Analyse 2019-15

Si l’essence de l’habitat n’a pas changé – il s’agit toujours d’un « lieu de vie, d’épanouissement et d’émancipation des individus et des familles » [1] –, la diversité nouvelle des formes et des situations familiales en a modifié les contours. Des logements originaux et « alternatifs » émergent : habitat groupé, solidaire, intergénérationnel... et léger. Qu’entend-on par « habitat léger » ? Qui sont les gens qui optent pour ce mode d’« habiter » ? Quelles en sont les limites et pourquoi est-il urgent de les dépasser ?

Autrefois, les maisons familiales passaient de générations en générations. Désormais, l’espérance de vie ayant augmenté, les parents occupent leur logement beaucoup plus longtemps et les enfants construisent progressivement leur propre famille au sein d’un nouveau foyer, dans lequel ils investissent aussi bien leur argent que leur personnalité. Les fréquentes décohabitations, le développement des familles monoparentales ou recomposées [2], mais aussi la location ou l’acquisition d’un bien immobilier à titre individuel, ont transformé notre rapport à l’habitat : il est devenu de plus en plus provisoire et doit répondre à des besoins différents au cours de nos vies.

Adopter un mode de vie et d’habiter différent

L’habitat léger ne forme pas un bloc monolithique. Il peut revêtir différentes apparences (yourte, caravane, cabane, roulottes et autres tiny houses) et se construire à partir de différentes matières. Le point commun de toutes ces formes d’habitat originales se situe dans leur faible emprise au sol et leur caractère facilement démontable ou transportable. Juridiquement parlant, une habitation légère satisfait au moins trois des neuf critères suivants : « démontable, déplaçable, d’un volume réduit, d’un faible poids, ayant une emprise au sol limitée, auto-construite, sans étage, sans fondations, qui n’est pas raccordée aux impétrants » [3].

En Belgique, le concept se fait connaître et réunit de plus en plus d’adeptes. Pourtant, il n’est pas récent. Déjà dans les années 1970, le quartier de la Baraque à Louvain-la-Neuve se dote de constructions légères, dans lesquelles se retranchent notamment des étudiants à la recherche d’un idéal de vie communautaire et moins consumériste. Le mode de vie collectif et l’autogestion y sont depuis le credo des habitants. Lorsqu’une « place » se libère dans le quartier dont l’expansion a été stoppée, nombreux sont les candidats pour s’y installer, preuve de l’attractivité de l’idéal promu, mais également symptôme d’une « pression immobilière croissante au sein des zones destinées à l’habitat » [4].

L’habitat léger s’accompagne souvent d’une certaine philosophie de vie. Celle-ci peut s’exprimer par le désir de remettre le lien social au cœur de ses échanges avec ses voisins, comme les habitants de la Baraque : par l’entraide, la gestion collective d’un potager ou le partage d’un local communautaire. L’auto-construction de son lieu de vie peut également contribuer à intensifier ce lien d’entraide et de cohésion, entre instigateurs du projet, couples ou amis, mais aussi à développer un sentiment de satisfaction et de fierté. Construire soi-même son habitat permet de donner libre cours à sa créativité et de répondre parfaitement à ses besoins, tout en autorisant des adaptations, des ajouts, au fil du temps.

Par ailleurs, la petite taille de ces habitats empêche l’accumulation de biens, ce qui les rend simples, fonctionnels et désencombrés [5]. Voilà un autre aspect de la philosophie qui sous-tend l’habitat léger. Le temps gagné sur le rangement et le nettoyage peut être mis à profit dans d’autres types d’activités (culturelles, sociales). Ce mode de vie économe permet même à ceux qui le désirent de réduire leur temps de travail et de se consacrer davantage à l’« art d’habiter » sa maison, son quartier [6].

Une réponse à des défis sociétaux

Pour certains, élire domicile dans une construction légère est un acte écologique. En effet, se contenter d’un petit volume diminue considérablement la consommation énergétique et le besoin en matériau isolant. De plus, qui dit surface au sol réduite, dit moindre impact sur le terrain : la pluie peut s’y infiltrer et, une fois la construction démontée, la parcelle retrouve sa virginité. Souvent, la démarche se complète par le recours à des matériaux locaux, naturels ou de récupération. Les habitants ont tendance à veiller à la réduction de leurs déchets (compost, phyto-épuration) et à privilégier les toilettes sèches, désireux d’économiser l’eau [7].

