Analyse 2019-09

Le don de gamètes (spermatozoïdes ou ovocytes) et le don d’embryons doivent-ils rester anonymes ? Comment prendre en considération le droit des enfants issus de la procréation médicalement assistée (PMA) à connaître leurs origines ? Ces questions, qui émergent avec le recours de plus en plus fréquent à la biomédecine, toujours en progrès, et avec les revendications de la première génération d’adultes issus de PMA, suggèrent de réelles réflexions éthiques et méritent certainement que Couples et Familles s’y attarde [1].

En Belgique, les règles encadrant la pratique de la PMA sont amenées à changer. Sans doute, la question de la levée de l’anonymat du don sera mise sur la table lors des débats de la future Chambre des Représentants élus ce dimanche 26 mai. Mais quelle direction prendra la future loi ? Le cdH considère que la levée de l’anonymat doit être voulue par les deux parties, c’est-à-dire aussi bien le donneur ou la donneuse que l’enfant issu du don et doit se faire par l’intermédiaire du centre de fécondation. Le PS et le PTB pensent que l’anonymat doit être levé uniquement si les donneurs y consentent. Les socialistes craignent en effet que supprimer l’anonymat n’entraîne une réduction des dons. Ecolo partage cette appréhension. DéFI veut préserver l’anonymat du don mais entend mettre à disposition de l’enfant issu d’une PMA des informations « non identifiables », s’il en fait la demande et si le, la ou les donneurs y consentent. De son côté, le MR n’émet pas d’avis et réserve à ses futurs élus le droit de se positionner comme ils l’entendent [2].

En Belgique, où en sommes-nous ?

La Belgique fait partie des pays pionniers en matière de PMA. Dès les années 1960, des recherches et des tests sur l’insémination artificielle sont développés. Le premier « bébé éprouvette » belge (issu d’une fécondation in vitro) naît quant à lui en 1983. Il faut pourtant attendre 2007 pour qu’une loi relative à la PMA voie le jour. Avant cela, il existait un vide juridique autour de cette pratique, que seules quelques règles du Code de déontologie médicale comblaient, sans valeur obligatoire [3].

La loi du 6 juillet 2007 stipule que « le centre de fécondation consulté doit garantir l’anonymat » des donneurs « en rendant inaccessible toute donnée permettant leur identification ». Les employés du centre qui prennent connaissance d’informations relatives à l’identité des donneurs sont tenus au secret professionnel. À la différence du don d’embryons, le don de gamètes peut échapper à l’anonymat s’il « résult[e] d’un accord entre le donneur et le ou les receveurs [4] » [5]. Autrement dit, les informations ne circulent qu’au niveau des parents. L’enfant, quel que soit son âge, n’a aucun accès à l’identité du donneur ou de la donneuse, sauf par l’intermédiaire de ses parents [6].

Don de gamètes : un don comme un autre ?

Aux débuts de sa pratique, le don de sperme était considéré, au même titre qu’un don de sang ou qu’un don d’organes, comme un transfert de matériel biologique, de produit issu du corps humain [7]. La visée de l’insémination artificielle était uniquement thérapeutique. Le donneur venait ainsi en aide aux couples désireux de donner naissance à un enfant mais incapables de réaliser ce rêve par eux-mêmes.

En France, la même loi était appliquée pour l’ensemble de ces dons (sperme, sang, organe…). Elle impliquait le respect de trois grands principes : la gratuité du don, le consentement du donneur ou de la donneuse et son anonymat. Ce dernier élément est particulièrement important en cas de greffe, car il aide le corps receveur à assimiler l’organe étranger. Or, dans le cas d’un don de sperme, il n’est pas question d’assimilation. Le produit n’est pas destiné à remplacer mais bien à créer, soit partiellement (don de gamètes), soit entièrement (don d’embryons), un nouveau corps, une nouvelle vie [8]. Dès lors, l’anonymat est-il toujours recommandé dans ce cas ?

