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Analyse 2019-16

L’accouchement est un moment bouleversant dans la vie d’une femme et de sa famille. Mais parfois, la salle de naissance est aussi le théâtre de traumatismes importants pour la future mère, malheureusement peu maîtresse de ce qui lui arrive, entre les contractions, les ordres du médecin, la péridurale, l’épisiotomie… Comment éviter que l’accouchement ne se transforme en agression ? Pour Couples et Familles, dénoncer les violences gynécologiques et obstétricales ne suffit pas ; il faut aussi restaurer le dialogue et la confiance entre médecins et patientes.

Certains événements récents encouragent Couples et Familles à se pencher à nouveau sur la thématique de l’accouchement et sur la question plus particulière des violences obstétricales. Le documentaire Tu enfanteras dans la douleur [1], diffusé sur Arte le 16 juillet dernier, met en lumière différentes formes de violence endurées par des femmes durant leur accouchement. Il y a quelques semaines, le témoignage de deux femmes, l’une en Belgique, l’autre en France, négligées durant leur travail par l’équipe médicale de leur maternité, ont également fait ressurgir le sujet dans la presse [2].

Acte médical ou violence ?

Mais qu’entend-on par violence obstétricale ? Le cas qui cristallise le plus l’émoi est sans doute celui de l’épisiotomie abusive. L’épisiotomie consiste à inciser le périnée dans le – normalement – seul but de hâter la naissance d’un bébé en détresse ou d’éviter des déchirures naturelles graves. C’est une intervention qu’il ne faut pas prendre à la légère, puisqu’elle implique une cicatrisation, des douleurs et des soins supplémentaires. Elle est donc supposée se pratiquer de manière restrictive... ce qui n’est pas toujours le cas. On parle d’épisiotomie abusive lorsque l’acte chirurgical n’est pas motivé par un impératif médical mais plutôt effectué par routine. La banalisation de l’épisiotomie se démontre par les chiffres : sa pratique varie fortement d’une région à l’autre, d’une maternité à l’autre. Qu’est-ce qui justifie une prise en charge différente ? Les Wallonnes accouchent-elles autrement que les Flamandes ? Par ailleurs, le taux d’épisiotomies tend à diminuer, lentement. Comment ne pas voir là la preuve qu’une intervention systématique n’est pas nécessaire ? [3] 

L’expression abdominale, c’est-à-dire le fait d’exercer une pression sur le ventre, a également été pointée du doigt dans le dossier des violences obstétricales. Cette pratique engendre non seulement de la douleur pour la mère en devenir, mais également des risques de déchirures vaginales graves [4]. D’autres types de violence sont à relever : césariennes à vif, « point du mari » (qui consiste à « resserrer » le vagin lors de la suture de l’épisiotomie), propos humiliants ou infantilisants, aucune prise en compte du ressenti et des requêtes de la parturiente, etc. Comme évoqué plus haut, négliger (ou « oublier ») une patiente en plein travail, mais également ne pas accepter de lui donner à boire ou à manger, est aussi assimilable à de la violence. De même, contraindre la parturiente à adopter une position qui lui est douloureuse et qui ne lui semble pas naturelle n’est en principe pas permis [5].

Pour les femmes qui ne sont pas enceintes, une visite chez le gynécologue peut aussi être mal vécue. Une consultation gynécologique s’oriente de toute évidence sur des sujets profondément intimes. Le médecin doit connaître certains éléments pour être en mesure de poser un bon diagnostic, de conseiller et/ou de prodiguer les soins adéquats. Malheureusement, il semblerait que certains praticiens outrepassent leur fonction en émettant des jugements de valeur sur les mœurs, les choix ou le corps des patientes. Certains examens intrusifs (qui impliquent nudité, touchers, pénétration) peuvent également être source de violence.

Libération de la parole

Depuis quelques années, les langues se délient sur les violences gynécologiques et obstétricales. De nombreuses femmes ont témoigné et témoignent encore sur les violences qu’elles ont subies lors de consultations gynécologiques ou de leur accouchement. Plusieurs ouvrages militants se sont faits l’écho des déclarations et des plaintes de ces femmes [6]. Parmi les cheffes de file, la juriste belge Marie-Hélène Lahaye a lancé l’alerte sur son blog « Marie accouche là » [7]. Des études ont également été consacrées à la question. En France, le Haut Conseil à l’Égalité a fait état, dans un rapport en juin 2018, des actes sexistes dans le suivi gynécologique et a formulé des recommandations afin de les prévenir et de les condamner [8].

