégalités sociales et économiques, et de débloquer plus de moyens dans la lutte contre la pauvreté ?

Développer l’accompagnement des adolescentes enceintes

Étant donné le nombre de facteurs complexes à l’origine de la décision d’être mère à l’adolescence, on peut présupposer qu’il y aura toujours des jeunes mamans. C’est pourquoi, même si de nombreuses actions veillent à maîtriser ce phénomène de grossesse précoce, il faut également envisager un accompagnement adapté pour ces jeunes mères. Des associations telles que le service d’aide et d’intervention éducative Tremplin [17] ou l’asbl le Toboggan [18] s’attellent à ce travail et veillent à proposer des solutions pour que ces familles en devenir se développent au mieux. Le Fonds Houtman (ONE) a quant à lui financé une recherche-action dont le projet s’intitule « Parentalité adolescente et scolarité : un ressort pour l’intervention médico-psycho-sociale » dans le but de mettre en place un travail en réseau susceptible d’accompagner au mieux les futurs et jeunes parents ainsi que leurs enfants [19]. Ce projet est toujours en cours mais s’annonce prometteur de belles avancées dans l’accompagnement des parents adolescents [20].

 

 

 

 

 

[1] Karakaya. G., Von Rauch. E., Grossesses et contraceptions chez les jeunes femmes, Services Études des Mutualités Libres. In : https://www.mloz.be/fr/publications (consulté le 01-04-19)
[2] « L’intervention majorée permet aux personnes qui ont de faibles revenus et à leur ménage, d’obtenir de meilleurs remboursements des prestations et consultations chez les médecins, des médicaments moins chers, le système du tiers payant (payer uniquement le ticket modérateur lors d’une consultation)…Mais aussi, des tarifs préférentiels pour le gaz et l’électricité, le téléphone, les transports en commun… »
 « Bénéficiaire de l’intervention majorée : Statut BIM ». In : https://wikiwiph.aviq.be/ (consulté le 21/02/19)
[3] Karakaya G., Von Rauch E., Grossesses et contraceptions chez les jeunes femmes, Services Études des Mutualités Libres. In https://www.mloz.be/fr/publications (consulté le 01-04-19)
[4] Berrewaerts.J., Noirhomme-Renard. F., La grossesse à l’adolescence : quels sont les facteurs explicatifs identifiés dans la littérature ? , UCL – RESO Unité d’éducation pour la Santé, Juin 2006. (Consulté le 01-04-2019)
[5] Berrewaerts.J., Noirhomme-Renard. F., La grossesse à l’adolescence : quels sont les facteurs explicatifs identifiés dans la littérature ? , UCL – RESO Unité d’éducation pour la Santé, Juin 2006. (Consulté le 01-04-2019)
[6] Berrewaerts.J., Noirhomme-Renard. F., La grossesse à l’adolescence : quels sont les facteurs explicatifs identifiés dans la littérature ? , UCL – RESO Unité d’éducation pour la Santé, Juin 2006. (Consulté le 01-04-2019)
[7] Berrewaerts.J., Noirhomme-Renard. F., La grossesse à l’adolescence : quels sont les facteurs explicatifs identifiés dans la littérature ? , UCL – RESO Unité d’éducation pour la Santé, Juin 2006. (Consulté le 01-04-2019)
[8] Désir, plaisir, contraception, MST… c’est la charge sexuelle. In : http://www.slate.fr/ (consulté le 01-04-2019)
[9] Désir, plaisir, contraception, MST… c’est la charge sexuelle. In : http://www.slate.fr/ (consulté le 01-04-2019)
[10] Désir, plaisir, contraception, MST… c’est la charge sexuelle. In : http://www.slate.fr/ (consulté le 01-04-2019)
[11] Ado et enceinte ?!, Liens Sociaux, Question Santé ASBL, 2013. (consulté le 01-04-2019)
[12] Les différentes analyses réalisées en lien avec la thématique de la vie relationnelle, affective et sexuelle sont les suivantes :
« La transidentité est-elle réellement admise en Belgique ? » Analyse 2019-04 de Couples et Familles.
« Comment réagir face à l’homosexualité de son enfant ? » Analyse 2018-15 de Couples et Familles.
« L’éducation sexuelle, matière obligatoire » Analyse 2012-23 de Couples et Familles.
[13] « Quelle éducation affective et sexuelle ? » de Couples et Familles (Dossier NFF n°109
[14] Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS). In : http://enseignement.be/ (consulté le 01-04-2019)
[15] Mineures enceintes, adolescence et parentalité – Encore jeunes et… déjà parents In https://ligue-enseignement.be/ (consulté le 01-04-2019)
[16] Doorian.D., Grossesses adolescentes, Le journal des psychologues. In https://www.cairn.info/ (consulté le 01-04-19)
[17] Pour plus d’informations sur les services de Tremplin SAIE : http://www.tremplinsaie.be/ 
[18] L’asbl Le Toboggan a mis en place l’antenne Marsupilama en vue d’encadrer au mieux les jeunes filles mères. Pour plus d’informations : http://www.adosenceintes.be/
[19] 16 ans et déjà maman, Un ado à la maison, Les Nouvelles Feuilles Familiales, N° 124, p.56.
[20] Analyse rédigée par Aurelie Degoedt.

 

 

 

 

 

 

 

 

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