Trois droits, une contradiction

Sur la question de l’anonymat, il faut prendre en considération les droits des trois parties impliquées dans la PMA. D’abord, il y a le droit au respect de la vie privée du donneur ou de la donneuse. Ensuite, il y a le droit à l’autonomie des parents receveurs. Ces deux premiers droits coexistent plutôt bien, au nom de la « paix des familles » : ni les donneurs ni les receveurs n’ont intérêt à connaître leurs identités respectives. Cela garantit à la fois la protection du donneur ou de la donneuse (qui n’a aucune obligation légale vis-à-vis du couple receveur ni de l’enfant) et l’autonomie des parents receveurs (qui peuvent mener une vie de famille sans l’ingérence d’un tiers) [9].

Par contre, le droit de la troisième partie – à savoir l’enfant –, entre en contradiction avec les deux précédents. Selon l’article 7.1 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, ce dernier a « dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents ». Si la définition du mot « parent » n’est pas donnée, certains considèrent qu’il s’agit aussi bien des parents « nourriciers » que des géniteurs biologiques. Mais en réalité, pour les enfants issus de PMA, l’État exclut de « la mesure du possible » leur droit à connaître leurs origines en imposant, dans la loi, l’anonymat du don de gamètes et d’embryons [10]. 

Face à leur confrontation, faut-il instaurer une hiérarchie de ces droits ? Avec quelle légitimité ? La solution « mixte » présentée par le Comité consultatif de bioéthique de Belgique en 2004, mais qui ne fait pas l’unanimité de ses membres, propose de concilier les différents droits : les donneurs de gamètes peuvent choisir d’être identifiables ou de rester anonymes. « Identifiables » signifie que les parents receveurs ne connaissent pas l’identité des donneurs mais que celle-ci peut être révélées aux enfants issus de la PMA s’ils ont atteint un certain âge (voire la majorité) et s’ils en formulent la demande. Le droit des parents receveurs interviendra au moment du choix du donneur ou de la donneuse : ils pourront opter pour quelqu’un qui désire rester dans l’anonymat ou quelqu’un qui consent à dévoiler son identité. Les avantages que représente cette option à « choix multiple » ne sont pas négligeables : elle permettrait de maintenir un nombre correct de donneurs, elle demanderait une réflexion plus approfondie encore sur les implications du choix, mais aussi, elle encouragerait le pluralisme moral selon lequel « il n’existe pas une seule manière correcte de bâtir une "bonne famille" » [11].

À la recherche de son identité

Pourquoi les enfants voudraient-ils connaître leurs parents biologiques ? Les parents socio-éducatifs ne suffisent-ils pas ? Le lien familial et l’identité seraient-ils uniquement tributaires des liens du sang ? Rien de tout ça. En cherchant à connaître l’identité des donneurs dont ils sont issus, les enfants nés grâce à la PMA ne veulent pas établir un lien de filiation. De toute façon, la loi l’interdit. Les parents « juridiques » sont les auteurs du « projet parental » et non pas les donneurs [12]. La quête des origines est importante du point de vue du développement personnel et identitaire. Lever l’anonymat du don de gamètes et d’embryons revient à lever le voile sur une partie de leur « pré-existence », de leur histoire. Une multitude de questions se bousculent dans la tête de ces enfants ou de ces adultes : « Quels sont les éléments qui ont motivé le don ? », « À quoi ressemble la personne qui partage mon ADN ? », « Ai-je des frères et sœurs issus du même donneur ou de la même donneuse ? », etc. Ces interrogations, si elles restent sans réponse, sont parfois à l’origine du développement de pathologies psychologiques [13].

Actuellement, de plus en plus d’institutions proposent leurs services pour réaliser des tests ADN. En 2017, un homme issu d’un don de gamètes a pu, selon Le Vif, retrouver son donneur via un site internet [14]. Outre les dangers que cela peut représenter en termes de confidentialité et d’utilisation des données, cet événement témoigne de la détermination dont font preuve les enfants pour connaître leurs origines. Dans un autre contexte, certes, mais avec la même idée de quête identitaire, Delphine Boël montre à la Belgique entière une volonté acharnée d’obtenir la vérité au sujet de son père [15].