Internet et les réseaux sociaux ont servi de relais dans la diffusion des témoignages. Le hashtag « Paye Ton Utérus » a particulièrement rassemblé les victimes de violences gynécologiques et/ou obstétricales [9].

Crise de confiance envers le corps médical

On sait combien Internet est puissant pour ébranler la société. Le secteur médical n’a pas échappé au chamboulement. Beaucoup ont pris l’habitude de taper leurs symptômes dans la barre de recherche de Google pour tenter de déceler l’origine de leur mal. Si d’un côté, cela montre un intérêt du malade pour sa santé et mène souvent à « une meilleure compréhension du diagnostic et à une meilleure observance thérapeutique », de l’autre, les médecins reçoivent désormais en consultation des patients aux idées préconçues, parfois bornés et méfiants vis-à-vis du médecin. D’autres consultent Internet après le rendez-vous médical pour obtenir un second avis… Sauf que, inutile de le rappeler, l’information présente sur Internet est loin d’être toujours fiable. D’après les résultats d’une étude de juillet 2018, cette manie de consulter Internet pour les problèmes de santé concernerait un tiers des patients, ce qui a alerté la Société scientifique des médecins généralistes et a donné lieu au lancement de la campagne « Google n’est pas médecin » [10].

La profusion, sur Internet, de témoignages de violences gynécologiques et obstétricales ne risque-t-elle pas d’entamer la confiance entre la patiente et son gynécologue ? Sans doute. C’est pourquoi il faut non seulement dénoncer les violences, mais également veiller à ne pas opposer gynécologues-obstétriciens et défenseurs des droits des femmes et des patientes, au risque de mettre à mal la confiance, indispensable à une bonne relation thérapeutique.

Évidemment, il ne s’agit pas non plus d’accorder une confiance aveugle au médecin, au risque de voir s’installer un rapport de domination. Le lien entre le médecin et le patient a très longtemps été inégalitaire. Le patient « profane » devait faire confiance au médecin « savant ». Or, l’argument d’autorité basé sur le savoir ne tient plus la route. Il faut se garder de confondre « savoir » et « pouvoir » : « Savoir ne donne pas des droits sur le malade. Mais le devoir de l’aider en respectant sa liberté. » [11] Le modèle paternaliste – voire patriarcal [12] – dont a longtemps été imprégnée la médecine ne rencontre pas les aspirations égalitaires de la société actuelle. Désormais, la confiance n’est plus à sens unique ; elle se partage, tout comme les droits, les devoirs et les rôles : le patient renseigne le médecin sur ses symptômes et reçoit un avis médical compréhensible mais néanmoins précis qui lui permettra de consentir au traitement ou à l’intervention de manière éclairée [13].

Problèmes structurels des hôpitaux

Le but de ce mouvement de libération de la parole n’est pas de stigmatiser une profession entière, d’incriminer sans distinction les gynécologues, mais bien de leur faire prendre conscience du ressenti et de l’expérience de certaines femmes, afin de déclencher chez eux une réflexion autocritique – essentielle dans tous les métiers – et de les faire se questionner sur la logique qui sous-tend chacun de leurs actes : est-ce un impératif médical ? est-ce une manière de hâter l’intervention ?

Les récentes grèves des employés du secteur médical, le surmenage des infirmiers et des infirmières, le manque de reconnaissance de leur profession, le sous-effectif [14], confirment la présence d’un problème structurel majeur : calquer le fonctionnement d’un hôpital sur celui d’une entreprise est aux antipodes de sa première vocation, et est même dangereux. Le « sous-financement public chronique » entraîne une course à la rentabilité [15], difficilement conciliable avec une prise en charge optimale des patients. Les soins sont prodigués rapidement et peu de place est accordée à la relation avec les patients.
 
Renouer le dialogue

Sans vouloir amoindrir les violences obstétricales et épisodes traumatisants vécus par les femmes-témoins, les drames restent, fort heureusement, des cas isolés. La plupart des parents vivent l’accouchement dans la joie, sans incident. La parole des victimes de violences gynécologiques et obstétricales n’en est pas pour autant moins interpellante. Elle dénonce un manque d’écoute de la part du corps médical. Un corps médical qui, lui-même, semble ne pas être entendu par la société et les pouvoirs publics. C’est pourquoi, pour sortir de cette spirale infernale et restaurer un lien de confiance médecins-patientes, il est important de renouer le dialogue.