Mais le mode de vie choisi par ces habitants n’est pas toujours motivé par des raisons écologiques. Quatre cinquièmes [8] des habitants de constructions légères (caravanes, chalets) en Wallonie sont en fait des résidents permanents en zone de loisirs (campings, domaines, parcs résidentiels). Nombre d’entre eux trouvent dans l’habitat léger une manière de faire face au coût du logement. En réalité, depuis de nombreuses années, l’Europe est confrontée à une réelle crise du logement, résultat de l’inadéquation entre offre et demande, tant au niveau des prix (le coût des loyers augmente plus vite que le coût de la vie), que de la qualité des logements (souvent humides, vétustes et énergivores). En Wallonie, la quantité de logements publics pose également problème : ils représentent seulement 6 % du parc immobilier, ce qui n’est pas suffisant pour accueillir toutes les personnes qui pourraient y prétendre. Pour les défenseurs du droit au logement, les mesures à prendre sont multiples : rénovation et développement des logements sociaux en Wallonie, régulation du marché du logement, lutte contre l’inoccupation, etc. [9]

Les personnes seules, sans emploi, exclues des solidarités familiales et sociales, ou pensionnées, ont plus difficilement accès au logement. Quant aux familles monoparentales, elles sont également fragilisées dans cette crise. Garder un grand logement pour accueillir ses enfants représente souvent une gageure financière [10]. Les locataires sont les plus touchés par cette crise mais de nombreux propriétaires se trouvent également dans des situations précaires [11]. Depuis la crise de 2008, la durée des emprunts pour l’acquisition d’un bien immobilier a globalement augmenté (ils s’étendent plus souvent sur 25 à 30 ans au lieu de 20 ans). Les jeunes ménages ont plutôt tendance à louer quelques années avant de devenir propriétaires et « de moins en moins de parents sont là pour aider leurs enfants » [12].

D’après le Rassemblement wallon pour le droit à l’habitat, l’habitat léger mais aussi les modes d’« habiter » alternatifs, comme l’habitat solidaire, sont des solutions valables à la crise du logement [13]. En optant pour un habitat léger, certains parviennent à devenir propriétaires sans sacrifier ni leur portefeuille, ni le confort d’une maison traditionnelle.

Des freins juridiques

Pourtant, l’habitat léger se heurte à une série de freins juridiques. Le premier, c’est sa non reconnaissance comme « logement ». « C’était », devrait-on dire, puisque cet obstacle a été levé à la fin du mois d’avril 2019. En effet, le Code wallon du logement et de l’habitat durable a été rebaptisé Code wallon de l’habitation durable [14] et inclut désormais une définition de l’habitation légère, suivant la recommandation d’une étude juridique publiée par plusieurs membres d’associations et d’universités [15].

Mais, bien que cette mesure représente une avancée vers la reconnaissance d’un autre « habiter », ce n’est qu’un début. Il reste encore à définir des normes de salubrité propres aux habitations légères. Une hauteur sous plafond suffisante, l’étanchéité, la stabilité, la ventilation font partie des critères essentiels de salubrité, garants du droit constitutionnel à un logement décent. Ce droit est indissociable de celui à mener une vie conforme à la dignité humaine [16]. Un logement insalubre accentue en effet les problèmes de santé, augmente la précarité, l’instabilité du ménage et entrave bien souvent la scolarité des enfants. C’est pourquoi veiller au respect des normes de salubrité est indispensable, en particulier lorsque le bien est mis en location, pour éviter les abus et juguler la malhonnêteté des marchands de sommeil. Mais les normes existantes sont conçues pour les bâtiments « en dur » et ne sont donc pas adaptées aux habitations légères. Tout en restant intransigeants sur les questions de sécurité et de décence du logement, les personnes concernées par l’habitat léger appellent à une certaine souplesse des normes, par exemple en ce qui concerne les sanitaires : les toilettes sèches, souvent privilégiées dans les petites constructions, ne satisfont pas la condition de salubrité qui exige qu’elles soient équipées d’une chasse d’eau [17]. En ce qui concerne la superficie du logement et le surpeuplement, un aménagement des règles semble aussi nécessaire.

Les règles d’urbanisme constituent un autre frein juridique à l’existence et au développement des habitations légères. Le Code du développement territorial wallon n’aborde pas spécifiquement leur cas. En principe, il faut se procurer un permis, mais même si l’habitat léger répond aux conditions d’urbanisme et d’aménagement du territoire, le verdict dépend de l’appréciation de l’autorité communale, à qui il appartient de juger le « bon aménagement des lieux », c’est-à-dire la bonne intégration du projet dans le cadre bâti et le paysage [18].

Ces problèmes d’urbanisme ont des conséquences sur la domiciliation. Dans certains cas, puisque l’habitat léger est considéré comme illégal ou non conforme, la commune refuse d’en inscrire les habitants au registre de population. Ce rejet est pourtant interdit ; l’officier de la commune est obligé d’accepter la domiciliation d’un habitant, peu importe le caractère légal ou non de son logement. Ne pas avoir de domicile entraîne une exclusion de droits sociaux (allocations, assurance) et politiques (impossibilité de recevoir les convocations électorales). Deux options sont possibles dans le cas de l’habitat léger : se domicilier à une adresse de référence, ou être inscrits de manière « provisoire » (même si, officieusement, permanente) [19].