Que la loi lève l’anonymat du don ou pas, il reste une faille : pour que l’enfant puisse revendiquer son droit à connaître ses origines, encore faut-il qu’il soit mis au courant de son mode de conception. En toute logique, les enfants de couples homosexuels apprendront tôt ou tard qu’au moins une personne tierce a participé à leur procréation. Les couples hétérosexuels, en revanche, choisissent ou non de révéler le secret du mode de conception à leurs enfants. À l’époque, la stérilité était considérée comme un handicap et les couples qui avaient recours à l’insémination artificielle en gardaient généralement le secret [16]. Mais désormais, la perception de la société a changé et les réalités des familles sont bien différentes. Alors pourquoi ne pas encourager la transparence à tous les niveaux ? [17]

Pour aller plus loin :

 

 

 

[1] Le titre de l’article, « Procréation médicalement Anonyme », fait référence au nom de l’association française fondée en 2004 par le Docteur Pauline Tiberghien pour défendre la cause des enfants issus de dons de gamètes ou d’embryons et lutter en faveur d’une reconnaissance du droit d’accès aux origines par la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes et d’embryons. PMAnonyme, http://pmanonyme.asso.fr/ (consulté le 21/05/2019).
[2] Cette analyse comparée des programmes des partis sur la question de la levée de l’anonymat dans le cadre du don de gamètes est issue du Test électoral 2019 développé par la collaboration de l’UCLouvain, l’UAntwerpen  ainsi que de La Libre, de la RTBF, du Standaard et de la VRT (consulté le 17/05/2019).
[3] SCHIFFINO N., « La régulation publique de la biomédecine. Procréation médicalement assistée, recherche sur embryons, gestation pour autrui », Courrier hebdomadaire du CRISP, n°2348-2349, 2017, p. 8-9.
[4] Ce qui est plus souvent le cas avec les donneuses d’ovocytes, difficiles à trouver en raison des risques liés à l’intervention et donc souvent recrutées parmi le cercle proche des parents receveurs (famille, amies).
[5] « 6 JUILLET 2007. - Loi relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes », Moniteur belge, 17/07/2007. In : https://www.ejustice.just.fgov.be/ (consulté le 20/05/2019).
[6] MATHIEU G., Le droit de connaître ses origines : un droit fondamental, résumé de thèse, Fondation Brocher, février 2015, p. 29. In : https://www.academia.edu/ (consulté le 20/05/2019).
[7] DUMAS-LAVENAC S., « Anonymat du don de gamètes et droit d’accès à ses origines », Cahiers Droit, Sciences & Technologie, n°7, 2017, p. 51-64. In : https://journals.openedition.org/ (consulté le 21/05/2019).
[8] Ibid.
[9] Comité consultatif de bioéthique de Belgique (CCB), Avis n°27 relatif au don de sperme et d’ovules, 8/3/2004, p. 24. In : https://www.health.belgium.be/ (consulté le 20/05/2019).
[10] MATHIEU G., op. cit., p. 12-13.
[11] CCB, op. cit., p. 26-27. Concernant le don d’embryons : CCB, Avis n°29 relatif au don d’embryon, 21/06/2004, p. 8. In : https://www.health.belgium.be/ (consulté le 21/05/2019).
[12] MATHIEU G., op. cit., p. 29-30.
[13] Ibid., p. 8-10.
[14] « L’anonymat des donneurs de sperme remis en question », 22/09/2017. In : https://www.levif.be/ (consulté le 22/05/2019).
[15] Récemment, nous avons appris via la presse qu’Albert II serait condamné à une amende de 5000€ par jour s’il refuse de se soumettre au test ADN demandé par l’avocat de Delphine Boël. « Albert II condamné dans l’affaire Boël : une astreinte de 5000€/jour s’il refuse de se soumettre au test ADN », 16/05/2019. In : https://www.rtbf.be/ (consulté le 17/05/2019).
[16] DUMAS-LAVENAC S., op. cit.
[17] Analyse rédigée par Sigrid Vannuffel.

 

 

 

 

 

 

 

Coûteaux Pierre-Henry
Excellent article qui met en lumière avec énormément de références un sujet qui n'est pas toujours bien connu du grand public.
Couples et Familles
Merci pour ce retour positif qui nous conforte dans notre travail smile
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