Ce dialogue se fonde sur la délivrance d’informations facilement compréhensibles, sur un langage neutre et non-jugeant, sur l’ouverture d’esprit. Il s’établit aussi à travers des attitudes et des gestes respectueux de l’intimité de la patiente [16]. S’assurer du consentement de cette dernière avant de poser quelque acte médical que ce soit est également essentiel, et même obligatoire au regard de la loi [17]. De son côté, la patiente doit pouvoir exprimer librement son ressenti, ses craintes, ses appréhensions, ses interrogations et obtenir de son médecin une écoute rationnelle et médicale, mais néanmoins empathique. « Ainsi, la médecine redevient ce qu’elle est avant tout, c’est-à-dire une science humaine avant d’être une science tout court. » [18,19]  


Pour aller plus loin :

 

 

 

 

 

[1] Tu enfanteras dans la douleur, documentaire réalisé par Ovidie, diffusion Arte, 2019 : https://www.arte.tv/ (consulté le 17/07/2019). Le documentaire sera disponible en intégralité sur ce site jusqu’au 09/07/2020.
[2] EL MASSAOUDI S., « Un couple accouche seul à l'hôpital Erasme : "Le monitoring était mal branché" », 02/07/2019 : https://www.lalibre.be/ et « "J'ai hurlé pendant une demi-heure" : une femme accouche seule dans une maternité de Lyon », 10/07/2019 : http://www.lefigaro.fr/ (consultés le 17/07/2019).
[3] COLARD F., « "C’est l’histoire d’une femme qui va chez le gynéco…" Les violences obstétricales, des exceptions ? », Analyse de Femmes Prévoyantes Socialistes, 2019, p. 5 : http://www.femmesprevoyantes.be/ (consulté le 31/07/2019).
[4] KAMMERER B., « L'expression abdominale existe encore et c'est dramatique », 17/06/2017 : http://www.slate.fr/ (consulté le 17/07/2019).
[5] COLARD F, op. cit., p. 9.
[6] Entre autres : NÉGRIÉ L. et CASCALES B., L’accouchement est politique. Fécondité, femmes en travail et institutions, Paris, L’Instant Présent, 2016 ; DECHALOTTE M., Le livre noir de la gynécologie. Maltraitances gynécologiques et obstétricales : libérer la parole des femmes, Paris, Éditions First, 2017 ; LAHAYE M.-H., Accouchement. Les femmes méritent mieux, Paris, Michalon, 2018.
[7] Marie accouche là. Explorations politiques et féministes autour de la naissance : http://marieaccouchela.net/ (consulté le 17/07/2019). 
[8] Haut Conseil à l’Égalité entre les Femmes et les Hommes, Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical Des remarques aux violences, la nécessité de reconnaitre, prévenir et condamner le sexisme, Rapport n°2018-06-26-SAN-034, voté le 26/06/2018 : http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/ (consulté le 31/07/2019).
[9] FECHNER B., « #PayeTonUtérus : quand les femmes se lâchent contre leur gynéco », 19/11/2014 : https://www.lexpress.fr/ (consulté le 31/07/2019).
[10] Société Scientifique de Médecine Générale, « La confiance du patient en son médecin minée par les informations peu fiables qui circulent sur internet ! », Communiqué de presse, 15/04/2019 : https://www.ssmg.be/ (consulté le 30/07/2019).
[11] SICARD D., « La rupture de confiance dans la médecine, une évolution contemporaine inéluctable ? », EuroCos. Humanisme et santé, 2002, p. 252 : http://eurocos.u-strasbg.fr/ (consulté le 31/07/2019).
[12] LAFFUT Fl., « Femmes & Santé. Violences obstétricales, maternité et self-help », Analyse du Collectif contre les violences familiales et l’exclusion, 2017 : https://www.cvfe.be/ (consulté le 02/08/2019).
[13] BIZOUARN P., « Le médecin, le malade et la confiance », Éthique et santé, septembre 2008 : https://www.researchgate.net/ (consulté le 30/07/2019).
[14] DULCZEWSKI A., « Le blues des infirmiers : "Les équipes sont en train de craquer, les services vont finir par s’effondrer" », 13/05/2019 : https://www.rtbf.be/ (consulté le 02/08/2019).
[15] « Réforme du paysage hospitalier : la loi de la jungle », 30/07/2019 : https://www.lalibre.be/ (consulté le 02/08/2019).
[16] « Quelques pistes pour optimiser la santé gynécologique. Paroles de patientes », 2018 : http://www.femmesprevoyantes.be/ (consulté le 31/07/2019).
[17] CRISCENZO P., « L'information et le consentement du patient », 17/06/2014 : https://www.actualitesdroitbelge.be/ (consulté le 02/08/2019).
[18] SICARD D., op. cit., p. 252.
[19] Analyse rédigée par Sigrid Vannuffel.





 

 

 

 

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