En conclusion

Progressivement, les a priori sur l’habitat léger, longtemps perçu comme précaire et insalubre, et la méfiance à l’égard des logements – volontairement – marginaux dans notre « société où la propriété d’un logement en briques l’emporte » laissent place à un ressenti plus positif [20]. L’habitat léger apparaît en effet comme une alternative au « dur » efficace face aux crises que nous traversons : lien social en chute libre et montée des individualismes, crise environnementale et difficultés d’accès au logement.

C’est pourquoi il importe de continuer à remanier les Codes wallons réglementant le logement et l’urbanisme, dans le but d’inclure et d’accepter toutes les formes d’« habiter », de prendre acte des changements qui s’opèrent dans la société. Adapter et simplifier les normes, mieux informer sur les habitats alternatifs, mettre fin aux différences de traitement des dossiers d’une commune à l’autre, permettre aux habitants d’habitat léger de souscrire à des garanties de protection et de recevoir les aides disponibles aux autres ménages de Wallonie… [21] Ces recommandations doivent se transformer en mesures politiques pour dissiper le sentiment d’illégalité et la discrimination qui affectent encore les partisans d’une autre forme d’« habiter », puisque l’habitat léger semble aujourd’hui relever davantage de la solution pour l’avenir que du problème [22].


Pour aller plus loin :

 

 

 

 

 

[1] Code wallon du logement de l’habitat durable, art. 2 : http://www.ejustice.just.fgov.be/ (consulté le 25/07/2019).
[2] NZABAHIMANA R., PRAILE D. et RIZZO A.-C., « Crise du Logement, droit à l’habitat et politique régionale : une contribution associative », Les échos du logement, 125, juillet 2019, p. 18 : http://lampspw.wallonie.be/ (consulté le 25/07/2019).
[3] Décret modifiant le Code wallon du Logement et de l’Habitat durable et le décret du 15 mars 2018 relatif au bail d’habitation en vue d’y insérer la notion d’habitation légère, 30/04/2019 : https://www.rbdl.be/ (consulté le 22/07/2019).
[4] ANGERAS A., « Des normes d’"habiter" » questionnées : le quartier de la Baraque », Socio-anthropologie, 32, 2015, p. 41-54 : https://journals.openedition.org/ (consulté le 22/07/2019).
[5] NODINOT É., DESLOGES M. et THIÉRY Br., Tiny houses : petites constructions, grande liberté !, Paris, Rustica, 2018.
[6] Pour une reconnaissance sociale et réglementaire de l’habitat léger, 2017, p. 5 : http://www.rbdl.be/ (consulté le 22/07/2019).
[7] Ibid. 
[8] En tout, sans compter les gens du voyage (environ 10 000), 15 000 personnes sont concernées par l’habitat léger en Wallonie. Parmi elles, 12 000 résident de manière permanente en zones de loisirs. Reconnaître l’habitat léger en Wallonie. Quelques clés de compréhension de l’étude juridique sur l’habitat léger…, Court-Saint-Étienne, Centre culturel du Brabant Wallon, 2019, p. 3-4 : https://www.rbdl.be/ (consulté le 22/07/2019).
[9] Rassemblement wallon pour le droit à l’habitat, Plan logement. Principes et mesures, 2019 : http://rwlp.be/ (consulté le 23/07/2019).
[10] NZABAHIMANA R., PRAILE D. et RIZZO A.-C., op. cit., p. 16-17.
[11] Ibid., p. 15.
[12] Fédération des agents immobiliers francophones de Belgique, « "À la Une". Crise du logement », 18/04/2018 : http://clusters.wallonie.be/ (consulté le 23/07/2019).
[13] Rassemblement wallon pour le droit à l’habitat, op. cit.
[14] « La reconnaissance juridique des habitations légères, c’est fait ! », 30/04/2019 : https://borsus.wallonie.be/ (consulté le 22/07/2019).
[15] Étude juridique. Habitat léger, 2018-2019 : https://www.rbdl.be/ (consulté le 22/07/2019).
[16] Constitution belge, art. 23 : http://senate.be/ (consulté le 22/07/2019).
[17] BERNARD N., « Les normes de salubrité face aux évolutions de la matière du logement. Vers une nécessaire adaptation ? », Aménagement, environnement, urbanisme et droit foncier : revue d'études juridiques, 2, 2012, p. 71-72 : http://hdl.handle.net/ (consulté le 22/07/2019) ; BERNARD N., « L’habitat alternatif face au droit (normes de salubrité, domiciliation, taux cohabitant, prescriptions urbanistiques et règles anti-discrimination) », La norme à l’épreuve de l’habitat alternatif, 2012, p. 63-92 : http://hdl.handle.net/ (consulté le 22/07/2019).
[18] Reconnaître l’habitat léger en Wallonie. Quelques clés de compréhension… op. cit., p. 12-19.
[19] Ibid., p. 8-9.
[20] ANGERAS A., op. cit.
[21] Reconnaître l’habitat léger en Wallonie. Quelques clés de compréhension… op. cit., p. 21-25.
[22] Analyse rédigée par Sigrid Vannuffel.





 

 

 

 

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